Édition du 23 avril 2024

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Guinée : Le peuple debout

Le président Alpha Condé élu en 2010 pour 2 mandats veut imposer une nouvelle constitution pouvant lui permettre de briguer son 3e mandat. Opposés à cette initiative, les Guinéens se sont mobilisés les 14-15-16 et 23-24 octobre 2019 à l’appel de la société civile et des partis d’opposition, unis sous la bannière du FNDC. Les répressions des forces de l’ordre ont fait à 11 morts.

Tiré du blogue de l’auteur.

Le peuple débout

Face à l’obstination du président et du gouvernement guinéen d’imposer une nouvelle constitution, prélude d’un troisième mandat, le peuple de Guinée s’est mis debout. Il a relevé son front altier et fièrement levé la tête à l’image des héros dont il se réclame.

Ces derniers jours, le peuple de Guinée a encore montré au monde qu’il forme une même famille qui aspire à reconquérir la place qu’il a toujours occupé dans le concert des nations.

Le peuple du 28 septembre a voulu prouver qu’il ne mérite pas le mépris de ses gouvernants encore moins la pitié et la condescendance de la communauté internationale. Les premiers sont cyniquement sourds à ses revendications alors que la seconde fait preuve d’attentisme ou de langage mielleux face à son destin qui vacille un peu plus chaque jour.

Ainsi, notre peuple a décidé de montrer sa détermination à défendre la constitution guinéenne et les lois de la République. Conscient du pouvoir de la rue face à un régime qui refuse la force des mots, il a manifesté sa colère, sa désapprobation et ses aspirations durant la deuxième quinzaine d’octobre 2019.

Par des revendications pacifiques des 14 au 16 octobre, les Guinéens ont voulu alerter leurs dirigeants mais ils ont été réprimés dans le sang. Finalement, l’alerte sera transformée en ultimatum les 23 et 24 octobre. Cette évolution est la conséquence logique de l’attitude et du comportement des autorités guinéennes.

Qu’a-t-on vu en réponse aux marches pacifiques ?

Loin d’ébranler le pouvoir, la mobilisation populaire a semblé l’amuser. Le lendemain des manifestations, le président en personne se montre méprisant. Dans un discours en net décalage avec la situation, il minimise les conséquences des évènements. Il incite, dans des propos à peine couverts, les forces de l’ordre à faire usage de leurs armes en traitant les manifestants de bandits. Ce faisant, il a heurté le peuple et contribué à son corps défendant à la radicalisation. Tout au moins, à une unité d’action qui n’était pas forcément acquise lors des premières mobilisations.

Il ne fait aucune allusion au nombre de victimes : 10 morts, des dizaines de blessés, des centaines d’arrestations et passe sous silence les violences adjacentes dans les quartiers et ailleurs.

Les meurtres enregistrés au cours des marches pacifiques du 14 octobre et le traitement indigne et inhumain réservé aux familles éplorées ont choqué plus d’un. Avoir tué, à leur domicile, des citoyens innocents n’aurait pas suffi. Les forces de sécurité sont entrées dans les quartiers, au domicile des défunts pour se livrer aux pires représailles. Elles ont fait une incursion dans l’une des familles pour brutaliser les survivants allant jusqu’à tirer, à bout portant, sur le père.

Elles ont pulvérisé de gaz lacrymogène les proches venues assister à la cérémonie funéraire.

L’inhumanité ne s’arrête pas là. Les personnes accompagnant le corbillard au cimetière sont interceptées, le corps extrait et déposé sur le pavé.

Face aux violences, le Kountigui de la Basse-Guinée et le président de la coordination Haali Pular ont adressé au gouvernement, lors de leur rencontre du 21 octobre, un message qui sonne comme un ultimatum. Fustigeant toute tentative de pérennisation au pouvoir, ils ont demandé que soient libérés, sans délai, les personnes arrêtées. Quelques jours plus tard, l’Iman de Koba prend le relai en dénonçant les violences dans un ton empreint d’indignation et de fermeté.

Dès le 23 octobre des dizaines de milliers de femmes, arborant une tenue blanche, déferlent par vagues dans les rues de Conakry. Il en fut de même à l’intérieur.

De mémoire de Guinéen, une telle mobilisation de femmes n’a pas son égale dans le passé. Il faudrait remonter aux manifestations de juillet 1977 contre la police économique sous le parti démocratique de Guinée, (PDG) pour toute comparaison. Une mobilisation forte en émotions.

Saisissants, sont les appels lancinants des femmes guinéennes à l’endroit du président Alpha Condé pour qu’il cesse de tuer leurs enfants.

Le 24 octobre, la société civile et des partis politique d’opposition, sous la bannière du FNDC, organisent une marche pacifique. S’inscrivant dans la droite lignée des précédentes, cette mobilisation a érodé encore plus le système politique guinéen.

Elle fut la plus grande démonstration de force rarement enregistrée dans le pays. La ferveur et la détermination dont ont fait preuve les manifestants à combattre toute velléité de troisième mandat montrent que le pouvoir guinéen n’a plus d’enracinement populaire.

En effet, un système qui profane ses propres morts ne peut sécuriser les vivants. Un pouvoir sourd à la souffrance des citoyens, insensibles aux supplications des femmes, est un pouvoir qui a perdu toute humanité.

Par conséquent, les autorités politiques guinéennes ont tout perdu : la confiance des populations et la considération qu’elles plaçaient en elles. Involontairement ou délibérément, le président Condé est, lui aussi, en voie de perdre l’honneur attaché à sa fonction.

Le président serait-il tombé dans le piège de cet adage qui dit : « Qui grimpe, chaque jour un peu plus haut, finit par oublier qu’il vient d’en bas. Il ne s’en rappelle que lorsque le vide lui tend les bras.

Cependant, tout n’est jamais perdu. Si quelques conditions étaient remplies, monsieur Alpha Condé pourrait non seulement sauver la face mais surtout écrire la page d’histoire que les Guinéens attendent depuis longtemps.

Que lui reste-il à faire ?

Plusieurs possibilités s’offrent au président guinéen. J’évoquerais celles qui semblent plus envisageables, en sachant que ce ne sera pas du tout simple. Mais, l’homme politique, c’est celui qui peut apparaitre faible quand il faut ouvrir avec intelligence les portes étanches de l’histoire.

La première hypothèse serait de changer l’équipe gouvernementale. Le premier ministre en tête. Cependant, le faire dans les circonstances actuelles, reviendrait à asséner un coup dur à la Basse-Guinée.

Désigner un citoyen de cette région au poste de nouveau chef de gouvernement. Néanmoins, les autorités morales ne semblent plus attacher une grande confiance à leurs cadres, membres du gouvernements ou conseillers du président susceptibles d’être préposés au poste. A contrario, ne pas le faire serait une autre trahison au vu des promesses de 2010 accordant le poste de premier ministre à la Basse-Guinée.

Choisir une personnalité consensuelle qui transcenderait les ethnies, (car on est encore à ce stade) reste une autre hypothèse.

La troisième alternative parait mieux indiquée dans l’urgence que vit le pays et dans les circonstances actuelles. Elle pourrait permettre une sortie de crise et un éventuel rapprochement des acteurs politiques en vue d’un dialogue responsable. Prioritairement appliquée, elle solutionnerait tous les problèmes. Elle est surtout la mieux apte à sauver la mandature en redorant l’image du président Condé.

Cette alternative consisterait à :

 Rechercher et arrêter tous les auteurs de crimes.

 Prendre en charge les blessés et indemniser les familles des victimes.

 Libérer toutes les personnes : leaders du FNDC et tout citoyen arrêté pour un motif lié à la nouvelle constitution.

 Renoncer solennellement à la nouvelle constitution et au troisième mandat.

De telles décisions voudraient dire que le président Condé, qui avait promis d’écouter les Guinéens, pour toute prise de position sur la nouvelle constitution et, accessoirement sur le troisième mandat, les aurait entendus.

Ces hypothèses sont envisageables dans la mesure où monsieur Alpha Condé serait réellement l’opposant historique dont il s’honore. S’il est effectivement un résistant aux pouvoirs guinéens qu’il qualifiait lui-même de dictatures. S’il se soucie réellement du devenir du peuple de Guinée qui lui a donné ce dont il dit avoir cherché durant quatre décennies.

Aussi improbables soient elles, si ces propositions entraient dans une oreille attentive et un esprit avisé, elles pourraient sauver monsieur Alpha Condé qui en sortirait grandi. Mais également la Guinée et toute la sous-région ouest-africaine qui éviteraient les affres d’un conflit social grâce à la hauteur de vue, à la grandeur d’un homme et la maturité d’un peuple.

Monsieur Alpha Condé aura alors été le Nelson Mandela de la Guinée avec tout ce que cela suppose.

Lamarana Petty Diallo lamaranapetty@yahoo.fr

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