Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Dans l’épreuve se renforcer

Une lutte populaire, ce n’est jamais une ligne droite. Un mouvement populaire n’est jamais sur un chemin tracé d’avance. Des tas de facteurs, internes, externes, peu prévisibles, sont à l’œuvre. C’est une immense pièce de théâtre dont le scénario est écrit au fur et à mesure. Un certain Oulianov disait à l’époque que les mouvements de résistance avaient tellement plus d’imagination et de créativité que les grands chefs politiques et les grands intellectuels …

Il faut donc avoir beaucoup de modestie pour essayer de comprendre ce qui se passe, et encore plus pour prévoir ce qui s’en vient. Il y a des tendances, des forces qui s’accumulent, des fenêtres d’opportunités, mais qui peut être arrogant au point de dire, « voici ce qui va se passer » ?!? Et encore plus, « voici ce qui doit être fait » !!!

L’évolution récente du mouvement étudiant illustre les bifurcations inattendues qui se produisent parfois. L’idée au départ de l’ASSÉ, qui était excellente en passant, était que des grèves étudiantes allaient maintenir la flamme et participer, avec d’autres mobilisations, à construire un front de résistance costaud. D’emblée, les étudiants n’étaient pas seuls puisqu’un peu partout au Québec, depuis l’automne, des centaines de mobilisations ont été observées. Dans ce sens, peu de gens à part quelques « n’y-a-ksa-istes » pensaient que les étudiants allaient déclencher la bataille « décisive ». D’autre part, le mouvement étudiant de 2015 ne pouvait pas être la même chose que celui de 2012. D’autant plus qu’à l’époque, les militants et militantes de l’ASSÉ avaient bien pris soin, pendant plusieurs longs mois, de préparer leurs actions et de sensibiliser leurs bases. Ce n’est pas pour dire qu’on a rien fait en 2015, mais visiblement, il n’y a pas eu cette longue accumulation de forces capable de soutenir un mouvement de durée. Car la question clé est là : la durée. Certes dans des moments très particuliers, il peut se produire des évènements marquants, spectaculaires. Mais le plus important, c’est la capacité des mouvements de maintenir le tempo. Les Zapatistes disent, « courez camarades, mais pas trop vite, car c’est un marathon »…

Autre fait, les secteurs les plus mobilisés du mouvement, autour de l’UQAM et de quelques cégeps montréalais, n’ont pas pu, du moins à date, entraîner les gros contingents étudiants. En soi, ce n’est pas grave ni surprenant. Ce qui est plus problématique est de se mettre la tête dans le sable et de faire comme si. On aboutit alors à des actions prématurées ou trop en avance, et qui se retrouvent comme dans les dessins animés à dépasser la falaise et à se retrouver au-dessus du vide…

L’un et l’autre de vos chroniqueurs préférés (!!!) se sont retrouvés plusieurs fois dans leur vie dans cette situation inconfortable. Au début, on a été fâchés, très fâchés. On a eu beaucoup de dépit, on a blâmé les autres. Puis peu à peu on s’est regardés dans le miroir. On a dépassé son désespoir du moment et on a continué, en réfléchissant davantage et en évitant de penser qu’on avait tout raison…

Nous ne savons pas comment les étudiants vont se dépatouiller de l’impasse actuelle, mais on n’est pas trop inquiets. Il y a dans ce mouvement un réservoir d’expérience et d’intelligence immense. Il est très probable que les étudiant-es ne seront pas intimidés trop longtemps par quelques excités qui pensent que c’est plus honorable de se casser la tête sur le mur plutôt que de penser à d’autres moyens.

Pour le moment, il y a deux pistes, deux chemins (qui ne sont pas balisés par ailleurs) qui s’ouvrent au mouvement populaire. D’abord, c’est le travail en régions. C’est là où le dispositif du pouvoir est le plus fragile, car il est devenu tellement clair que le « projet » de Couillard est d’aggraver la fracture entre la « périphérie » et le « centre ». Le développement, ce n’est pas pour les régions, à part les projets miniers. Les gens sentent cela et disent, « Ne touchez pas à ma région ». Les potentats locaux, y compris les clownesques députés du PLQ, le savent aussi et ils essaient de se faire oublier. Alors il faut agrandir cette faille et constituer dans les régions de véritables « fronts populaires » avec tout le monde. Dans cette aventure, il y a d’énormes opportunités pour Québec Solidaire d’avancer en dehors de son « périmètre » montréalais.

Ensuite, il y a devant nous la journée d’action du premier mai. Nous avons dit « journée d’action » et non pas manifestation, car c’est cela qui s’annonce. Le mouvement pourrait être massif et créatif, en évitant ce que les dominants espèrent : des confrontations inutiles, des pseudos actions « de commando ». Le premier mai, cela devrait être un festival des masses dans toutes les régions du Québec, comme cela s’annonce déjà notamment parmi les profs de cégep et les syndicats du secteur public…

Pour le reste, il y a l’indépassable travail de fourmi. À notre connaissance, personne ne peut empêcher un travail d’éducation populaire en profondeur. Ni les flics ni les champions des médias-poubelles. Ni même les gens réticents dans les appareils syndicaux. C’est à nous de bouger. C’est à vous de bouger. L’histoire ne s’écrit pas en claquant des doigts, mais par le mouvement perpétuel des idées, des actions et de la solidarité. Comme intellectuels, nous avons un rôle et une obligation de prendre parti dans cette marche de l’histoire.

Robert Deschambault

Militant CSN

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