Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Histoire

Réponses à Jean-Paul II

Déclaration commune : Prenons la parole

Ce texte a été produit par une Coalition de la région de Québec lors de la venue du pape Jean-Paul II en 1984. Il critique concrètement le discours réactionnaire de l’Église catholique et de ce pape. Nous remercions Serge Roy qui a retrouvé dans ses archives ce texte et nous l’a fait parvenir.

La visite de Jean-Paul II n’est pas souhaitée par tout le monde. Des Québécoises et des Québécois ne partagent aucunement le discours conservateur et dogmatique fusse-t-il du Pape lui-même.

États, partis, églises, rien ne doit trouver grâce devant la nécessité d’une conscience lucide et critique. Nous refusons un discours qui se transforme en législations civiles, en attitudes répressives et autoritaires. Nous dénonçons la confusion induite par ce pouvoir qui prêche l’amour pour défendre son clergé, ses dogmes et ses privilèges.

Nous opposons à ces pouvoirs, et à celui de l’Église en particulier, l’humaine puissance de nos désirs, de nos dires, de nos expériences individuelles et collectives, de nos colères, de nos joies, de nos luttes, de nos jouissances et de nos amours.

Les signataires regroupent des femmes et des hommes qui travaillent dans la région de Québec à la promotion des droits individuels et collectifs. Ils et elles sont persuadé-e-s de ne pas uniquement se représenter, mais également de rejoindre celles et ceux qui savent encore puiser en eux la force de lutter contre les oppressions de toutes sortes : celles imposées aux femmes, aux gais et aux lesbiennes, aux travailleuses et aux travailleurs, aux peuples qui luttent pour leur libération nationale, aux jeunes, à celles et ceux qui prônent la liberté de conscience

Paroles de femmes.

Jean-Paul II est la tête d’une Église sexiste et patriarcale. Tous les prêtres, tous les évêques, tous les cardinaux des hommes, des célibataires liés par un vœu de chasteté. Et ce sont eux qui veulent imposer aux femmes leur morale. La soumission des femmes, leur devoir de procréer, théorisé par tant de pères de I’Église sont encore soutenus avec vigueur par Jean-Paul Il. Il est vrai que dans cet univers exclusivement masculin, le souffle du féminisme est : plutôt frêle et que ces messieurs n’ont pas d’électrices.

Jean-Paul, Il a ses vérités à imposer aux femmes. Pour Jean-Paul II, les femmes qui utilisent des moyens contraceptifs ou qui veulent mettre fin à une grossesse ne connaîtraient pas leurs intérêts réels. Jean-Paul II considère qu’il a un droit de contrôle sur le corps des femmes. Il considère qu’il lui revient d’indiquer aux femmes quand et dans quelles conditions elles doivent avoir des enfants. Mais ce sont elles qui vont vivre toutes les conséquences de leurs choix, pas le prince de 1’Église.

Pour Jean-Paul II, les femmes qui veulent obtenir le divorce ne comprendraient pas le caractère sacré et indissoluble du mariage. Jean-Paul II est-il seulement au courant que 85% des divorces au Québec sont demandés par des femmes. Les femmes n’acceptent plus de vivre la violence conjugale, la soumission au nom d’un devoir social et familial. Les femmes prennent leur droit de mettre fin à une relation qui ne leur apporte plus rien sauf le mépris. Les femmes refusent la patience et l’abnégation que leur prêche Jean-Paul II.

Pour Jean-Paul II, les femmes qui veulent vivre leur sexualité comme elles l’entendent ne comprendraient pas les desseins de Dieu. Jean-Paul Il prétend vouloir dicter aux femmes leur comportement sexuel niant leur liberté et leur autonomie. Par la promotion de la fidélité exclusive, il cherche à imposer des modèles de comportement décrochés de la réalité et des besoins des femmes.
Mais Jean-Paul Il est là pour leur indiquer la bonne voie. L’Église de Jean-Paul Il est là pour leur faire comprendre leur irresponsabilité et leur aveuglement. Et si les femmes persistent à ne pas comprendre, si elles s’entêtent à ne pas saisir le message, I ‘Église catholique fera pression sur l’État pour imposer sa morale légalement. Non seulement I ‘Église catholique prêche une morale aliénante à ses fidèles, elle tente de l’imposer à toutes les femmes. Elle mène des campagnes politiques pour amener les États à interdire aux femmes l’accès à l’avortement, pour leur enlever leur libre choix.

Ses vérités ne sont pas celles des femmes. Ce sont celles d’une Église qui veut maintenir son autorité et son pouvoir de culpabilité. Ce sont celles d’une institution qui ne voit les femmes que dans leur rôle de servante obéissante.
Pour l’Église de Jean-Paul II, les femmes ont une seule vocation, celle d’être mère et servante. La béatification de Mere Marie Léonie, fondatrice d’une communauté dévouée aux soins domestiques des prêtres, est révélatrice des idéaux que Jean-Paul li veut proposer aux femmes : humilité, sens du service et du soutien envers les hommes.

Les femmes refusent cette sujétion. Elles refusent cette morale répressive. Elles luttent pour réapprendre à jouir de la vie, réapprendre à parler sans entrave, à réapprendre leur autonomie et à vivre selon leurs propres valeurs et leurs propres choix.

Paroles de gais et de lesbiennes,

Jean-Paul Il refuse aux gais et aux lesbiennes le libre choix à leur orientation sexuelle. Il ne craint pas reprendre les termes les plus honteux pour les présenter comme des malades. Il appelle à leur guérison et au retour sur la voie de ta sexualité hétérosexuelle et reproductrice. En dehors de la reproduction, point de salut. Grand semeur de culpabilité, Jean-Paul II ne craint pas d’affirmer que sa morale est naturelle et qui refuse de s’y rallier est à condamner. Les gais et les lesbiennes veulent en finir avec l’hypocrisie de la fameuse « normalité hétérosexiste ». Ils et elles veulent la reconnaissance de leurs pleins droits démocratiques dans le choix de leur orientation sexuelle.

Paroles de travailleuses et de travailleurs.

Nous refusons un monde en miettes et sans espérance dont les encycliques ne cessent de cautionner les fondements depuis un siècle. (De Rerum Novarum, 1891 à Laborem Exercens, 1981). Dans Laborems Exercens, rêvant d’un saut en arrière alors que les femmes étaient exclues du marché du travail, Jean-Paul II propose un salaire familial suffisant, payé au mari, pour que les femmes puissent rester à la maison et se consacrer aux tâches domestiques à la reproduction.

Un monde qui exclut les travailleuses et les travailleurs d’une appropriation collective et démocratique des biens et des ressources, et de la gestion et de la répartition équitable des richesses. Ce monde ne nous ressemble pas et doit être changé.

Au moment où la crise économique frappe, il est de bon ton pour le Chef de l’Église catholique d’appeler « à de nouvelles solidarités » qui auraient comme conséquences de protéger le système économique existant. Jean-Paul II défend une solidarité bien particulière. Nous savons qu’il y a ceux qui peuvent embaucher ou licencier ; qui peuvent organiser le travail comme bon leur semble, qui peuvent choisir les productions, qui peuvent fermer une usine. D’autre part, il y a ceux et celles qui tombent en chômage, qui doivent obéir’ aux ordres, qui n’ont pas de contrôle sur leur travail et qui vivent comme une catastrophe la fermeture de leur usine ou de leur poste de travail. Nous comprenons que cet appel à la « solidarité » se transforme en exigence pour que les travailleuses et les travailleurs se serrent la ceinture. Piètre consolation pour nous que. son invitation aux compagnies à plus d’esprit de justice.

Cet appel à plus d’humanisation des rapports du capital et du travail est un leurre et une fraude principalement pour les classes populaires. Il n’est pas plus crédible aujourd’hui qu’hier. Cette vision va à l’encontre du contrôle de notre propre vie, y compris à I’intérieur de notre travail quotidien.

Nous ne pouvons attendre de Jean-Paul II qu’il franchisse l’étape qui l’amènerait à inverser sa doctrine sociale. Nous ne pouvons attendre de lui qu’il cesse de condamner en principe l’ensemble des forces populaires qui luttent pour le contrôle de leur vie sur les plans économique et politique. Jean-Paul II se contente de réprouver les excès du système dans lequel nous vivons. Il ne craint pas de lui donner une légitimité qu’il fonde sur le droit naturel venant de Dieu. Il est prompt à s’appuyer sur les perversions du socialisme pour être aveugle aux aspirations des forces qui veulent remettre en cause rapidement le partage actuel du pouvoir et des richesses.

Paroles pour les peuples en lutte.

Alors que 60% de la population mondiale affronte la faim, la maladie et la misère et que des peuples luttent pour se libérer, Jean-Paul II refuse de comprendre les luttes de libération de ces peuples. Pour lui, les diverses catégories d’une population doivent collaborer harmonieusement. Les riches doivent éviter les excès et être généreux.. Les pauvres doivent être patient-e-s et éviter la violence.
Pour Jean-Paul Il, on peut être du côté des pauvres pourvus que ces derniers ne remettent pas radicalement en cause leurs conditions d’existence et qu’ils ne prennent pas les moyens nécessaires pour les changer. Aux hommes et aux femmes les plus opprimé-e-s de la planète, Jean-Paul prêche la patience et le pardon.

En Corée du Sud, il a été jusqu’à exalter les vertus de miséricorde à la population pour l’inviter à pardonner les massacres que le gouvernement sud-coréen avait perpétrés dans la ville de Kwanju en 1980.

Les condamnations pleuvent lorsque les peuples se donnent les moyens d’assurer leur libération. Au Nicaragua, il a refusé de reprendre à son compte les appels à la paix et à la condamnation de l’intervention américaine contre leur .pays que réclamait la foule venue le rencontrer. Au Salvador. il a donné son appui à la farce électorale qui devait porter Duarte au pouvoir. Ces élections avaient comme but de donner à la junte militaire une façade démocratique afin de permettre aux États-Unis de lui fournir des armes pour pouvoir continuer à massacrer les populations civiles.

Jean-Paul lI et le Vatican ont lancé une offensive en règle contre la « théologie de la libération ». Jean-Paul Il ne peut accepter une théologie qui affirme qu’on peut trouver dans les évangiles les fondements de la nécessaire implication des chrétiens et des chrétiennes dans les luttes de libération nationale. Cette offensive contre la « théologie de la libération » menée par le Vatican coïncide avec les plans de Ronald Reagan comme l’affirmaient ses conseillers dans le document de Santa Fe. II y a des collaborations qui sont douteuses et révélatrices.

Il condamne les églises populaires qui s’impliquent dans la lutte de leur peuple pour leur libération. Au Guatémala, Jean-Paul II a appelé les prêtres à se tenir hors de la politique ; en d’autres termes, à ne pas participer aux combats contre la dictature. Au Nicaragua, il a demandé aux prêtres membres du gouvernement sandiniste de démissionner sous la menace de les relever de leurs fonctions de prêtres. Il a appelé l’Église populaire du Nicaragua à obéir à la hiérarchie qui joue là-bas le rôle de leader de l’opposition liée aux puissances d’argent. Il n’a pas critiqué l’évêque Obando y Bravo qui est le chef de me de l’opposition politique au régime sandiniste. Mais il a condamné les prêtres qui veulent lier leurs actions a I’amélioration du sort de leur peuple.

Où sont donc les condamnations par Jean-Paul II du rôle du gouvernement américain contre les peuples centroaméricains et les peuples du tiers-monde ? Où sont donc les condamnations des dictatures sanglantes ? Vous ne tes trouverez pas dans les messages de Jean-Paul Il. Il a choisi son camp, ce n’est pas celui des opprimé-e-s.

Paroles de jeunes.

Les jeunes sont les exclu-e-s de notre société. Le chômage massif (au Québec, 23% de chômage pour les 15-24 ans), I’école qui n’ouvre sur rien, les humiliations et le chantage qui découlent de leur dépendance économique, voilà le sort réservé à de plus en plus de jeunes. Ils et elles doivent souvent vivre l’impossibilité pratique de quitter la famille. Le retour chez les parents devient une obligation pour beaucoup. Ce sont là les causes de frustrations multiples.
Ces conditions de marginalisation d’oppression ont des racines communes l’organisation socio-économique et les intérêts des groupes au pouvoir.
Jean-Paul lI ne condamne pas une société qui brime les aspirations les plus légitimes des jeunes. Il ne critique pas une société qui offre à de jeunes que de maigres moyens de survie. (Des prestations d’à peine plus de $150 par mois pour les moins de 30 ans).

Jean-Paul II invite les jeunes à construire un monde nouveau sur un modèle ancien qui n’est même pas servi à la moderne. Il leur prêche le respect de l’autorité, le sens de la hiérarchie, la compréhension de leur soumission. II leur prêche la négation de leur sexualité qui pour lui doit se limiter au mariage et à la reproduction. Il leur offre le refuge dans le sacré comme alibi et succédané d’une vie réelle et satisfaisante.

Des jeunes refusent et s’organisent. Ils et elles refusent le sort qui leur est fait. Ils et elles refusent de s’illusionner sur les causes de l’injustice et se battent pour y mettre fin.

Paroles pour la liberté de conscience.

Les évêques pourraient peut être nous expliquer pourquoi l’Église est en « exil » [1] au Québec alors que leur emprise sur l’école est quasi totale avec un budget annuel de plus de 267 000 000$.
Cette dîme déguisée permet à l’Église catholique d’avoir son réseau de transmission d’une foi religieuse qui relève en premier lieu de la famille et des communautés de croyants. Dans son message aux évêques québécois [2] le pape appuie et encourage ces derniers dans leurs prétentions à maintenir l’école publique et commune francophone sous le contrôle de l’Église.

Ce n’est pas un hasard si dans le projet de loi scolaire l’Église catholique conserve les mêmes pouvoirs qu’auparavant et davantage : le comité catholique dont les membres sont nommés par l’assemblée des évêques a le privilège de censure religieuse et par conséquent d’autorisation sur tous les programmes, manuels et matériels didactiques. De plus les conseillers en éducation chrétienne seraient nommés directement par les évêques. Des animateurs de pastorale qui ont aussi pour rôle d’organiser l’école du point de vue social et culturel seraient obligatoirement en place dans les écoles publiques québécoises confirmant ainsi l’emprise de l’Église sur le réseau scolaire.

Sur les plans des Droits de l’homme, on se demande où toge la hiérarchie catholique québécoise appuyée par le pape quand elle obtient du gouvernement de soumettre au vote majoritaire d’une population le droit individuel et inaliénable à la liberté de conscience et de religion.

Pour fonder cette exigence, les évêques ont obtenu que le gouvernement amende prochainement la Charte des Droits et Libertés de la Personne du Québec au détriment du respect des libertés fondamentales. On comprend mieux pourquoi l’État du Vatican n’était pas du nombre des signataires de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), ni des protocoles complémentaires des années récentes.

Le plein respect de ces droits exigerait que l’école québécoise soit laïque. Quand les évêques québécois affirment que la démocratie est sauve, il y a là une mystification qui ne trompe pas. C’est une politique de Gribouille qui refuse le pluralisme dans les faits.

L’Église et l’État invoquent donc faussement la séparation des pouvoirs. C’est plutôt la confusion des pouvoirs qui vise à I’intégration religieuse.

L’Église joue un rôle de gouvernement et le gouvernement un rôle d’Église. Au nom des libertés fondamentales, nous réclamons : -que la présente réforme scolaire proclame la laïcité des structures administratives des écoles et de l’enseignement i.e. qu’elle prévoie : au niveau de l’école un statut juridique d’école publique et commune excluant tout statut confessionnel ; au niveau de l’administration scolaire la disparition, au sein du ministère de l’Éducation et des Commissions scolaires, des structures et des services publics visant à gérer, à contrôler ou à assurer la confessionnalité de l’enseignement.

Conclusion.

Jean-Paul II représente une Église bloquée par le terrible poids du passé. Depuis des siècles, elle a connu une liaison traditionnelle avec les puissants de ce monde qui a fondé son pouvoir. Aux classes populaires, elle a toujours enseigné le mépris du monde. Elle a enseigné que l’essentiel était de se préparer à la vie éternelle en se résignant aux misères d’ici-bas. Elle a assimilé la volonté de transformer le monde au péché défini comme orgueil et révolte. Elle a donc été un instrument de conservatisme et de stagnation.

Devant·l’ampleur des remises en questions provoquées par les femmes, les Eglises populaires, la théologie de la libération, la laïcisation des Etats, l’Église se raidit et passe à une offensive en règle contre les forces progressiste. Ces forces représentent l’avenir. Jean-Paul II représente le passé. Le Pape ne représente pas la volonté d’émancipation, mais la résignation et le faux réalisme. Il ne peut être le porte parole de nos luttes, de nos volontés de changement, mais un éteignoir en influençant les politiques de certains Etats.

Jean-Paul Il joue un rôle politique unique sur la scène mondiale. Il prêche le bon ententisme aux travailleuses et au travailleurs. Il les invite à ne pas se servir de leurs organisations syndicales et populaires pour assumer la dimension politique de leurs luttes. Il veut cantonner les femmes dans des rôles traditionnels. Il appuie les politiques d’austérité que nos gouvernements veulent imposer à la population. Et les gouvernements comprennent bien leurs intérêts en appuyant ce voyage et en y consacrant des sommes considérables.

C’est pourquoi nous prenons la parole.


[1Rapport des évêques au pape, 1983

[2Message du pape aux évêques, Le Soleil, 25 octobre 1983

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