Édition du 30 avril 2024

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Israël - Palestine

À Gaza, l’information bâillonnée

L’armée et le gouvernement israéliens comme le Hamas cherchent à imposer au monde leur propre récit de la guerre, en empêchant les reporters d’accéder à la bande de Gaza. Quant aux journalistes palestiniens, ils tentent par tous les moyens d’informer, souvent au péril de leur vie.

Tiré de l’Humanité

Mise à jour le 1.11.23 à 20:12

Axel Nodinot

Des journalistes palestiniens travaillent au lendemain d’une frappe aérienne israélienne à Gaza, en Palestine, le 15 octobre 2023. Photo Momen Faiz/NurPhoto/NurPhoto via AFP

Combien de morts dans la bande de Gaza et en Israël ? D’enfants tués ? D’otages détenus ? Ces questions, qui peuvent sembler déshumanisantes, se posent dans les rédactions, contraintes de composer avec les deux seules sources officielles du conflit : le gouvernement israélien et l’administration gazaouie dirigée par le Hamas qui a annoncé, le 1er novembre, la mort de 8 796 Palestiniens depuis le 7 octobre. « Chacun voit ce que tu parais, peu perçoivent ce que tu es », écrivait Machiavel, au début du XVIe siècle. Le paraître reste l’arme par excellence de la communication des deux camps, qui s’affrontent dans une guerre de l’information à la portée mondiale.

«  Dans la mesure où aucun journaliste étranger n’a pu partir en reportage sur le terrain, on subit la communication des belligérants, sanctionne Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Ce n’est pas du journalisme, c’est au mieux de la communication, au pire de la propagande. » Comme ce fut le cas pour la fausse information des 40 bébés décapités, le 7 octobre, dans le kibboutz de Kfar Aza.

«  Ça arrive de faire une erreur, comme l’ont fait certains médias qui se sont excusés et ont promis de travailler autrement. Mais quand on les multiplie, ce n’est plus du professionnalisme », affirme le secrétaire général de la FIJ. Cette dernière appelle d’ailleurs les journalistes étrangers à faire preuve de plus de déontologie face aux communiqués des deux États, seuls juges sur le registre des pertes humaines. Le nombre de Palestiniens décédés à Gaza a été remis en question par les États-Unis, les grands alliés de Tel-Aviv, tandis que le ministère de la Santé de l’enclave publie une liste non exhaustive de plus de 7 000 personnes tuées par les bombardements israéliens.

Pour contrer cette rétention de l’information, voire les manipulations, plusieurs organisations essaient de faire entrer des reporters dans la bande de Gaza. « Les Nations unies nous répondent que les belligérants refusent », regrette Anthony Bellanger. Les autorités israéliennes déploient tous les moyens en leur pouvoir pour servir leur discours. Si une loi datant de 2006 interdit aux journalistes israéliens de se rendre dans l’enclave palestinienne, le gouvernement de Benyamin Netanyahou se permet également de donner des conseils à la presse étrangère. « Si les médias internationaux sont objectifs, ils servent le Hamas. S’ils donnent les deux versions, ils servent le Hamas », a osé déclarer Yaïr Lapid, chef du parti d’opposition Yesh Atid, lors d’une conférence de presse le 19 octobre.

Cinq jours plus tard, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a indiqué vouloir modifier la loi sur la liberté d’information, qui impose à l’exécutif de répondre aux questions sur ses actions dans un délai de trente jours. Ce dernier passerait à sept mois, ce qui constituerait une grave atteinte à la démocratie, dénonce le quotidien israélien Haaretz. Quant à l’armée, elle bâillonne les alertes des Gazaouis. Depuis le lancement de l’offensive militaire terrestre vendredi soir, les communications sont coupées par intermittence, empêchant les journalistes locaux de joindre les rédactions étrangères, voire leurs familles.

« L’armée israélienne vise indirectement les journalistes »

«  Gaza se retrouve de nouveau sans communication, ni Internet ni appels. J’écris depuis ma eSim. Explosions et échanges de tirs incessants toute la nuit  », partage sur X (ex-Twitter) la journaliste Hind Khoudary, dont les phrases succinctes font penser à un télégramme : «  Je ne peux pas parler à ma famille. Il n’y a pas d’appels », a-t-elle encore tapé le mercredi 1er novembre. La même détresse est palpable chez Yosef Basam, reporter palestinien. Il y a quelques jours, alors qu’il roulait dans les quartiers déserts de Gaza-ville avec un confrère, Bashar Taleb, le caméraman filmait la rue. La voiture qui se trouvait à 150 mètres devant eux s’est fait soudain surprendre par un char de l’armée israélienne, qui a tiré à bout portant et fait exploser le véhicule. Panique, prières, demi-tour, les deux journalistes sont finalement parvenus à fuir. « Le danger nous guette, nous et nos proches, explique Yosef Basam. Il est devenu très clair que le personnel de l’armée vise indirectement les journalistes, en ciblant leurs habitations et leurs familles, leurs lieux de travail. »

Le Syndicat des journalistes palestiniens (SJP) a annoncé la mort de 24 journalistes locaux sous les frappes de l’armée israélienne. «  Deux journalistes manquent à l’appel (…), des dizaines d’autres journalistes ont été blessés », et « les locaux d’une cinquantaine de médias ont été détruits  », précisé l’organisme. Dans une lettre ouverte datée du 27 octobre, il implore le « soutien » et la « protection » de la communauté internationale, en rappelant que « les journalistes palestiniens sont la seule voix en capacité de rapporter ce qui est en train de se passer à Gaza, à la fois aux citoyens palestiniens et au reste du monde ». « C’est un massacre en bonne et due forme des civils, et donc des journalistes, qui sont avant tout des civils », confirme Anthony Bellanger.

Depuis le début du conflit, il y a trois semaines, Reporters sans frontières (RSF) compte 34 journalistes tués. « Un total ahurissant » jamais atteint à l’échelle mondiale depuis l’an 2000. «  L’État d’Israël devra assumer devant l’histoire la responsabilité de la mort de journalistes à une échelle inconnue au XXIe siècle », tonne Christophe Deloire, son secrétaire général, déplorant « la triste réalité d’un sinistre record  ». Le 1er novembre, RSF a saisi la Cour pénale internationale pour crimes de guerre concernant «  huit journalistes palestiniens, tués dans des bombardements de zones civiles à Gaza par Israël, et un journaliste israélien, tué alors qu’il couvrait l’attaque de son kibboutz par le Hamas  ».

Malgré cette situation dramatique, le cessez-le-feu immédiat que défend l’ONU n’est toujours pas à l’ordre du jour. Les deux camps «  ont besoin de gagner l’émotion de l’opinion mondiale  », estime Anthony Bellanger. Les milliers de photos et vidéos de meurtres, d’immeubles en ruines et de cadavres qui inondent les réseaux sociaux sont autant de preuves de cette guerre d’influence que se livrent le Hamas et le gouvernement israélien, pour qui le mensonge est un moyen comme un autre de parvenir à leurs fins.

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