Édition du 23 avril 2024

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Afrique

Au Kenya, une sécheresse qui s’étire et un mode de vie qui s’étiole

Le Kenya vit la sécheresse la plus longue jamais enregistrée par le pays. Dans le Nord, la famine, le manque d’eau et de solutions durables apportées par le gouvernement entament l’espoir de retrouver un jour une situation normale. Le changement climatique est en grande partie responsable de cette situation.

Tiré d’Afrique XXI.

Des dizaines de milliers d’animaux décimés. Une absence de pluie sans précédent, aux dires des anciens. Des éleveurs pastoraux frappés de plein fouet par la faim. Des tensions communautaires exacerbées. Au Kenya, la sécheresse, qui, selon les prédictions, devrait sévir pour cette sixième saison des pluies, éprouve les populations, à tel point qu’elles craignent la disparition de leur économie et de leur mode de vie ancestral. Cette situation ravive également le débat sur la pérennité des systèmes pastoraux.

Depuis quelques années, le pays, tout comme la Somalie, l’Éthiopie et le nord-est de l’Ouganda, est victime de précipitations plus faibles que la normale et de températures plus élevées. « C’est sans précédent, souligne Joyce Kimutai, scientifique au département de météorologie du Kenya et spécialiste des conséquences liées aux changements climatiques. En soixante-dix ans, nous n’avons jamais enregistré une sécheresse d’une telle ampleur. » Cet événement climatique est particulier en ce sens qu’il est rare, prolongé, et qu’il touche une plus vaste partie du territoire qu’à l’accoutumée. « Les précédentes sécheresses étaient confinées à certaines régions. Maintenant, ça s’est étendu jusqu’au centre du pays », reprend Joyce Kimutai.

Le phénomène climatique La Niña, qui a débuté en 2020 et qui a pour origine le refroidissement des eaux dans le centre et l’est de l’océan Pacifique Sud (et qui se produit tous les deux à sept ans), affecte les températures et les précipitations, aggravant notamment les sécheresses dans l’Est africain. La Niña a pris fin en mars 2023, mais cet épisode a été l’un des plus longs jamais enregistrés. Nombreux sont celles et ceux qui mettent les changements climatiques au banc des accusés. Avec une équipe du World Weather Attribution, Joyce Kimutai a cherché à confirmer cette hypothèse. Selon cette étude publiée le 27 avril, le changement climatique rend cent fois plus probables de tels évènements de sécheresse.

La peur de mourrir de faim

Dans le nord du pays, dans les contrées arides du comté de Marsabit, les populations sont habituées aux sécheresses. Mais celle qui les touche depuis quelques années laisse une empreinte plus profonde que les précédentes. « Je ne peux pas relier cette sécheresse à quoi que ce soit que j’ai déjà connu », témoigne Harule Sirayon. Cet homme, qui estime avoir 80 ans, réside à Balaah, dans le comté de Marsabit. Avec Turkana, Marsabit est l’un des deux seuls comtés du pays à être classifiés en « phase d’urgence », alerte la plus élevée émise par la National Drought Management Authority kényane (Autorité nationale de gestion de la sécheresse, NDMA).

Avec d’autres, le vieillard se repose à l’ombre d’une poignée d’arbres rachitiques pour fuir le soleil ardant du début d’après-midi. L’homme préfère rester couché sur une couverture posée sur le sable. Il a faim. Ce jeûne forcé sape ses maigres réserves d’énergie. « Tout ce que je sais, c’est que ça devient long, ça devient insupportable. Nous ne pouvons pas expliquer pourquoi », dit-il. Chez les personnes âgées, la peur de mourir de faim est palpable.

C’est ce qui est arrivé à la grand-mère de Garikorte Elemo en septembre 2022. La jeune femme de 22 ans a vu dépérir son aïeule. « Nous n’avons pas de nourriture, explique-t-elle. J’avais beaucoup de difficultés à trouver quelque chose pour lui donner à manger. » Elle parle doucement, sans effusion, les traits tirés. « J’ai vraiment lutté pour qu’elle se porte mieux, puis j’ai accepté le fait que nous n’avions pas à manger », dit-elle. Sa grand-mère est enterrée derrière la hutte, et un petit vase a été posé sur sa tombe. Elle-même a manqué plusieurs repas ces derniers jours.

La jeune femme lui donnait principalement du gruau ordinaire à base de maïs. Il lui était difficile de mettre la main sur des repas plus nutritifs ou sur des rations de mélange de maïs et de soja enrichis fournies par le Programme alimentaire mondial (PAM), ou d’autres suppléments de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Mais les programmes d’aide alimentaire ont des critères stricts et sont uniquement destinés aux enfants de moins de 5 ans, aux femmes enceintes et à celles qui allaitent.

Selon une analyse du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) publiée fin février, la sécurité alimentaire du pays se détériore. Plus de 5,4 millions de Kényans connaîtront probablement une insécurité alimentaire aiguë entre mars et juin 2023, et près de 1 million d’enfants ont un risque de malnutrition.

Des troupeaux décimés

Les troupeaux de chèvres, de moutons, de vaches et de dromadaires sont au centre de la vie des éleveurs, qui, même s’ils peuvent parfois diversifier leurs sources de revenus, dépendent d’eux pour gagner de l’argent et survivre. Les chercheurs Dickson Mong’are Nyariki et Dorothy Akinyi Amwata estiment que, dans les zones arides et semi-arides du pays, le secteur de l’élevage représente 90 % des emplois et plus de 95 % des revenus des ménages. Le pastoralisme fournit 90 % de la viande consommée en Afrique de l’Est et contribue respectivement à 19 %, 13 % et 8 % du PIB en Éthiopie, au Kenya et en Ouganda.

À cause du manque de pluies et de la sécheresse des rivières, les pâturages sont difficiles à trouver, ce qui exacerbe la concurrence entre les troupeaux. Le nombre de bêtes confrontées à la raréfaction d’espaces verts accentue le surpâturage, qui ne laisse pas le temps à la végétation de récupérer, entraînant une dégradation des plantes et du sol. Les abords des villes que nous avons parcourues se sont transformés en cimetière à ciel ouvert, parsemés de carcasses d’animaux, morts de faim et de soif. En mars, la NDMA a recensé 2,6 millions de bêtes décédées à l’échelle des vingt-trois comtés arides et semi-arides du pays, ce qui représente environ 80 % du territoire kényan.

Partout, c’est la même histoire. « C’est la pire sécheresse que j’ai jamais vécue », lance Lejas Bursuna, qui réside à proximité de Laisamis, dans le sud du comté de Marsabit. Cette femme d’une cinquantaine d’années nous accueille devant sa hutte au petit matin, avec à ses pieds une très jeune chèvre morte la veille. Elle a vu son troupeau de chèvres et de moutons fondre de cinquante à vingt têtes. D’autres ont vu leur cheptel passer de trois cents à trente animaux. D’autres encore n’ont plus rien. Les animaux survivants sont maigres et leur valeur a fondu, ce qui entraîne des pertes financières supplémentaires.

Les cadavres de dromadaires jonchent le sol désertique de la région. Il s’agit pourtant d’un animal très résistant servant habituellement de réserve et de sécurité face à la sécheresse, la maladie ou d’autres désastres naturels. Il joue également un rôle important dans les relations sociales traditionnelles, notamment pour la dot lors d’un mariage ou comme dédommagement lors d’une querelle entre clans. « Ils sont notre fierté », témoigne avec émotion Adele Boru, un homme flétri presque centenaire qui a tout perdu.

« Si je dois mourir, je mourrai ici »

« Avoir du lait de dromadaire est beaucoup plus difficile, et il n’est plus possible de tuer une chèvre la semaine pour se nourrir », renchérit Lejas Bursuna. Sa famille dépend d’elle, et quand elle se couche la nuit, ses pensées l’assaillent et le stress l’empêche de dormir. « Je me demande où je vais aller demain matin et ce qu’ils vont manger », dit-elle. Le même stress afflige les hommes qui parcourent des kilomètres à la recherche de pâturages.

Lejas survit grâce à des dons et à des transferts d’argent du gouvernement et, comme plusieurs personnes que nous avons rencontrées, elle quémande parfois de la nourriture à ses voisins pour pouvoir cuisiner à ses enfants et à ses petits-enfants. Plus de 9 millions de Kényans sont des éleveurs, sur une population totale de 53 millions, et ils détiennent un bétail d’une valeur de plus de 1 milliard de dollars US. Les événements climatiques extrêmes comme celui-ci s’ajoutent à d’autres défis affectant le pastoralisme, comme l’urbanisation, le développement des surfaces agricoles qui ampute les espaces disponibles, et la sous-évaluation de l’économie pastorale.

Comme d’autres, Lejas Bursuna ne se voit absolument pas déménager ailleurs. « Rien ne va me convaincre de bouger dans un endroit qui m’est étranger et que je ne connais pas. Ici c’est notre maison et notre terre ancestrale. Peu importe ce qui arrive, bon ou mauvais, ça va m’arriver ici. Si je dois mourir, je mourrai ici », affirme-t-elle. Elle a été gardienne de bétail toute sa vie mais elle se dit toutefois prête à faire autre chose, comme de l’agriculture par exemple, mais sans trop savoir comment s’y prendre.

Les paysages de la région semblent bien peu propices à l’agriculture. « Ce n’est pas possible de cultiver quoi que ce soit ici », insiste Galgallo Tuye, un ancien élu de la région de North Horr, au nord-ouest du comté de Marsabit. Pour preuve, il pointe l’environnement désertique à des dizaines de kilomètres à la ronde. Il assure qu’une diversification n’est guère envisageable et que les éleveurs dépendent entièrement de leur troupeau pour survivre. « Ceux qui vivent ici, mis à part les fonctionnaires du gouvernement qui ont un salaire, seront dans une situation intenable si la sécheresse persiste », prédit-il.

Adaptation ou transformation ?

« La question des moyens de subsistance durables dans les zones arides est débattue depuis des décennies », rappelle Hussein Tadicha Wario, directeur exécutif du Centre de recherche et de développement dans les zones arides (CRDD). Depuis 1970, des investissements massifs ont été réalisés pour atténuer les effets de la sécheresse dans les comtés arides et semi-arides du Kenya.

La sécheresse actuelle donne des arguments à ceux qui estiment que le pastoralisme est intrinsèquement vulnérable aux conditions climatiques et qu’il s’agit d’un système archaïque peu productif et non respectueux de l’environnement. Cette approche influence des projets de développement qui visent à faire évoluer les éleveurs pastoraux vers un mode de vie plus sédentaire et plus productif. D’autres projets incitent les pastoralistes à moderniser leur production.

La NDMA et l’Union européenne (UE) viennent par exemple de lancer le programme Dryland Climate Action for Community Drought Resilience (DCADR) afin d’introduire des « systèmes agroalimentaires et des stratégies de subsistance plus durables » et d’« améliorer la résilience des communautés des terres arides et semi-arides face à la sécheresse et aux autres effets du changement climatique », rapportent l’agence Kenya News et le journal The Standard. Ce projet prévu, sur la période 2023-2026, bénéficie d’un financement de 13 millions d’euros de l’UE et de 5 millions d’euros du gouvernement.

Mais des experts comme Tahira Shariff Mohamed pointent du doigt les changements constants de politique et émettent des doutes sur l’efficacité des investissements dans la gestion de la sécheresse. Dans un texte cosigné en mars avec Ian Scoones, professeur à l’Institute of Development Studies de l’Université du Sussex, les chercheurs affirment que la détresse actuelle des éleveurs prouve que les centaines de millions de dollars investis dans la « résilience » n’ont pas été efficaces. Selon eux, il vaut mieux soutenir la capacité des éleveurs à se préparer et à répondre aux sécheresses, et, en ce sens, ils soulignent l’importance des réseaux locaux de soutien mutuel, de solidarité et de redistribution.

Manque de ressources

Les institutions et les agences de développement sont-elles correctement équipées et connectées avec les communautés locales pour comprendre la complexité et le potentiel des systèmes pastoraux ? Faut-il prôner un « nouveau pastoralisme » ? « Le pastoralisme s’est adapté aux conditions arides et reste le système de production le plus adapté, croit savoir Hussein Tadicha Wario. La mobilité, qui était auparavant considérée comme des mouvements sans but, s’est avérée être le moyen le plus stratégique d’utiliser les ressources variables de pâturage. »

Le directeur du CRDD admet cependant que les changements climatiques ont rendu certaines pratiques d’adaptation des pasteurs inapplicables. « Compte tenu de l’augmentation de la population, tout le monde ne pourra pas vivre du pastoralisme, d’où la nécessité de trouver des moyens de subsistance complémentaires pour soutenir le système », poursuit-il.

Le gouvernement national kényan, les gouvernements locaux et des organismes mettent des fonds dans la distribution d’eau, de nourriture pour animaux, de suppléments alimentaires et de transfert d’argent pour aider les populations les plus touchées. Malgré cela, au dispensaire de Balaah, qui soutient entre 8 000 et 9 000 personnes, la situation a empiré.

« Nous n’avons pas assez de ressources. Parfois, il n’y a pas d’approvisionnements, pas d’eau », rapporte l’infirmier Solomon Murangiri. Le nombre d’enfants qui souffrent de malnutrition – une situation qui prévalait déjà avant la sécheresse – est en hausse. L’infirmier a recensé des décès d’enfants mais il n’est pas en mesure de déterminer si la famine en est la cause. La sécheresse a néanmoins un impact sur leur système immunitaire, ce qui, affirme-t-il, peut les rendre vulnérables aux infections.

Pas assez de médicaments

Le professionnel de santé affirme aussi avoir des difficultés d’approvisionnement en médicaments essentiels, comme le paracétamol ou les antibiotiques. « La Kenya Medical Supplies Authority dit que c’est parce que le comté de Marsabit ne rembourse pas ses dettes », dit-il, avant d’évoquer la possibilité de vols et de détournements de médicaments par des fonctionnaires du comté.

Au dispensaire de Malabot, un village de 500 habitants à proximité de North Horr, l’infirmier Joseph Adano recense lui soixante-dix enfants de moins de 5 ans sous programme alimentaire spécial, ce qui leur permet d’avoir accès à des compléments alimentaires de l’Usaid. Dix d’entre eux souffrent de malnutrition sévère. « Nous avons de nouveaux cas tous les mois », rapporte Joseph Adano. En faisant des tournées auprès des familles avec sa collègue, il note souvent des cas déjà admis qui nécessitent une réadmission parce que le poids des enfants est redevenu trop bas. « À la maison, après avoir été sortis du programme, ils n’ont pas ou peu à manger », dit-il.

C’est le cas du garçon de 3 ans de Adho Abudho, 38 ans, qui a été admis pour la deuxième fois sur le programme en près d’un an et demi. L’enfant était dans un piteux état il y a quatre mois, avant sa réadmission. « Mon cœur a mal de ne pas pouvoir nourrir mes enfants à chaque repas », raconte la mère de cinq enfants, qui a perdu trente bêtes sur un troupeau de cinquante.

À l’extérieur, le vent souffle fort sur le sable couleur sombre où sont plantées une poignée de huttes. Les bourrasques brassent les branches des quelques arbres et buissons élimés aux alentours. Il est difficile pour la communauté de déménager vers des contrées plus vertes, car les dromadaires nécessaires pour transporter les huttes démontées sont morts. Plusieurs prédisent la fin de leur mode de vie ancestral si les mauvaises saisons des pluies persistent. « Nous sommes dévastés, notre bétail est tout pour nous, c’est notre famille », lance Adho Abudho. Plus qu’une activité de production animale, le pastoralisme est aussi une culture, une identité et un mode d’existence assurant une grande autonomie.

Surpâturage et conflits entre éleveurs

Plusieurs familles dépendent des distributions de nourriture organisées par le gouvernement du comté de Marsabit dans plusieurs villes. Mais il y a plus de familles que de denrées disponibles. Avec un sac de 12,5 kilogrammes de riz et un demi litre d’huile par maisonnée, ce n’est pas suffisant, affirment des résidents de North Horr avec qui nous avons discuté en marge d’une distribution. « Ça ne dure que deux jours, lance Hawo Quri Boku, 45 ans et mère de neuf enfants. Et je dois partager avec mes voisins quand ils m’en demandent. » Deux de ses enfants doivent aller à l’école secondaire mais, comme elle n’a pas d’argent pour leur acheter des uniformes, ils restent à la maison.

Des éleveurs vont jusqu’à louer des camions pour transporter leurs animaux dans des comtés plus au sud, comme les terres plus verdoyantes au pied du mont Kenya. Mais beaucoup d’entre eux reviennent à cause du surpâturage en cours dans ces zones, explique Abdub Waqo, un éleveur de 35 ans qui fait paître ses vaches maigres dans les terres du Parc national de Marsabit. Celles-ci mâchonnent des branches mortes et des buissons desséchés. « C’est mieux que rien », croit-il.

Dans la région, les conflits entre clans d’éleveurs pastoraux Borana, Rendille et Gabra, qui sont monnaie courante depuis très longtemps, se sont exacerbés. Les communautés vont dans le Parc national pour trouver de l’herbe et de l’eau pour leurs animaux et se battent entre elles pour accéder aux parcelles restantes. Ceux dont les animaux sont morts organisent des raids contre d’autres éleveurs pour leur voler vaches et dromadaires.

« Les gens ne peuvent plus rien voir dans le parc »

« Si on surveille les animaux dans un endroit isolé, on peut nous tirer dessus, nous tuer et voler nos animaux », craint Guyo Duba Gindole, 48 ans, qui vit dans un village Borana en bordure du parc. La fréquence des conflits a incité le gouvernement à saisir les armes des éleveurs pastoraux. Une situation qui déplaît aux résidents, qui estiment ne plus être en mesure de se protéger lorsqu’ils se promènent avec leurs troupeaux. Ils racontent que, quelques jours auparavant, un homme du village voisin a été sérieusement battu et est revenu nu, sans vêtements et sans animaux.

Le Parc national de Marsabit, planté comme une oasis au milieu des terres arides et jaunâtres du nord du Kenya, est un refuge à la végétation luxuriante et humide, où se promènent éléphants, buffles, babouins, antilopes, oiseaux et zèbres de Grévy. La réserve se dessèche et perd de plus en plus de son lustre. Son joyau, le lac Paradise, une attraction du nord du pays, a vu ses berges rétrécir de plusieurs dizaines de mètres. Lors de notre passage, quelques buffles maigres, avec les os visibles sous la peau, marchaient lentement vers le point d’eau dans la brume épaisse du matin, sous le regard menaçant de hyènes assises un peu plus loin.

Le propriétaire de l’hôtel-restaurant Paradise Inn, à quelques pas de l’entrée du parc, se désole. Les affaires ne vont plus très bien depuis quelques années. Plusieurs de ses clients de la région n’ont plus les moyens de venir. Les touristes de l’extérieur ont quant à eux déserté le parc à cause de la mauvaise publicité causée par la sécheresse et du nombre d’animaux qui ont fui ou qui sont morts. « Les gens ne peuvent presque plus rien voir quand ils visitent, lance Adam Mohamed, qui se bat avec énergie pour que son entreprise ne mette pas la clé sous la porte. C’est notre restaurant qui nous fait survivre pour l’instant. »

Pollueur-payeur

Avant la sécheresse, il y avait davantage de restrictions sur les déplacements dans le parc mais les autorités sont maintenant plus tolérantes et n’empêchent pas les éleveurs d’y circuler pour trouver de quoi boire, rapportent les villageois. Mais le nombre d’animaux sauvages qui pouvaient leur servir de nourriture a diminué, et les conflits dans la forêt ont augmenté.

« Les forêts sont devenues un sanctuaire pour les voleurs, renchérit Adam Mohamed, qui est en contact étroit avec les forces policières. Les visiteurs ne se sentent plus en sécurité, et c’est difficile pour eux de venir ici, ils sont terrifiés. Des éleveurs se tirent parfois dessus avec des fusils. » Le restaurateur fait partie de ceux qui pensent que le pastoralisme n’est pas durable et que les clans d’éleveurs, qui comprenaient une partie de sa clientèle avant la sécheresse, devraient se recycler dans d’autres modèles d’affaires.

« Le pays doit trouver une façon plus durable de faire les choses », préconise Joyce Kimutai. La scientifique du département de météorologie a participé à la COP27, en Égypte, en novembre 2022, et aux discussions sur l’accord qui a mené à la création d’un nouveau fonds pour les « pertes et dommages » climatiques. Les pays responsables de fortes émissions de carbone devront dédommager les pays vulnérables souffrant des effets du changement climatique. Un comité a été mis sur pied pour rendre ce fonds opérationnel. Mais « qui recevra une compensation et quelles références seront utilisées ? Qui payera qui ? Quels seront les montants versés ? Tout ça doit être discuté », prévient-elle, inquiète de voir imposer un système normatif adapté aux climats des pays du Nord au détriment de ceux des pays du Sud.

Adrienne Surprenant

Photographe canadienne basée en France, Adrienne Surprenant est membre du Collectif item et de Women Photograph. Elle travaille notamment pour le Washington Post, le Time, The Guardian, Le Monde, Le Monde diplomatique, Al Jazeera, The New Humanitarian... Ses séries ont été exposées au Canada, en France (Visa pour l’image, 2015) et en Angleterre. Elle fait partie de l’agence Myop.

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Anne-Marie Provost

Anne-Marie Provost est une journaliste canadienne, spécialiste des questions environnementales, des politiques migratoires et des enjeux qui touchent aux femmes et à l’éducation. Elle collabore avec des médias canadiens et internationaux.

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