Édition du 23 avril 2024

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Politique québécoise

Le gouvernement péquiste (1994-2003) et la politique énergétique

Des leçons à tirer des grandes manœuvres et des petits jeux d'un gouvernement qui parlait des deux côtés de la bouche

Relire la section du programme du PQ de 1994 portant sur la politique énergétique permet de comprendre comment ce parti peut se payer de mots pour récupérer les sentiments en faveur de la défense de l’environnement, qui étaient, déjà à l’époque, profondément enracinés. Cet exercice est particulièrement important à l’heure où il s’apprête à brouiller les pistes sur ses intentions réelles comme le démontre le document de consultation qu’il vient de publier pour définir « une nouvelle vision du Québec en matière d’énergie », document intitulé, « De la réduction des gaz à effet de serre à l’indépendance énergétique du Québec, ». Dans ce document, le gouvernement péquiste affirme tendre « à une gestion optimale des hydrocarbures » et il prétend défendre la réduction de la production des gaz à effet de serre. Ce n’est pas la première fois que ce gouvernement parle des deux côtés de la bouche.

Dans son programme de 1994, le PQ affirme vouloir placer le Québec sur la voie de la réduction de la consommation globale d’énergie. On y peut lire qu’accroître la consommation d’énergie est incompatible avec la notion de développement durable. À cette orientation se greffent des principes visant à encadrer ces choix énergétiques :

 accorder la priorité à l’efficacité énergétique sous toutes ses formes ;

 intégrer les coûts sociaux et environnementaux dans les choix énergétiques ;

 assurer la transparence de ces choix ;

 affirmer la primauté des choix démocratiques et politiques sur les résultats des méthodes économiques, techniques sociales ou environnementales...

Dans une section du programme de 1994 intitulée, « Quelles sources d’énergie pour l’avenir ? », section qui sera éliminée du programme de 1996, on va plus loin encore. « Nous visons à tailler aux énergies nouvelles et renouvelables une place de plus en plus grande dans notre bilan énergétique » et on énumère l’électricité éolienne, le photovoltaïque, le solaire, la biomasse, la géothermie. « Le gouvernement favorisera donc ces nouvelles sources et stimulera la recherche et le développement dans ces secteurs. » Plus loin, on souligne encore la priorité : « Les énergies fossiles sont appelées à décroître de façon significative, et ce, à peu près dans tous les secteurs. Leur remplacement par des sources nouvelles et renouvelables et l’accroissement de l’efficacité énergétique les conduira sur la voie du déclin. »

A. L’efficacité énergétique ne sera pas priorisée, mais marginalisée

L’efficacité énergétique (EÉ) vise à réduire la consommation de l’énergie sans affecter le bien-être des consommateurs tout en sauvegardant l’environnement. Elle permet de créer plus d’emplois que n’importe quelle filière de production traditionnelle, car elle favorise la multiplication de chantiers dans toutes les régions du Québec. Des spécialistes ont même estimé qu’Hydro Québec pourrait répondre aux besoins énergétiques des QuébécoisEs sans toucher à nos rivières.

Mais Hydro Québec n’a pas fait l’efficacité énergétique une priorité. Les projets en ce domaine sont restés marginaux. L’efficacité énergétique a été reléguée à l’arrière-plan. Hydro-Québec a misé essentiellement sur la construction de nouvelles centrales et la croissance de ces ventes à l’étranger. « Pendant qu’Hydro-Québec investira 2,4 milliards au cours des cinq prochaines (1995-2000), il ne consacrera pas plus de 5 millions aux programmes d’efficacité d’énergie. (Voir, Hydro-Québec : une entreprise privée, à contrôle étatique, par Martin Poirier, Le cas de l’électricité, in À qui profite le démantèlement de l’État, p. 263)

B. Hydro-Québec prend un tournant affairiste centré sur l’exportation de l’énergie aux États-Unis

En 1997, André Caillé, le PDG d’Hydro-Québec, prévoit dans son plan stratégique la construction de barrages hydro-électriques destinés strictement à l’exportation de l’électricité vers le marché américain. C’est la première fois de puis la nationalisation que le gouvernement autorise la construction d’ouvrages explicitement dédiés à l’exportation... (Martiini Poirier, ibid.)

Les ventes d’électricité hors Québec ont connu une croissance importante depuis l’ouverture des marchés de gros, passant de 0,6 G$ en 1997 à plus de 3 G$ cette année... (Canada News Wire, Hydro-Québec dévoile ses résultats financiers de 2001), le 27 mars 2002). Pourtant, ces exportations se font souvent à perte, car l’électricité est vendue à un coût moindre que son coût de production.

C. Loin d’assurer la transparence des choix, on procède par décret, on impose sur un mode autoritaire la déréglementation

La façon dont le gouvernement a traité Val Saint-François dans les Cantons de l’Est est révélatrice sur le peu de place laissé à la population dans les choix d’Hydro Québec.

Malgré leur mobilisation, malgré le fait que le BAPE leur ait donné raisons, ces citoyens ont dû plier. Le gouvernement péquiste adoptait en juin 2000, la loi 116, qui a soustrait le secteur de l’électricité à la juridiction du Bape. ( Jacques B. Gélinas, Le virage à droite des élites québécoises, Écosociété, 2003, page 105)

D. On remet en question de pacte social à l’origine de la nationalisation et on rejette toute idée de redistribution des richesses issues de ce pacte.

Hydro-Québec s’est lancée dans son aventure états-unienne en isolant sa division « transport », ce qui a eu pour effet de scinder Hydro-Québec en trois entités autonomes : distribution, production et transport. Les deux dernières restent largement excédentaires. Cependant, la division « distribution », où Hydro-Québec a regroupé ses activités les moins payantes (dont l’approvisionnement en électricité des Québécoises et aux Québécois), est automatiquement tombée dans le rouge. Hydro-Québec préparait par là la hausse des tarifs, quand la mission qu’il se fixait n’était plus de fournir l’électricité au moindre coût, mais d’augmenter la rentabilité d’Hydro Québec. Par son orientation concrète en ce qui concerne la politique énergétique. Le gouvernement péquiste a jeté les bases des hausses de tarifs que le gouvernement Charest favorise depuis quelques années et que le gouvernement Marois a maintenant repris à son compte. .

Alors qu’il préparait les conditions de la hausse des tarifs pour les citoyen-NE-s du Québec, Hydro-Québec offrait de l’électricité au rabais à des entreprises énergivores.

E. On abandonne la priorité proclamée aux énergies renouvelables

Hydro-Québec n’a pas favorisé le passage aux énergies propres et renouvelables. Au lieu de faire du développement de l’éolien un véritable projet national, Hydro-Québec a favorisé de gros investissements dans la construction de grands barrages et le développement de l’hydroélectricité. Plus, dans ses plans stratégiques, Hydro-Québec affirmait s’intéresser au développement du gaz naturel pour produire de l’électricité avec des centrales thermiques et à l’exploitation du pétrole dans le golfe St-Laurent. C’est dans ce cadre que l’entreprise d’État a lancé sans évaluation environnementale des activités d’exploration gazière et pétrolière dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent.

En somme, il n’y a pas eu un virage vers l’efficacité énergétique et de virage vers les énergies propres et renouvelables. Tout cela a été rejeté par le gouvernement péquiste de 1994 à 2003. Mais, il y a donc eu l’ouverture à la privatisation dans le domaine de l’énergie et même l’hypothèse d’une privatisation d’Hydro-Québec a été soulevée.

« Les effets de ces politiques sont multiples : abandon graduel de l’interfinancement au désavantage des consommateurs résidentiels, perte de contrôle sur les lignes de transport d’Hydro Québec, abandon des programmes d’efficacité énergétique, risques financiers assumés par la collectivité et liés à l’aventure américaine, dommages environnementaux énormes suite à la dérivation de nombreuses rivières et à la construction de nouveaux barrages, intensification de la production privée d’électricité et coupures dans les emplois chez Hydro-Québec. » (Voir, Hydro-Québec : une entreprise privée, à contrôle étatique, par Martin Poirier, le cas de l’électricité, in À qui profite le démantèlement de l’État, p. 276)

Dans les programmes du PQ de cette période, les bonnes intentions sont nombreuses, mais le diagnostic est schématique et les perspectives sont jovialistes. Aucune explication de fond ne permet de comprendre les liens entre le système économique capitaliste, les décideurs qui y oeuvrent, leurs intérêts et les choix environnementaux désastreux qui sont faits sous l’impulsion de la recherche des profits au détriment de l’environnement.

La politique énergétique est présentée d’abord comme un choix parmi d’autres alors qu’elle est l’enjeu d’une lutte essentielle où des intérêts des groupes sociaux privilégiés et de la majorité de la population s’affrontent. C’est pourquoi le programme de 1994 va être balayé et remplacé par des choix économiques qui vont dans le sens des intérêts de l’oligarchie économique régnante sur cette société. Cette oligarchie impose la défense de ses intérêts au gouvernement en place.

Conséquence, le gouvernement péquiste (1994-2003) que ce soit sous la direction de Jacques Parizeau, de Lucien Bouchard ou de Bernard Landry a été à l’encontre de tous les principes et les choix énergétiques exposés dans les programmes du Parti québécois. Cela s’explique moins par une logique de reniement que par le rejet de ces choix programmatiques par des groupes d’intérêt radicalement opposés à de tels choix et qui occupent une position dominante dans la société québécoise.

Quelles leçons faut-il en tirer ?

Il faut ne faut pas se fier aux discours lénifiants de politiciens et de politiciennes dont les choix économiques et environnementaux sont liés à la défense des intérêts de l’oligarchie. Sans une rupture claire avec cette dernière et une mobilisation citoyenne massive pour forcer des choix écologiques contre les intérêts de cette oligarchie, cette dernière ne lâchera pas le morceau.

La reconversion écologique ne peut être simplement décrétée d’en haut, mais doit résulter de l’immixtion des citoyen-ne-s et des travailleurs et des travailleuses tout au long de ce processus de transformation. La question de la propriété est ici décisive. Il est illusoire de penser qu’une reconversion écologique véritable puisse être mise en place sans que les grands moyens de la production et d’échanges passent sous contrôle populaire, et donc que le pouvoir non seulement du capital financier, mais aussi du capital industriel sur l’ensemble des choix énergétiques soit sérieusement remis en question. Ce contrôle populaire doit selon nous prendre la forme d’une appropriation publique et sociale, aux niveaux local, national et être pensé non seulement comme une réponse à la domination du secteur privé, mais également comme une alternative aux dérives et échecs des nationalisations technocratiques comme l’a été celle ayant donné naissance à Hydro-Québec.


Sources

Hydro-Québec : une entreprise privée, à contrôle étatique, par Martin Poirier, le cas de l’électricité, in, À qui profite le démantèlement de l’État, Chaire d’études socioéconomiques de l’UQAM, 1998

Revue de presse sur la politique énergétique du gouvernement péquiste (1994-2003)

Jacques G. Gélinas, Le virage à droite des élites québécoises, Écosociété, 2003

UFP, Mémoire sur la politique de l’énergie, 2005.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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