Édition du 16 avril 2024

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Élections présidentielles en France

PRÉSIDENTIELLE 2022. LA CAMPAGNE DE JEAN-LUC MÉLENCHON REPORTAGE

En progrès mais peut mieux faire : Mélenchon vu des quartiers populaires

En progrès mais peut mieux faire : Mélenchon vu des quartiers populaires
Si de nombreux représentants des quartiers populaires apportent un soutien franc à l’Insoumis pour la présidentielle et louent l’évolution de son discours, beaucoup regrettent aussi que le mouvement soit encore trop fermé à la diversité quand il s’agit des investitures aux élections.

1 avril 2022 | mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/france/010422/en-progres-mais-peut-mieux-faire-melenchon-vu-des-quartiers-populaires

Chabal est un peu « déçu ». Il était descendu de son HLM pour voir Mélenchon en vrai. Finalement, il n’aura vu que son visage sur les affiches qui recouvrent la petite scène et la buvette-barbecue. Une légère frustration qui ne l’empêchera pas de voter pour lui dans 12 jours, même s’il n’a « pas trop les mots » pour expliquer pourquoi. Seulement qu’il n’a plus de travail, qu’il est allé proposer ses services à Carrefour mais qu’« il n’y a rien », et rien non plus à Pôle emploi. Alors voilà, il se retrouve avec sa fille dans le froid, au pied des barres d’immeubles, espérant que « ça puisse changer » si Mélenchon est élu.

Mercredi 29 mars, en fin d’après-midi, l’Union populaire a donné rendez-vous pour un meeting un peu exceptionnel, en plein cœur du Franc-Moisin, la plus grande cité 100 % HLM de Seine-Saint-Denis, située au pied du Stade de France. L’objectif, à une dizaine de jours du premier tour de la présidentielle : « Aller au devant des gens pour toucher une diversité sociale qu’on n’arrive jamais à avoir dans les meetings traditionnels », explique Éric Coquerel, député La France insoumise (LFI) de la circonscription mitoyenne, qui a organisé l’événement avec ses relais locaux.

Toute la soirée, des figures des quartiers, venues de toute la France, se sont relayées sur l’estrade et ont appelé à voter Mélenchon pour barrer la route à l’extrême droite, à la misère et aux violences policières. En face, une foule clairsemée, dont pas mal d’élus et d’associatifs locaux (comme Stéphane Peu, le député communiste de la circonscription), et quelques centaines d’habitants du Franc-Moisin, venus en badauds ou ayant cru, à tort, que le candidat serait là en chair et en os.

Un succès relatif, donc, en termes d’affluence, au regard des quelque 8 000 personnes vivant dans les 1 800 logements sociaux alentour. Mais un symbole fort : jamais une formation politique n’avait encore daigné – ou osé – tenir meeting en plein cœur de cette cité où les difficultés s’amoncellent.

Assise sur le côté de la scène, Bilaïdi, retraitée vivant depuis 42 ans dans une tour du « Franc », remue la poussette où son petit-fils mâchouille une sucette. Ses soucis du quotidien remplissent la discussion : son loyer passé, au fil des années, de 450 euros à 660 euros pour 900 euros de pension, sa difficulté à payer l’électricité, le marché où tout est trop cher…

À sa gauche, Madame Azoum, femme de ménage, a cinq enfants et des soucis plein la tête. Réajustant son hijab, elle ressasse l’histoire de son fils qui n’a jamais reçu les amendes pour stationnement. Résultat, tout s’est accumulé, et il a préféré abandonner sa voiture, mais il se voit quand même ponctionner 2 000 euros sur son compte, « et ça, ce n’est pas normal, ma sœur ! ». Comme Bilaïdi, Madame Azoum sait bien que «  Mélenchon ne fera pas de miracles  », mais « peut-être, quelque chose de mieux  » que Macron ou Zemmour.

Un travail de terrain

C’est aussi cet espoir ténu qui a poussé Hayat, mère au foyer, très engagée dans l’aide aux victimes de violences conjugales, à faire le trajet de Sevran au Franc-Moisin. Plus politisée que les deux autres, elle attend de savoir si l’Insoumis abrogera la loi contre le séparatisme, s’il abandonnera les procédures contre les fermetures de mosquées, s’il veut « réellement » la dissolution de la BAC (brigade anticriminalité). Il faut rester prudent, surtout quand « on est issue d’une minorité racisée ». Quand la gauche arrive au pouvoir, pense-t-elle, c’est toujours la même histoire : l’espoir puis les désillusions.

Alors il n’est pas simple de renouer le lien. Même si le mouvement de Jean-Luc Mélenchon peut se targuer de partir sur de bonnes bases (un tiers des personnes se déclarant au chômage et un quart des foyers recevant moins de 1 250 euros de revenu avaient voté pour lui en 2017), le chemin reste encore long pour (r)amener les habitants des quartiers populaires aux urnes.

Or cet enjeu électoral est, plus que jamais, décisif pour une formation qui s’estime au bord de la qualification pour le second tour. Éric Coquerel l’avait d’ailleurs théorisé après la dernière présidentielle, lors de laquelle, par exemple, un tiers des inscrits s’étaient abstenus en Seine-Saint-Denis : c’est ici, au Franc-Moisin, à la Grande Borne (à Grigny) ou encore à la Paillade (à Montpellier) que se trouvaient les fameuses 600 000 voix qui avaient manqué pour se hisser au second tour.

Depuis, c’est un travail de longue haleine qui s’est enclenché à l’intérieur d’une formation où près d’un tiers des députés sont des élus du 93. Il faut dire que LFI partait de loin : lors de la campagne de 2017, elle avait ressorti les drapeaux tricolores et sciemment mis en veilleuse les discours antiracistes afin d’éviter de faire fuir un électorat tenté par le Rassemblement national (RN).

Engagée dans un bras de fer interne au mouvement, la tendance la plus « progressiste » sur les questions de laïcité et d’immigration finit par gagner la partie, imposant, en novembre 2018, la tenue des premières « Rencontres nationales des quartiers populaires » à Épinay-sur-Seine, qui visibilisent les nouveaux acteurs de l’antiracisme – notamment le Comité Adama. Ce même jour, Jean-Luc Mélenchon entérine cette nouvelle ligne : « Je n’ai pas peur de le dire : ceux que vous voyez là, dans ces quartiers, c’est la nouvelle France. Celle sur laquelle nous nous appuierons pour tout changer demain », lance-t-il alors.

Mais en août 2019, lors d’une université d’été houleuse du mouvement, les propos du philosophe Henri Peña-Ruiz qui explique à la tribune qu’«  on a le droit d’être islamophobe » provoquent un tollé au sein de la formation. Trois mois plus tard, comme une réponse claire à sa propre base, l’Insoumis se montre à la manifestation contre l’islamophobie.

Par la suite, poussé par un débat public de plus en plus extrême-droitisé, l’Insoumis n’aura de cesse d’occuper le terrain, se résignant finalement à prononcer le mot « islamophobie  » et défendant « les musulmans » sur les plateaux TV, dénonçant les violences policières, dépassant son républicanisme atavique pour réactualiser le concept de « créolisation », ou s’insurgeant contre la loi « séparatisme » à l’Assemblée nationale… « On a coché pas mal de cases », se félicite Éric Coquerel, qui avoue avoir été l’un des principaux moteurs de ce changement de pied en interne.

Tribunes et collectifs de soutien

Les efforts paieront. Le 17 mars dernier, le collectif On s’en mêle, qui rassemble 120 représentants des réseaux de quartiers populaires, anciens du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) ou du Forum social des quartiers populaires, publiait dans Mediapart et le Bondy Blog une tribune appelant à aller voter pour Jean-Luc Mélenchon. Si le collectif mène une campagne parallèle, à coups de vidéos sur les réseaux sociaux et de rencontres – ses dépenses étant comptées sur les frais de campagne de LFI –, il le fait «  tout en gardant [sa] liberté, sans calculs mesquins et sans compromission », avertissent toutefois les signataires en conclusion du texte.

L’initiative est une grande première. « Jamais on ne s’était positionnés collectivement pour un candidat en particulier  », affirme Salah Amokrane, militant toulousain et ancien soutien, à titre personnel, de Benoît Hamon en 2017, aujourd’hui convaincu par le changement de discours de Mélenchon de ces dernières années.

« Pendant trop de temps, la gauche n’a pas parlé de la paupérisation des ménages, de la dépression des habitants, des problèmes de logement, de la monoparentalité. On n’a entendu que des gens comme Valls qui trouvaient que la gauche s’était “voilé la face” sur l’insécurité  », abonde Nordine Iznasni, cofondateur du MIB, aujourd’hui militant au Comité Gutenberg à Nanterre. Celui qui avait soutenu José Bové en 2007, s’est éloigné des Verts, qui n’auraient pas « mis les moyens » pour traiter la question sociale, plus encore depuis que Yannick Jadot s’est rendu à la manifestation du syndicat Alliance l’an dernier.

Pour cette figure de la lutte contre les discriminations, le choix de Jean-Luc Mélenchon s’est donc fait naturellement. De même que pour Diangou Traoré, militante au Franc-Moisin, qui n’hésite pas à parler d’un rapprochement « historique ».

Le discours et les actes

Mais soutien ne veut pas dire blanc-seing. Chez les représentants des quartiers populaires, on n’est d’ailleurs pas du genre à garder sa langue dans sa poche. Lors de la rencontre des On s’en mêle, samedi dernier à Montpellier, Adil Sosso, militant au quartier de la Paillade, n’a ainsi pas caché qu’il était un peu « sceptique ». En arrière-fond, cette crainte tenace que LFI ne fasse des quartiers populaires son « fonds de commerce électoral  », confie-t-il à Mediapart.

«  Si on doit se mêler et soutenir Jean-Luc Mélenchon, c’est avec des accords, des discussions sur le travail à accomplir, la mise en avant des acteurs sociaux, pas pour faire de la figuration  », dit celui qui garde par ailleurs un souvenir cuisant du mandat de Muriel Ressiguier, députée insoumise de Montpellier, qu’il n’a pas vue pendant cinq ans. Depuis lors, il se demande comment convaincre les habitants de son quartier de voter à nouveau pour La France insoumise.

Porte-parole du collectif Seine-Saint-Denis au cœur, Aly Diouara a quant à lui refusé de rejoindre les On s’en mêle, trouvant que l’initiative tombait un peu tard. « Tout cela se fait à trois semaines de l’élection, c’est un peu cousu de fil blanc  », juge celui qui tient à souligner que le collectif n’est pas représentatif de tous les quartiers populaires en France et de leur sociologie, « qui a beaucoup évolué depuis les années du MIB ».

Une peur de l’instrumentalisation qui n’a rien de nouveau, au vu des relations historiquement compliquées entre la gauche (notamment le PS) et les quartiers populaires. La voilà rehaussée par le sentiment que, cette fois, Jean-Luc Mélenchon n’est pas personnellement au rendez-vous. Absent du meeting du Franc-Moisin pour des raisons «  d’agenda », le candidat ne s’est pas non plus rendu à la rencontre de Montpellier la semaine dernière, alors qu’il y avait été invité. « C’est une réserve et un regret que j’ai », reconnaît Salah Amokrane.

Un candidat invisible dans les cités HLM, alors qu’Éric Zemmour, Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse se sont pavanés dernièrement à Sevran ou Marseille, sans s’embarrasser des accusations de récupération.

Une « non-image » qui demeure. « En 2017, Macron avait fait du foot à Sarcelles. Que dirait-on si Lula avait fait campagne sans aller dans une favéla ? », cingle Youcef Brakni, du Comité Adama, qui formule une hypothèse pour expliquer cette absence : les Insoumis prendraient un peu trop vite « pour acquis » le vote populaire, et Mélenchon, qui avait subi le feu nourri de ses opposants – y compris de gauche – au moment de sa participation à la manifestation contre l’islamophobie, estimerait qu’il risquerait de s’aliéner une partie de l’électorat à se montrer dans un tel décor.

« Le problème n’est pas tant d’aller faire des images, rétorque Éric Coquerel. Et puis ce n’est pas comme si nous avions été absents des luttes le reste du temps. Mélenchon s’est exposé, y compris à ses dépens. On ne peut pas nous enlever que depuis les rencontres d’Épinay, on est du bon côté. »

La représentativité en question

Du «  bon côté  » sans doute, mais encore trop timorés peut-être. Il y a ainsi la grande question qui taraude tout ce petit monde : celle de la représentativité des élus. Si le parlement de l’Union populaire accueille désormais des porte-parole plus en phase avec la mixité de la population française (Salah Amokrane, Diangou Traoré ou Nordine Iznasni ont ainsi rejoint la structure), quand il s’agit des élections, LFI se comporte encore comme un parti politique lambda, préférant parachuter ses propres cadres dans les circonscriptions éligibles plutôt que d’investir des militants de terrain.

« OK, les Insoumis ont fait le boulot à l’Assemblée durant la dernière législature, mais le profil des députés de Seine-Saint-Denis ne ressemble pas du tout à la population locale, grince ainsi Aly Diouara. Le département reste l’eldorado des hommes politiques venus d’ailleurs, et c’est pareil partout où il y a des places à prendre. » « C’est typique des partis de gauche. Plus le gâteau électoral se resserre, plus les places sont distribuées aux proches du chef », raille Youcef Brakni qui, s’il reconnaît des «  progrès  » certains sur la ligne politique, déplore un système qui continue d’être «  verrouillé ».

Un constat que ne nie pas totalement Éric Coquerel : « Nous n’avons pas à rougir de notre action, et je ne connais pas un député insoumis qui n’ait pas porté la voix des catégories populaires ces cinq dernières années. Mais nous devons en effet nous atteler à la prochaine étape : il y a du grain à moudre et des progrès à faire pour intégrer tout le monde.  » Y compris au moment des élections.

Pauline Graulle

Pauline Graulle

Collaboratrice à la revue Politis (France).

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