Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

États-Unis : Les habits neufs de l’Empire

Les nominations faites par Barack Obama aux postes de Secrétaire à la Défense et de direction de la CIA s’intègrent dans son projet de renforcer l’impérialisme étatsunien grâce à une machine de guerre plus efficace et plus meurtrière. [1]

Celui qui a été désigné par le président démocrate comme Secrétaire à la Défense est un Républicain connu par ses opinions conservatrices et particulièrement pour son homophobie. Mais l’avalanche de critiques contre cette nomination provient des Républicains et non des Démocrates.

Parallèlement, le choix du président pour la direction de la CIA est tombé sur un ancien responsable des programmes de tortures et d’échanges de prisonniers. Mais ni les Républicains ni les Démocrates n’ont le moindre problème avec lui.

Bienvenue dans la politique réellement existante de Washington sous le second mandat de Barack Obama et où il n’existe même plus d’opposition symbolique à la gauche d’un président qui aurait été considéré, selon ses propres mots, comme un « Républicain modéré » il y a quelques années.

Vu le bilan de ses quatre premières années de mandat, il n’y a aucune surprise à constater que les personnes désignées par Obama ont politiquement plus de points commun avec les Républicains qui occupaient précédemment la Maison Blanche qu’avec les votes des dizaines de millions de personnes qui lui ont donné la victoire. Mais ces nominations ont lieu à peine deux mois après la réélection d’Obama acquise grâce à la mobilisation des circonscriptions de base du Parti démocrate.

Beaucoup de ces électeurs espéraient qu’Obama pourrait être dans son second mandat le progressiste qu’ils veulent qu’il soit. Chuck Hagel et John Brennan, respectivement désignés comme Secrétaire à la Défense et directeur de la CIA, sont la preuve qu’il ne suffit pas de désirer quelque chose pour qu’elle se réalise.

De toute évidence, Obama ne se sent absolument pas obligé de satisfaire les attentes de ses partisans ni d’agir en accord avec la rhétorique populiste qu’il a utilisé pendant la campagne. Au contraire – tout comme dans l’accord sur le « gouffre fiscal » et ses nombreuses concessions aux Républicains -, les nominations de Hagel et Brennan nous montrent ce qu’Obama souhaite pour son second mandat : une Administration dans laquelle la classe dominante des Etats-Unis peut avoir confiance pour défendre plus efficacement et amplifier son pouvoir économique et militaire.

La leçon n’est pas nouvelle et s’est répétée de nombreuses fois auparavant : sans lutte, il n’y aura aucun progrès dans l’ère Obama. L’alternative à un monde de guerre et d’impérialisme, de crise sociale et d’inégalités grossières ne surgira de toute évidence pas de la Maison Blanche ou de n’importe quel autre lieu du Washington officiel ; elle doit venir d’ailleurs.

Un choix réactionnaire

Du point d’un vue d’un « washingtonologue », la décision de nommer l’ex-sénateur du Nebraska Chuck Hagel pour le poste de Secrétaire à la Défense est coup habile. Obama agit de manière bipartidiste en choisissant un Républicain pour l’un des postes les plus importants de son Administration, mais Hagel est méprisé par la majorité des Républicains en tant que « RINO » (un Républicain seulement de nom).

Non parce que Hagel ne serait pas un conservateur pur jus. Il s’est gagné l’hostilité des leaders du Parti Républicains au milieu des années 2000 quand il devint l’un des premiers membres du Congrès des deux partis à critiquer la « guerre contre le terrorisme » de George W. Bush et en particulier la désastreuse invasion de l’Irak. Quand il décida de ne pas se représenter à la réélection de 2008, Hagel était déjà un pied dehors d’un parti qui, selon ses termes [2], était « séquestré par l’incompétence : je crois que c’est cela qui mené le Parti Républicain à la débâcle ».

Mais la trajectoire politique de Hagel dit bien plus de choses sur la manière dont le système politique des deux partis dominants s’est transformé pendant les dix premières années 2000 quand il a fait sienne la doctrine des « néo-cons » qui contrôlaient la Maison Blanche à l’époque de Bush : « envahir d’abord, demander ensuite ». Hagel appartient à l’aile « réaliste » de l’establishment de la politique étrangère qui fut mise sur le côté pendant les années Bush mais qui n’en est pas moins compromise avec le projet impérialiste de domination politique et militaire des Etats-Unis sur ses rivaux.

Hagel sera sans doute dénoncé par les Républicains dans les prochaines semaines pour préférer de dures sanctions contre l’Iran plutôt qu’une attaque militaire ou pour critiquer occasionnellement Israël (sans que cela n’implique bien entendu la moindre action pratique). Mais cela le place parfaitement dans le consensus de Washington et non dans le mouvement contre la guerre.

Les positions politiques de Hagel sont encore plus évidentes sur les questions dont personne n’est en train de parler. La chasse aux sorcières anti-gays dans l’armée (« ne demande pas, ne le dit pas ») s’est officiellement terminée il y a seulement un an et demi, mais Obama a choisit un homme pour diriger le Pentagone qui a promu le « ne demande pas, ne le dit pas » tout au long de sa carrière au Congrès.

On se souvient également de Hagel pendant les années Clinton pour sa méprisable campagne destinée à bloquer la nomination de James Hormel comme ambassadeur des États-Unis au Luxembourg. Selon Hagel, Hormel n’était pas qualifié pour une responsabilité aussi importante parce qu’il était « ouvertement et agressivement gay ». Hagel a présenté ses excuses pour cette accusation digne du caniveau… en décembre 2012. « En tenant compte du fait qu’il est dans l’attente d’une nomination présidentielle », a déclaré Hormel aux journalistes [3], « il convient de se poser des questions sur la sincérité de ses excuses ».

Les défenseurs des droits des immigrés pourraient également rappeler qu’Hager fut le co-auteur de la législation de 2006 [4] qui remplaça le fameux projet de Loi Sensenbrenner qui visait à criminaliser 12 millions d’immigrés sans-papiers aux États-Unis. Mais la proposition de « compromis » de Hagel impliquait d’investir des millions de dollars dans des nouveaux postes de contrôle aux frontières, y compris un mur, et la création d’un système à trois niveaux pour les sans-papiers qui aurait condamné des millions de personnes à devoir quitter le pays, d’autres à obtenir un statut de « travailleur invité » et pour une minorité des possibilités très restrictives de légalisation.

Rien de tout cela n’est évoqué par les élus démocrates. Ni par les organisations « progressistes » ni par les analystes qui semblent avoir conclu un pacte du silence sur Hagel, quand ils ne le soutiennent pas directement. Sur son blog de la revue « The Nation » [5], l’écrivaine anti-guerre Phyllis Bennis se demande si la nomination de Hagel « aide en réalité la gauche anti-guerre » et, dans un déploiement impressionnant de raisonnements tordus, elle arrive à la conclusion que la réponse est oui.

Le nouveau chef de la CIA

Quant à John Brennan, le candidat d’Obama pour diriger la CIA, il est probablement mieux connu comme un élément de continuité entre les Démocrates et les Républicains. Brennan est un espion de carrière qui a travaillé en étroite collaboration avec la Maison Blanche démocrate de Bill Clinton et plus tard avec les Républicains de l’ère Bush et aujourd’hui avec l’Administration Obama.

Brennan était directeur exécutif adjoint de la CIA au début des années 2000, quand l’Agence a créé son système de « sites noirs » et « transferts extraordinaires » de prisonniers pour mener à bien des interrogatoires et des tortures dans la « guerre contre le terrorisme ». Brennan a défendu expressément l’usage des techniques de torture, tout comme la simulation de noyade et a dit grand bien des « remises » de prisonniers de la CIA à des pays comme la Syrie afin de bénéficier de leur « expérience » dans les méthodes d’interrogatoire.

Un tel passé suffisait pour éviter sa nomination comme chef de la CIA quand Obama a entamé son premier mandat. Mais Brennan fut tout de même désigné comme un conseiller de haut niveau de la Maison Blanche. Qu’il soit désormais un candidat acceptable en dit long sur la Maison Blanche d’Obama et sur le Parti Républicain.

Il y a quatre ans, Obama sortait d’une campagne dans laquelle il s’était engagé à plusieurs reprises à en finir avec la guerre contre les libertés civiles menée par l’Administration Bush. Mais au cours de ses quatre dernières années de mandat, il a pratiquement maintenu toute la politique de l’ère Bush, de Guantanamo jusqu’aux écoutes sans ordre judiciaire.

En conséquence, on peut parier que Brennan ne trouvera pas beaucoup d’opposition officielle à Washington, au cas où il en existerait une. Comme l’a écrit l’analyste de gauche Greenwald sur le site web de « The Guardian » [6] : « Dans ce changement [d’attitude envers Brennan par rapport à 2008] réside l’un des aspects les plus significatifs de la présidence d’Obama : sa conversion à ce qui était avant des politiques de droite hautement questionnables en harmonieux dogmes du consensus entre les deux partis à Washington DC ».

Deux manières de diriger l’empire

Pendant la campagne électorale de 2008, Obama avait en grande partie pris les devants sur ces principaux concurrents à nomination démocrate à la présidence parce qu’il était le candidat qui s’associait le plus à l’opposition aux guerres au Moyen-Orient de l’Administration Bush, et particulièrement celle en Irak. Mais pour tous ceux qui savaient écouter avec attention, il était évident qu’Obama voulait diriger la machine de guerre des États-Unis et non la freiner de manière significative.

Dès son arrivée au pouvoir, Obama a fait tout son possible pour remodeler le retrait annoncé d’Irak en un redéploiement de forces. Son plan a échoué seulement parce que le gouvernement irakien, agissant sans cesse plus de manière indépendante des occupants, s’est refusé à accepter un statut spécial aux dizaines de milliers de soldats destinés à une présence militaire permanente des États-Unis dans leur pays.

En Afghanistan, Obama a accompli sa promesse électorale d’augmenter la présence de troupes des États-Unis. Au point le plus élevé de celle-ci, le nombre de soldats étatsuniens déployés en Afghanistan avait doublé. En même temps, l’Administration Obama a énormément amplifié la guerre en dehors des frontières afghanes, au Pakistan en particulier, grâce à la nouvelle arme à la mode : les attaques aériennes de drones « Predators ».

La Maison blanche d’Obama effectue également une réorientation stratégique du pouvoir militaire des États-Unis en direction du conflit que les analystes estiment le plus probable pour les prochaines décennies : dans le sud-est asiatique, contre la puissance croissante de la Chine.

Tant Hagel que Brennan seront très utiles dans le processus de reconfiguration de l’impérialisme des États-Unis en accord avec les prévisions d’Obama. Du fait que Hagel a servi dans l’armée comme simple conscrit – ce sera le premier Secrétaire à la Défense avec une telle origine – il aura une plus grande autorité pour défendre que les États-Unis doivent employer la diplomatie et d’autres moyens non militaires dans les conflits internationaux, tout en reconstruisant l’armée autour d’une force plus petite, plus mobile et plus létale dans la guerre.

Brennan, pour sa part, a supervisé l’escalade de la guerre des drones de l’Administration Obama. Cela et ses nombreuses années passées à la CIA en font le candidat idéal, selon le « Washington Post », d’ « un gouvernement qui préfère l’action secrète – y compris des attaques avec des drones Predators contre des objectifs d’Al Quaeda et le sabotage cybernétique des sites nucléaires d’Iran – que l’utilisation des forces conventionnelles ».

D’une certaine façon, Obama conserve encore pour beaucoup la réputation d’être contre la guerre – probablement grâce à la comparaison avec des Républicains assoiffés de sang. Mais son bilan en tant que commandant en chef ne peut en aucune manière être décrit comme anti-guerre. Obama représente une stratégie différente de l’impérialisme des États-Unis par rapport à celle de Bush, et tant Hagel que Brennan sont associés à des aspects essentiels de la forme avec laquelle Obama a essayé de rénover et d’adapter la machine de guerre.

Ainsi, les batailles entre les deux partis sur leurs nominations sont le reflet d’un débat au sein de la classe dominante entre deux programmes différents sur la manière de gouverner l’empire des États-Unis. Elles ne sont absolument pas un conflit entre militaristes républicains et partisans démocrates d’une politique extérieure plus pacifique. Ou, comme le prétend Phyllis Bennis, une dispute dans laquelle la « gauche anti-guerre » serait en meilleure position pour exercer une pression en faveur de ses objectifs.

Au contraire, vu le succès d’Obama au cours de ses quatre premières années pour réparer les désastres provoqués par Bush, l’impérialisme étatsunien aux ordres d’Obama, Hagel et Brennan sera probablement plus efficace pour protéger la domination des États-Unis contre ses ennemis et ses rivaux. Et donc plus efficace pour infliger la souffrance, l’oppression et la mort partout dans le monde.

Pour une alternative indépendante

Nous pouvons laisser aux mains de l’establishment de la politique étrangère le débat de savoir si la « doctrine Obama » est préférable pour ses intérêts à la « doctrine Bush ». Mais nous pouvons affirmer sans l’ombre d’un doute quel est l’objectif de Barack Obama : démontrer qu’il est un meilleur gérant de l’empire des États-Unis que Bush et les néoconservateurs, et non pas à la recherche d’un monde plus pacifique et juste.

Nos mouvements et nos luttes ne peuvent prendre parti pour l’un de ces deux programmes impérialistes. De la même manière que nous n’avons pas à choisir entre deux plans d’austérité ou deux stratégies pour rendre plus rentables les entreprises sur le dos des travailleurs. Nous devons organiser une résistance à partir d’en bas qui soit une alternative indépendante des politiques des deux partis de la guerre, de l’oppression et de l’injustice.

Source : http://socialistworker.org/2013/01/09/the-empires-new-clothes
Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret. Intertitres de la rédaction.

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