Édition du 9 avril 2024

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Politique canadienne

Comprendre la vague orange au Québec troisième partie : Les causes de la vague.

Simon Tremblay-Pepin est chercheur à l’institut IRIS. Nous reproduisons ici la troisième partie d’une série de trois articles publiés en anglais sur le Blog du Centre canadien des politiques alternatives Behind the numbers.
http://www.behindthenumbers.ca/2011/07/28/understanding-quebec%E2%80%99s-orange-wave-part-three-what-does-the-orange-wave-mean/

Mes deux articles précédents ont cherché à démontrer comment la vague orange au Québec lors des dernières élections fédérales n’a été causée ni par une montée de la gauche ni par une vague d’appui à l’option fédéraliste.

Je vous soumettrai maintenant mon analyse sur ce qui est advenu durant les élections fédérales en ce qui concerne le résultat du vote et, plus précisément, j’avancerai une série d’enjeux sur lesquels les progressistes du Québec et du Canada peuvent collaborer dans le contexte d’un gouvernement conservateur majoritaire.

L’élection du 2 mai au Québec
Si ce n’était pas par égard pour le Canada ni pour Tommy Douglas, pourquoi les québécois(es) ont-ils alors voté pour Jack Layton ?

Le principal avantage de Jack était qu’il n’était pas Stephen, qu’il ne provenait pas du parti libéral du Canada et –de façon plus surprenante – qu’il était quelqu’un d’autre que Gilles.

La vaste majorité des québécois(es) a clairement rejeté les politiques conservatrices en donnant à Harper même moins que la poignée de députés qu’il avait avant les élections. En effet, Québec est la seule province à avoir substantiellement diminué le nombre de députés conservateurs après le 2 mai ( Leur nombre a décliné de 22 à 21 en CB, au Québec il est passé de 10 à 5).

Pour une grande partie des francophones et pour les souverainistes en particulier, voter pour les libéraux (même si Ignatieff n’était pas si mauvais) était impossible à cause du mépris que ce parti a toujours eu envers les aspirations des québécois : la loi sur la Clarté Référendaire et le Scandale des Commandites (pour ne nommer que ces deux-là) sont encore trop présents dans la mémoire collective des québécois(es).

L’option qu’ils avaient privilégiée jusque là était Gilles Duceppe et le Bloc. Malgré le résultat des élections, je ne crois pas qu’on puisse conclure à une insatisfaction des québécois avec le Bloc comme tel. Toutefois, ils en ont eu assez d’entendre un certain discours sur un ton qui n’est pas spécifique au Bloc mais qui traverse l’ensemble de la famille souverainiste, et qui est peut-être encore plus prononcé à l’intérieur du Parti Québécois.

Exemple de ce discours : « Les vrais québécois votent pour nous, les autres sont des traitres » - genre de reprise à la Québecoise du « vous êtes avec nous ou contre nous »- une rhétorique qui a déjà connu son âge d’or, mais qui n’a plus d’emprise. Une série de faux pas des dirigeant(es) souverainistes et des militant(es) (en particulier sur les médias sociaux) ont donné l’impression que le Bloc utilisait ce genre de discours dogmatique et vindicatif lorsque la popularité de Layton a commencé à grimper vers la mi-campagne. C’était le début de la fin. Même si les appuis continuaient de dégringoler, au lieu de corriger le tir la direction du Bloc a continué dans la même voie. Ils ont abandonné cette triste stratégie uniquement le soir de leur défaite, lorsque Duceppe a offert un discours honorable et très sobre, à la hauteur de l’homme politique intègre et intelligent qu’il est.

Mais pourquoi Jack ?

Comme le Parti Vert n’est ni plus ni moins qu’un fantôme au Québec, il n’y avait aucune autre option pour les Québécois(es) que de voter NPD. Mais il faut plus qu’un manque d’alternative pour expliquer pourquoi la moustache orange est devenue si populaire dans la Belle province.

Premièrement : le programme politique ne semble pas menaçant pour la plupart des Québécois(es). Personne ne peut convaincre la majeure partie de la population du Québec que Layton est un communiste. Et même si on ne peut constater de mouvement visible à gauche, la politique courante au Québec ressemble beaucoup à la social-démocratie mise de l’avant par le NPD.

Deuxièmement : contrairement à ce que plusieurs à l’extérieur du Québec peuvent penser, le NPD n’est pas perçu comme une menace envers les idées souverainistes, ou du moins il représente une menace moindre à ce chapitre que les conservateurs ou les libéraux. Après le Bloc, c’est l’option la plus réaliste : fédéraliste,oui, mais pas clairement anti-souverainiste.

En résumé : les québécois les plus anti-conservateurs ont voté NPD parce qu’ils en avaient assez du discours méprisant du Bloc et du Parti Libéral du Canada – et parce que Layton ne représentait pas une menace.

Que peut-on faire maintenant ?

Malgré l’appui envers le NPD au Québec, il y a toujours un gouvernement conservateur à Ottawa. Et ce résultat – le fait que la majorité des québécois aient voté pour un parti social-démocrate alors qu’une majorité des canadiens du reste du Canada aient voté conservateur – devrait nous indiquer l’importance toujours actuelle de la question nationale au Québec.

Les progressistes du reste du Canada pourraient se demander : « S’il n’y a pas de tournant à gauche au Québec ou si les québécois ne deviennent pas pro fédéralistes, pouvons-nous encore trouver un terrain commun avec eux ? »

La réponse est oui. Plus encore que n’importe où ailleurs au Canada, le Québec est généralement ouvert aux idées progressistes. Prenons par exemple La Boussole Électorale de CBC-Radio-Canada. Sans être une étude scientifiquement valable, son million de participants(es) nous donne tout de même quelques indications des différences assez fondamentales entre le Québec et le reste du Canada. Sur 83% des questions posées, il y a une différence (parfois plus importante, parfois moins, mais toujours claire) entre le Québec et toutes les autres provinces concernant des enjeux fondamentaux. Sur les 19 questions, facilement identifiées sur un spectre gauche/droite, il est clair que les québécois sont plus progressistes sur toute une série d’enjeux.

Tableau 1 : Le Québec et le Canada concernant des enjeux spécifiques

Québec est plus progressiste (15/19)Canada est plus progressiste (4/19)
Supprimer les dépenses militaires L’intervention du gouvernement rend les choses plus faciles
Les sables bitumineux sont néfastes Le Canada ne devrait pas chercher à avoir des relations économiques plus étroites avec les États-Unis
La taxe sur le carbone est bénéfique Le secteur privé ne devrait pas jouer un plus grand rôle dans le système de santé
Plus de règlementations environnementales On devrait faire plus pour accomoder les minorités religieuses au Canada

Les qualifications pour l’assurance-emploi
devraient être plus faciles

Les plus riches devraient payer plus de taxes

Les compagnies devraient payer plus de taxes

Plus de RPC et RRQ/Etc

Source : CBC-UofT, votecompass.ca, Avril 2011

De façon générale au Québec, les idées progressistes sont bienvenues et font partie du débat. On doit seulement être un peu attentif à l’autonomie de notre gouvernement provincial, parce que pour 60% de la population, c’est le gouvernement provincial qui compte le plus et que pour 40% de la population, ce gouvernement provincial est à la base du gouvernement d’un futur pays.
Il reste cependant beaucoup à faire en ce qui concerne la politique progressiste. Les groupes de droite au Québec ont entrepris une campagne de fond contre le système de santé publique qui a produit des résultats dans l’opinion publique. Des échanges avec le Canada anglais où cette option est toujours rejetée pourrait certainement être bénéfique.

En fin de compte, c’est toujours « le bon vieux » Québec, avec tous ses aspects positifs et ses contradictions. Mais soyons honnêtes ; dans la vie de tous les jours, peu de choses concernant notre vie politique arrivent aux oreilles du reste du Canada et l’inverse est aussi vrai, alors il n’est peut-être pas étonnant de constater que plusieurs sont inconscients de la réalité de l’autre de chaque côté de la frontière.

Peut-être pouvons-nous tirer profit du 2 mai comme un nouveau départ, le début d’une nouvelle relation entre les progressistes du Québec et du reste du Canada sur laquelle nous pouvons travailler. Est-ce possible ?

Traduction, André Frappier

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