Édition du 20 mai 2025

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Arts culture et société

« Jeunes mères » de Luc et Jean-Pierre Dardenne : les frères belges s’essaient au film choral

Deux fois lauréats de la Palme d’or ( "Rosetta" en 1999 et « l’Enfant, en 2005 ), Luc et Jean-Pierre Dardenne signent leur premier film choral avec le portrait intimiste de cinq jeunes femmes confrontées à des problématiques d’adultes.

*Bande-annonce : *https://diaphana.fr/film/jeunes-meres/

Par Michaël Mélinard, L’Humanité, France, le vendredi 16 mai 2025

Article dans son intégralité sur L’Humanité

N’en déplaise aux esprits chagrins,Luc et Jean-Pierre Dardenne <https://www.humanite.fr/culture-et-...> font recette. Avant cette 10e sélection en compétition cannoise, sept de leurs neuf films ont été récompensés sur la Croisette. Et s’il est prématuré de leur promettre à nouveau un prix – leur long métrage est présenté le 23 mai, veille des délibérations du festival –, la fratrie belge est revenue au meilleur de sa forme avec « Jeunes mères », le portrait choral d’adolescentes dans une maison maternelle. Si cette manière de tisser des histoires est une première pour les cinéastes, ils en dénouent les fils avec talent, justesse et une mise en scène tout en maîtrise.

Julie, ancienne/junkie/, veut éviter la récidive. Perla tente de convaincre son compagnon immature de vivre en couple. Jessica, enceinte, part en quête de sa mère biologique, alors qu’Ariane s’affranchit peu à peu d’une génitrice toxique. Comme une étoile filante, Naïma ne fait que passer pour évoquer sa fierté d’être une mère célibataire. Avec leur manière de ne pas y toucher, les Dardenne continuent d’évoquer les sans-grade, les madame Tout-le-Monde, les enfants confrontés à des problématiques d’adultes dans cette œuvre forte et puissante où le déterminisme social semble voué à être dépassé.

*« Jeunes mères » dresse le portait d’adolescentes dans une maison maternelle. Comment voyez-vous votre film à l’aune du féminisme ?*

*Jean-Pierre Dardenne* - Quand on fait un film, il s’inscrit dans une époque. Le titre, c’est « Jeunes mères ». Il n’y a pas si longtemps, ces jeunes mères étaient appelées des « filles mères ». Cette stigmatisation a disparu de nos sociétés. Raconter la maternité à l’âge de ces jeunes filles, qui n’est pas la règle dans nos sociétés, impliquait de réussir à changer de point de vue : affirmer qu’on ne peut garder un enfant et qu’on préfère le confier à une famille aimante n’est pas un acte honteux. C’est aussi ça le féminisme.

Il a une place dans la vraie vie de la maison maternelle. Dans notre film, il devait aussi être là, même si le cinéma ne se résume pas à un acte militant. Être une jeune mère, c’est apprendre à avoir une relation avec son bébé, et c’est également dire : je ne peux pas. À part un qui est là, les hommes sont absents. Mais les filles ne sont pas traitées dans notre film comme des personnes auxquelles il manque quelque chose.

*Luc Dardenne -* Le féminisme critique la maternité lorsque le patriarcat donne à la femme le rôle de pondeuse. C’est lié à l’histoire des hommes qui, ici, brillent par leur absence. Dire aujourd’hui, comme l’un de nos personnages, je n’ai pas honte d’être une mère célibataire, c’est être féministe.

*Dans quelle mesure votre cinéma constitue-t-il une forme d’éloge du service public ?*

*Luc Dardenne -* C’est effectivement en creux. Et là, on ne peut pas dire que, dans ces structures, il y a une carence, même si les subventions pouvaient être supérieures. Ce système de maison maternelle existe chez nous. C’est très différent de l’Angleterre, et de ce que décrit « Ladybird », le film de Ken Loach (une jeune femme se voit retirer la garde de ses enfants nés de pères différents par l’aide sociale parce qu’elle est pauvre – NDLR). Chez nous, il y a un vrai travail de responsabilisation de ces jeunes filles pour les rendre autonomes. Elles sont aussi aidées financièrement et pour le logement. Ces endroits sont maternants dans le bon sens du terme. Sans ces institutions, il y aurait beaucoup de dégâts.

*En quoi est-ce un film sur le soin ?*

*Jean-Pierre Dardenne* - Tout au long du film, il y a cette bienveillance de la part de toutes ces femmes qui entourent les jeunes mères, qui prennent soin d’elles, qui leur apprennent à être autonomes. Chacune de ces filles a aussi une histoire individuelle, existe aussi en dehors de cette maison. Elles ont leur solitude, leur drame, leur histoire avec laquelle elles doivent se débrouiller. Elles s’aident aussi, se soutiennent.

C’est une des raisons qui nous a amenés à faire ce film, après avoir passé du temps dans cette maison maternelle où nous nous documentions sur un autre projet que nous n’avons finalement pas réalisé. Cette entraide et la présence des bébés ont joué un grand rôle. Les bébés amènent une vitalité, un rythme à nos personnages, à la mise en scène. Tous ces petits êtres vivants amènent leur poids. Chacune des jeunes mères doit en tenir compte. Nous aussi. Donc, on l’a répercuté dans notre mise en scène.

*Pourquoi avez-vous réalisé un film choral ?*

*Luc Dardenne* - Il y a eu une alchimie. Nous avions envie de nous aventurer ailleurs tout en nous disant qu’il fallait faire ce que nous savions faire. Mais s’enferrer dans une manière de filmer, c’est devenir de plus en plus radical, dans le mauvais sens du terme. Dans cette maison où nous étions présents, comme l’a dit Jean-Pierre, pour un autre scénario et le personnage principal d’un autre film, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas filmer un groupe ? Nous n’avions jamais réussi à raconter plusieurs histoires et c’est devenu un challenge implicite, qui a trouvé sa forme dans les rencontres de cette maison maternelle.

Comment l’évolution de votre vision du monde se traduit-elle dans votre mise en scène ?*

*Luc Dardenne -* Quand nous filmions Olivier Gourmet en plan serré dans « le Fils », nous essayions d’être dans sa tête sans y parvenir. C’est l’impossibilité du cinéma. Nous filmions souvent dans son dos pour éviter son regard et conserver un suspense sur ses actes. Dans Jeunes mères, nous sommes plus paisibles. Nous essayons d’être dans la douceur que demande le soin du bébé. Il faut être délicat avec un bébé et la caméra l’accompagne.

Nous sommes moins à l’arraché. Ce qui est filmé doit être en osmose avec la manière dont on filme. Avec Rosetta, on ne savait pas ce que serait demain, si elle avait un travail ou pas. Elle allait à gauche, à droite. Elle était toujours sur le qui-vive. Elle nous surprenait tout le temps comme elle était surprise par sa vie.

*C’est votre 10e sélection en compétition à Cannes. Vous avez eu la palme d’or pour « Rosetta », avec déjà une adolescente, Émilie Dequenne. Quel regard portez-vous vingt-six ans après sur ce film et sur Émilie Dequenne qui vient, hélas, de nous quitter ?*

*Luc Dardenne* - Mourir à l’âge d’Émilie, c’est évidemment inadmissible. C’est vraiment un sale coup, nous pensons à ses proches. On se souvient d’elle, on ne l’oublie pas et le fait que le Festival de Cannes ait décidé de passer notre film le dernier jour (le 23 mai – NDLR), comme Rosetta il y a vingt-six ans, est une décision que nous apprécions. Émilie sera là avec nous. Elle aimait la vie et aurait été la première à dire : « Place à ces cinq jeunes filles, ces cinq jeunes actrices qui comme moi sont là aujourd’hui dans le film des frères avec lesquels j’ai travaillé il y a vingt-six ans. »

Jeunes mères, de Luc et Jean-Pierre Dardenne, 1 h 45, Belgique. En salles le 23 mai en France.

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