Édition du 16 avril 2024

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Economie mondiale : l’illusion de la reprise

Il est stupéfiant que Standard & Poor’s se permette de dire quoi que ce soit sur la seule catégorie de dette au monde jugée susceptible d’ajouter de la valeur.

Cette agence de notation, après tout, est l’un de ces établissements dont les échecs ont puissamment contribué à la crise financière.
Cela dit, le fait qu’elle ait annoncé, lundi 18 avril, avoir fait passer la perspective d’évolution de la dette fédérale américaine de « stable » à « négative », nous rappelle une réalité essentielle : l’économie mondiale n’est pas engagée sur une voie stable.

Au contraire, pour reprendre une formule souvent employée par le premier ministre chinois, Wen Jiabao, à propos de son propre pays, l’économie mondiale est « instable, déséquilibrée, non coordonnée et non durable ». La position budgétaire américaine n’est que l’un des nombreux dangers existants - et c’est loin d’être le pire.

Cela n’apparaît sans doute pas de manière évidente à la lecture des dernières « Perspectives de l’économie mondiale » du Fonds monétaire international (FMI). Au niveau mondial, ces prévisions sont les mêmes qu’en janvier : une solide croissance de 4,4 % pour 2011 et de 4,5 % en 2012.

Même aux taux de change du marché, la croissance devrait être respectivement de 3,5 % et 3,7 %. Le volume mondial des échanges devrait croître de 7,4 % cette année et de 6,9 % en 2012, après le redressement post-crise de 12,4 % en 2010.

L’inflation devrait être, elle aussi, raisonnablement contrôlée, avec des prix à la consommation dans les économies avancées augmentant de 2,2 % en 2011 et de 1,7 % en 2012. Même dans les pays émergents, l’inflation devrait passer de 6,9 % cette année à 5,3 % en 2012.
Mais ces mêmes « Perspectives » dessinent un schéma de croissance divergente. Les pays avancés devraient connaître un redressement modéré, avec une croissance de 2,4 % en 2011 et de 2,6 % en 2012.

Les pays émergents et en développement, eux, enregistreront une croissance de 6,5 % en 2011 et 2012, la partie développée de l’Asie devant même, emmenée encore une fois par la Chine et l’Inde, connaître une croissance de 8,4 %.

Ce déséquilibre traduit aussi une grande incertitude. Le « Rapport sur la stabilité financière mondiale », du même FMI, s’ouvre sur la constatation audacieuse que « les menaces sur la stabilité financière mondiale ont diminué » depuis octobre 2010. La confiance s’est certes améliorée. Mais la réalité est un tout autre domaine.

Tout d’abord, les pays avancés n’ont d’aucune manière renoué avec la normalité : les déficits budgétaires demeurent exceptionnels ; la politique monétaire est extrêmement accommodante ; le secteur financier est fragile, en particulier dans la zone euro ; la croissance du crédit a été remarquablement lente aux Etats-Unis et dans la zone euro ; les ménages de plusieurs pays, parmi lesquels les Etats-Unis et le Royaume-Uni, restent fortement endettés ; et, enfin, il existe au sein de la zone euro un risque de défauts souverains ou de faillites bancaires, voire des deux.

De surcroît, en dépit de l’ampleur des mesures de relance monétaire et budgétaire mises en œuvre, on estime toujours que la reprise dans ces pays sera anémique.

Deuxièmement, tandis que les pays avancés sont plongés dans les difficultés, plusieurs Etats émergents pâtissent d’une expansion excessive du crédit et d’une surchauffe.

PRODUCTION SUPÉRIEURE AUX NIVEAUX D’AVANT-CRISE

Dans de nombreux pays, notamment dans l’Asie et l’Amérique latine en développement, la production est bien supérieure aux niveaux d’avant-crise. Les positions de l’Argentine, du Brésil, de l’Inde et de l’Indonésie sont particulièrement préoccupantes. « Dans beaucoup de ces économies, note le FMI, l’inflation non corrigée aussi bien que l’inflation sous-jacente sont soit en augmentation par rapport aux faibles niveaux où elles se trouvaient, soit déjà à un niveau assez élevé. »

Le FMI cite les exemples du Brésil, de la Colombie, de l’Inde, de l’Indonésie et de la Turquie ; au cours des cinq dernières années, le crédit par tête a, en termes réels, presque doublé dans ces économies. Une bonne partie de ce crédit concerne l’immobilier.
Le FMI ajoute que « de telles expansions sont proches de celles que l’on a connues dans le passé avant des booms et des crises du crédit ».

En troisième lieu, les interactions entre les deux camps de notre économie mondiale divisée sont complexes et préoccupantes.
L’une d’elles se manifeste par le boom des prix des biens marchands. L’indice des prix marchands établi par le FMI a augmenté de 32 % entre juin 2010 et février 2011.

Cette augmentation s’explique par la forte demande dans les économies émergentes en croissance rapide, notamment la Chine, par les conditions difficiles de l’offre, particulièrement dans le domaine alimentaire et, enfin, par l’instabilité politique dans certains pays producteurs de pétrole.

D’aucuns soutiennent que la faute en incombe à la politique monétaire. Ce n’est guère convaincant. Mais le très faible niveau des taux d’intérêt diminue le coût du financement des stocks, tandis que le déclin du dollar américain renchérit les prix en dollars.

La hausse rapide des prix contribue à la forte inflation dans les économies émergentes et à la stagflation dans les pays avancés. Il en résulte des pressions en faveur d’un resserrement monétaire qui entraînerait, en termes nominaux, la baisse d’autres prix, dont celle des salaires.

Autre interaction, l’afflux de capitaux dans les pays émergents y génère une pression sur les taux de change. Mais celle-ci ne s’exerce pas de manière uniforme, puisque la Chine gère de manière très efficace son propre taux de change.

De nombreux pays craignent que l’appréciation de leur monnaie et le creusement des déficits de leurs comptes courants ne rendent leurs économies vulnérables à d’éventuels changements de la politique monétaire américaine.

CONTRÔLE DES CAPITAUX

Le FMI suggère que « le contrôle des capitaux pourrait être à court terme le seul instrument disponible pour les autorités ». Mais il me paraît douteux que des économies ouvertes puissent s’en servir aussi efficacement que le fait la Chine.

Le dernier point concerne le ré-équilibrage de la demande mondiale. En dépit de la surchauffe que connaissent plusieurs pays émergents, le FMI estime que celui-ci s’est enrayé.

Il remarque par ailleurs que les conséquences négatives du rééquilibrage budgétaire, dans les pays à hauts revenus, sur la demande doivent être en partie compensées par une hausse de leurs exportations nettes.

Malheureusement, souligne-t-il, « une part disproportionnée du rééquilibrage de la demande depuis le début de la crise a été supportée par des économies qui ne présentent pas de vastes excédents de leurs comptes courants, mais qui attirent les flux de capitaux en raison du caractère ouvert et de la profondeur de leurs marchés des capitaux ». Un tel rééquilibrage - à la fois limité et pernicieux - accroît grandement le risque de nouveaux chocs financiers.
Rien de ce qui se passe actuellement ne laisse présager qu’aucun de ces défis ne sera géré de façon compétente et sans heurts.

Bref, ceux qui pensent que le monde est sur le point de gravir les pentes ensoleillées de la reprise ne font que se bercer d’illusions. De grosses difficultés s’annoncent.


WOLF Martin
* LE MONDE ECONOMIE. 27.04.11
* Cette chronique est publiée par « Le Monde » en partenariat exclusif avec le « Financial Times » © « FT ». Traduit de l’anglais par Gilles Berton.

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