Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Violences en politique : pensons la protection des lanceur·ses d’alerte

Militante féministe, Anais Leleux a été l’une des premières coordinatrices nationales de NousToutes. Elle s’est particulièrement engagée contre les violences sexistes et sexuelles en politique, soutenant les victimes et dénonçant les complicités à l’oeuvre dans tous les partis. Elle revient ici sur la nécessité de penser la protection des victimes d’hommes politiques.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Dans la France de mes années NousToutes, les femmes crevaient, immolées par le feu devant leur fille de 8 ans. Elles étaient frappées à mort, le crâne explosé à coups de pied, avant d’être jetées aux ordures. Toutes les six minutes, une femme était victime de viol ou de tentative de viol. Et pendant que nous pointions les violences masculines, les failles du système, c’est nous que l’on accusait d’aller trop loin. Les politiques faisaient des grands discours, mais agissaient peu. Comment l’auraient-ils pu ? Alors que leurs propres partis grouillaient de mecs violents ?

Dans la France de mes années NousToutes, nous étions cinq et demi à monter au créneau contre Nicolas Hulot, ministre que l’on décrivait encore comme un homme charmant. Un don Juan, mais pas un prédateur, ça non. Il n’y avait pas encore eu Envoyé spécial mais il y avait déjà eu l’enquête d’Ebdo. Il suffisait de publier un tweet de soutien pour que les victimes vous contactent et vous parlent. Tout était déjà là, pour qui voulait ouvrir les yeux, lire entre les lignes, agir. Mais l’appareil avait pesé de tout son poids pour écraser celles qui avaient été harcelées, agressées, violées. L’appareil s’était organisé pour défendre, continuer à valoriser, maintenir au pouvoir un homme dont tout le monde savait qu’il était dangereux. Des femmes avaient été envoyées en première ligne, d’autres s’étaient spontanément dévouées.

Et tout ce petit monde avait perdu un temps considérable à protéger un homme qui allait nécessairement finir par tomber. Parce que les militantes, les journalistes – au premier rang desquelles Anne Jouan – ne lâcheraient rien. Mais surtout, parce que le sentiment d’impunité, le refus de se remettre en question étaient tels qu’il allait forcément recommencer.

Nicolas Hulot aurait pu admettre qu’il avait fait du mal, qu’il avait pris de force ce qu’on n’avait pas voulu lui donner, qu’il le regrettait, surtout quand on sait les conséquences que ses actes avaient eu sur ses victimes. Beaucoup de faits étaient prescrits, les victimes plus récentes ne souhaitaient pas parler. Certaines étaient prêtes à raconter une partie de l’histoire, mais pas tout. Tout dire c’était trop dur, c’était trop s’exposer. Tout ce qu’elles voulaient, c’est qu’il ne recommence jamais. Et cela, il le savait.

Oui, Nicolas Hulot aurait pu faire preuve de courage politique. Il aurait pu, en tant que figure publique, considérée comme progressiste, adresser la question de la domination masculine, dire qu’il n’en était pas exempt, qu’il allait faire mieux, qu’il allait réparer. Il aurait pu, ne serait-ce que dans le privé, reconnaître les faits, demander de l’aide.

Je crois que s’il ne l’a pas fait, c’est qu’il n’avait, au fond, aucune envie de s’arrêter.

Nicolas Hulot a préféré, malgré les tentatives de quelques proches de le raisonner, de le surveiller, d’écarter celles qui pourraient lui plaire, continuer à prédater. Et à intimider celles qui auraient pu parler. Je pense à cette jeune femme, qui avait fini par quitter son travail, où il trouvait encore moyen de l’atteindre. Un jour que son employeur lui avait dit « Au fait, j’ai croisé Nicolas, il te passe le bonjour », elle avait tout plaqué, tétanisée. Aux dernières nouvelles, elle vivait du RSA, dans un trou paumé. Gâchis monumental. Elle était brillante, sincèrement engagée. Mais c’est d’elle dont on disait qu’elle pourrait nuire à l’écologie.

C’était la France de mes années NousToutes. Et quatre ans après mon départ du Comité de pilotage, je suis au regret de constater que rien n’a changé.

Nicolas Hulot fait parti des neuf cas abordés dans le dernier rapport de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Ses autrices, et notamment l’ancienne collaboratrice d’élu-es Fiona Texiere, pointent que les mis en cause adoptent toujours la même ligne de défense : ils nient ou minimisent les faits, évoquent un éventuel complot politique, qui ne sera jamais étayé, mettent en avant leur souffrance, usent du vocabulaire juridique à tort et à travers, se cachent derrière l’absence de plainte ou de condamnation, puis ils parlent de leur douleur. On aurait pu ajouter qu’ils assignent systématiquement à une forme de folie les femmes qui parlent.

Le travail de l’Observatoire est précieux et mérite une attention, un relai et un soutien particulier des militant-es, des mécènes, des politiques et des journalistes.
Dans ce rapport, l’Observatoire aborde en filigrane la question des menaces. Il le fait avec bien plus de distance que je ne peux le faire. Car si ses membres ont comme moi, accès aux coulisses de ces affaires, elles basent leur rapport sur ce qui est public, à savoir ce qui est paru dans la presse.

Pour que l’Observatoire puisse analyser les menaces avec plus de précision, il faudrait que cette question soit traitée par les journalistes. Quelle le soit suffisamment bien pour que celles qui les subissent osent en parler. Il faudrait que cette question soit posée, systématiquement. Qu’elle le soit aux victimes, qu’elle le soit aux témoins. L’homme mis en cause dispose-t-il de moyens de pression sur les femmes concernées ? A-t-il activé ces moyens de pression ? Y-a-t-il un risque qu’il les active ? Ou que certain-es de ses proches s’en chargent ? Si oui que fait le parti pour protéger les personnes qui pourraient faire l’objet de pressions ou de mesures de représailles ? Pire encore, le parti met-il en danger celles qui lancent l’alerte ?

Que risquent celles qui parlent ? Qu’ont peur de subir celles qui gardent le silence ? Pourraient-elles perdre leur travail, leurs enfants, leur conjoint-e, leurs ami-es, leur carrière politique, le toit qu’elles ont sur la tête ?

Ont-elles les moyens financiers de faire face ?

Les hommes mis en cause vont rarement jusqu’au bout. Il n’empêche qu’ils sont nombreux, ces mecs puissants, à assigner leurs accusatrices en justice. Qu’est-ce que 400 euros de l’heure – le prix moyen d’un avocat – quand on bénéficie d’un revenu de ministre ou de député, quand on est un héritier ou une ancienne star de la télé ? Pour leurs victimes, assurément moins dotées, ces violences judiciaires, qui sont aussi des violences psychologiques et des violences économiques, sont particulièrement compliquées à dépasser. En quelques mois, on atteint aisément les 20 000 euros de frais. On nous dira qu’il y a toujours l’aide juridictionnelle. On répondra que la plupart des avocat-es ne font pas dans le pro-bono et qu’il n’y a pas de raison qu’on laisse les hommes puissants continuer à matraquer la gueule des victimes à coups de ténor du barreau.

Je crois, pour penser la question depuis quelques temps déjà, qu’il serait opportun que les partis appliquent la loi du 21 mars 2022 à celles et ceux qui les saisissent de cas de VSS un statut de lanceur ou de lanceuse d’alerte et la protection qui en découle. Cela commence par la protection de l’identité mais comporte tout un tas d’autres mesures de sauvegarde, dont un soutien psychologique.

Ce n’est que dans ces conditions que les femmes victimes d’hommes politiques se sentiront en capacité de parler au parti, voire de saisir la justice. Pour être à même de le faire, elles doivent bénéficier, elles aussi, d’un système de protection. Tout appareil qui se dit féministe, a fortiori à gauche, doit penser cette question de la sécurité matérielle des victimes. Il doit penser le rapport de genre mais aussi le rapport de classe. Il doit l’anticiper, être force de proposition, penser les inégalités qui existent entre l’homme puissant et les femmes concernées.

On a vu, dans certains partis, des victimes se voir offrir un travail, une place sur une liste, un mandat, de l’argent à condition qu’elles se taisent. Peut-être serait-il temps de leur faire la proposition inverse : « on peut contribuer à vos frais d’avocat, vos frais de psy, on peut mobiliser le réseau pour vous aider à avoir un travail suffisamment bien payé pour vous sécuriser, vous donner les moyens de parler, si un jour vous avez envie de le faire. »

Et puis il y aura toujours celles qui se refuseront à porter plainte, pour des raisons personnelles ou politiques. Qu’elles ne puissent se résoudre à envoyer l’homme mis en cause en prison, qu’elles aient pu tenir à lui ou qu’elles croient fondamentalement davantage dans la justice restauratrice. Cette dernière a été abordée par la France insoumise à l’automne dernier. Je regrette qu’elle ne l’aie pas mieux été, par un parti qui s’est davantage soucié de protéger l’un des siens que de penser un véritable changement. Mais ce premier pas, dont j’espère qu’il inspirera d’autres partis, a au moins le mérite d’exister. La justice restauratrice implique de partir des besoins exprimées par la victime. De mon expérience, ils tiennent généralement à peu de choses : la reconnaissance – ne serait-ce que privée – de ce qui a été fait, la garantie que des choses sont mises en place et que les violences vont s’arrêter.

Quand un homme auteur de violences n’est pas capable de concéder cela, je crois qu’il n’y a plus rien à en attendre. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois qu’on l’a compris, on peut avancer. Et qui sait, un jour, de la politique ré-espérer.

Anais Leleux

https://blogs.mediapart.fr/anaisleleux/blog/030424/violences-en-politique-pensons-la-protection-des-lanceur-ses-d-alerte

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