Devant une salle pleine à craquer et un public conquis d’avance —on sein duquel on pouvait reconnaître des personnalités du monde municipal et de la mouvance nationaliste progressiste (dont Sol Zanetti, Julie Vignola, etc.)—, on a pu découvrir un réalisateur ému jusqu’aux larmes, en particulier lorsqu’à la fin de la projection, il a eu droit à une longue ovation debout...
Il faut dire —qu’au-delà de tout ce qu’on a pu déjà en dire— ce documentaire mérite d’être vu et revu, en particulier au regard des drames migratoires et déchirements linguistiques que nous pouvons vivre au Québec des années 2020, car il se présente comme un éclat de lumière violemment jeté sur une histoire oubliée, mais dont le sens profond reste brûlant d’actualité et apparaît comme une clef pouvant nous aider à déchiffrer les temps présents.
C’est là son originalité première : nous entraîner –grâce à un impressionnant choix d’archives en noir et blanc judicieusement choisies— à effectuer une plongée dans l’histoire passée des années 1967-1969 ainsi qu’à découvrir un épisode peu connu de la bataille linguistique qui se donnait alors et dont le héros méconnu du coté québécois fut l’architecte Raymond Lemieux, dirigeant du MIS, le Mouvement pour l’intégration scolaire. L’intéressant reste cependant le fait que Félix Rose – déjà auteur d’un film portant sur son père Les Rose— ne s’est pas contenté de rendre compte des interventions courageuses et déterminées de Raymond Lemieux, il a aussi voulu offrir la parole au leader de la communauté italienne d’alors, le promoteur Mario Barone (dont il est devenu depuis un ami), nous donnant ainsi les moyens de comprendre tout à la fois la complexité comme la récurrence à travers le temps des problèmes linguistiques et migratoires rencontrés au Québec.
À l’aube de la révolution tranquille
On s’en souviendra peut-être : d’un côté se dressait Le mouvement pour l’intégration scolaire (le MIS), dirigé par Raymond Lemieux et soutenu par le mouvement indépendantiste québécois qui se battait pour l’existence d’un enseignement public donné en français (jusqu’à occuper en 1968 l’école secondaire Aimé-Renaud que la communauté italienne avait transformé en école anglaise !). Et de l’autre, se faisaient entendre haut et fort les membres récemment immigrés de la communauté italienne de Montréal qui refusaient l’éducation uniquement en français et voulaient pouvoir parler anglais et disposer d’écoles bilingues pour leurs enfants (jusqu’à créer en 1969 une école anglaise privée clandestine !). Le tout, pendant que le gouvernement nationaliste du premier ministre provincial Jean-Jacques Bertrand tergiversait en se réfugiant derrière la prudente défense des seuls droits individuels (celui de pouvoir choisir sa langue), et que le peuple québécois, emmené par sa fraction nationaliste la plus radicale, prenait conscience de sa force et commençait, manifestations massives et grandissantes à l’appui, à s’affranchir de sa condition collective de citoyen de seconde zone. Nous étions à l’aube de la révolution tranquille.
Ce retour à l’histoire que nous amène à faire Félix Rose, a quelque chose de saisissant. Il est rare en effet de voir des documentaires ou des films sur l’histoire passée du Québec, susceptibles de nous faire saisir la force, le dynamisme et l’énergie d’une société qui se réveille, prend conscience de sa force et se découvre au travers de porte-parole audacieux et déterminés n’ayant pas peur d’aller à l’encontre des consensus mous défendus par ses élites. Et avec la Bataille de Saint Léonard, c’est ce que parvient à nous faire ressentir Félix Rose : l’énergie et l’enthousiasme d’un peuple qui s’est mis en marche et lutte plein d’espoirs pour son émancipation culturelle et linguistique. ; mais sans rien oublier des drames existentiels que peuvent vivre les nouveaux immigrants italiens qui cherchent de leur côté à faire leur vie au Québec en anglais, tout en aidant pleinement et activement au développement même de Montréal.
Surtout, Félix Rose nous fait apercevoir, ou tout au moins nous laisse entendre –mais sans aucun prosélytisme, par la force même des images— comment les problèmes linguistiques d’hier sont quelque part encore ceux d’aujourd’hui, et comment donc il reste à nous, « les Québécois d’aujourd’hui », la tâche de poursuivre la lutte entreprise à cette époque, tout comme celle de retrouver l’énergie transformatrice d’alors. Et, quel qu’aient pu être les avancées effectuées sous la loi 101, n’a-t-il pas bien raison ?
Après tout rien aujourd’hui de l’existence du français au Québec n’est vraiment assuré, et rien de la présence et de l’intégration des immigrants n’est définitivement scellé pour en faire les membres d’une nouvelle communauté qui serait co-construite par les uns et les autres. Tout donc... pour nous pousser à nous retrousser les manches et à reprendre dans les termes d’aujourd’hui cette longue marche historique.
N’est-ce pas le message que, mine de rien mais avec beaucoup de force et de finesse, nous laisse ici Félix Rose ?
Pierre Mouterde
Sociologue essayiste
Québec, le 15 septembre 2024
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Un message, un commentaire ?