Democracy Now ! 3 octobre 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Nous nous tournons maintenant vers l’actrice gagnante d’un Oscar et militante, Jane Fonda. Elle relance l’organisation de lutte pour la liberté d’expression de son père, le Comité pour le premier amendement. Henry Fonda l’a fondé en 1947 pour combattre le McCarthysme.
Voici une prise de position de ce comité : « Le gouvernement fédéral encore une fois s’est engagé dans une campagne structurée pour réduire au silence ses critiques dans le gouvernement, les médias, les tribunaux, les universités et dans l’industrie du divertissement. Nous refusons de ne rien faire et de laisser cela arriver ».
Avant d’interviewer Jane, je veux vous faire entendre un extrait d’une émission de radio produite par le Comité pour le premier amendement dans les studios de ABC en 1947. Voici la chanteuse et actrice Judy Garland :
« Je suis Judy Garland. Êtes-vous allés.es au cinéma cette semaine ? Vous y allez ce soir ou demain ? Regardez dans la salle. Y a-t-il des journaux sur le sol, des magazines sur votre table, des livres sur les étagères ? Vous avez toujours eu le droit de lire quoi que ce soit, à votre guise.
Mais maintenant il semble que tout devienne plus compliqué. Au cours de la semaine passée, à Washington, le Comité de la Chambre sur les activités anti américaines a enquêté sur l’industrie du film. Je n’ai jamais été membre de quelque organisation politique que ce soit, mais j’ai suivi cette enquête et je n’aime pas ça. Il n’y a pas beaucoup de stars ici pour vous parler. Nous faisons partie du « show business » mais nous sommes aussi des citoyen.nes américains.es. Tant pis si on nous qualifie de mauvais.es acteur.rices. Ça fait mal mais on peut le prendre. C’est autre chose si on vous qualifie de mauvais.es Américains.es. On le subit ».
A.G. : C’était Judy Garland qui avec Henry Fonda a contribué à fonder le Comité pour le premier amendement en 1947 pour combattre le McCarthysme.
Jane, c’est super que vous soyez avec nous sur Democacy Now ! Vous relancez l’organisation de votre père. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi pensez-vous que ce qui se passe maintenant se compare à ce que votre père a connu ?
Jane Fonda : Les esperts.es des régimes autoritaires (ce que vous venez de diffuser m’a mis les larmes aux yeux) disent être vraiment inquiets.es en voyant ce qui se passe qui serait la plus rapide et agressive confiscation du pouvoir dans une démocratie industrielle. J’apprends que les autoritaires prennent généralement 18 à 22 mois pour consolider leur pouvoir. Cette administration avance très vite, nous devons donc aller vite. Il faut faire tout ce que nous pouvons pour arrêter ce processus avant qu’il ne devienne la norme, avant qu’il ne s’institutionnalise.
De multiples secteurs de la société sont attaqués. Mais comme mon père, Judy Garland et beaucoup d’autres vedettes des années 1950 le savaient, nous avons la liberté chevillée au corps. La liberté d’expression est essentielle pour la créativité des rédacteur.rices d’histoires que nous sommes. Nous allons nous battre. Nous allons montrer que nous avons les capacités, parce que nous sommes si créatif.ves, d’être à la hauteur de CNN dans la non-violence, la non-coopération, pour la résistance et être un modèle pour le reste du pays.
(…) Quand j’ai accepté mon : Sreen Actors Guild Life Achievement Award, j’ai déclaré : « Nous visionnons tous des documentaires comme (ceux portant sur) les sit-ins aux comptoirs lunch au Mississipi et au Tennessee, des gens qui se font battre, des chiens qui attaquent, etc. et nous nous demandons si nous aurions été aussi braves ». C’est le genre de documentaire dans lequel nous sommes en ce moment. Allons-nous être assez braves pour nous tenir debout ? Parce que la seule chose qui puisse arrêter ce qui se passe c’est un mouvement massif de gens non-violents et unifiés. C’est ce que nous tentons d’encourager et d’inspirer.
Nous le faisons de l’intérieur de l’industrie du divertissement en espérant que cela va en inspirer d’autres.
(…)
Laissez-moi (ajouter) ceci Amy. Au lancement, hier, nous avons reçu 550 signatures. En quelques heures, des centaines et des centaines de personnes de plus de cette industrie ont aussi signé. C’est excitant et donne vraiment de l’espoir.
A.G. : Je veux retourner en mai quand nous avons interviewé l’estimée historienne du McCarthysme, Mme Ellen Schrecker à propos de son article « Worse Than McCarthysm : Universities in the Age of Trump, sur The Nation.
Ellen Schrecker : Le pire qui soit arrivé aux universités à l’époque, c’est que des centaines de professeurs, la plupart avec des postes permanents, ont été congédiés et placés sur une liste noire. Presque toutes les grandes institutions civiles du pays ont subi ce sort. Malgré que les universités se vantent de leur liberté académique, peu importe ce que cela veut dire, elles ont collaboré avec les forces répressives qui imposaient fermement un climat de peur. L’autocensure régnait dans toute la société.
Aujourd’hui, ce qui se passe est pire, tellement pire, nous sommes dans une nouvelle phase du phénomène, Je ne sais pas ce que ça deviendra, mais durant la période de McCarthy seuls les professeurs étaient attaqués individuellement sur la base de leurs activités politiques de gauche en dehors de leur travail dans le passé ou au moment présent. Aujourd’hui, la répression venant de Washington s’attaque à tout ce qui bouge sur les campus américains.
A.G. : C’était l’historienne Ellen Schrecker qui parlait des campus. Qu’est-il arrivé à votre père à Hollywood ? Pouvez-vous nous parler les listes noires d’écrivains.es, d’acteur.rices et de scénaristes, de ce qui est arrivé à Hollywood durant cette période et pourquoi dites-vous que c’est pire en ce moment ?
J.F. : À cette époque qui que ce soit, membre de quelque organisation que ce soit, était accusé.e d’être communiste et perdait son emploi. Plusieurs ont été emprisonné.es et leur carrière a été détruite. C’est ce contre quoi mon père, avec beaucoup d’autres, protestaient. Je pense que cette dame le dit très justement : c’était les individu.es qui étaient attaqué.es et emprisonné.es. Nous voyons cela actuellement partout dans le pays et massivement. Nous ne pouvons laisser faire.
A.G. : Dans cette ère du McCarthysme, je veux vous faire entendre un enregistrement du Président Nixon en septembre 1971 où il vous mentionne :
Président R. Nixon : Pour l’amour du ciel qu’est-ce qui ne va pas avec Jane Fonda ? Je suis si désolé pour Henry Fonda qui est une chic personne. Oui, oui elle aussi, réellement. C’est une grande actrice et elle est belle. Mais ma foi, elle est si souvent sur le mauvais chemin.
A.G. : C’était donc le Président Nixon. Voici maintenant votre père, Henry Fonda qui reçoit l’American Film Institute Life Achievement Award en 1978 et répond au Président Nixon d’une certaine manière :
Henry Fonda : Depuis que mon père nous a quitté, j’ai fait des choses qu’il approuverait j’en suis sûr. J’espère que j’en ai fait qu’il aurait aussi défendue. Je sais qu’il se pèterait les bretelles ce soir. Il n’a jamais connu mes enfants, mais je sais qu’il en serait fier. Je peux l’entendre répliquer à certaines critiques : « Taisez-vous. Elle est parfaite ».
A.G. : « Taisez-vous. Elle est parfaite » disait Henry Fonda. Les gens qui nous entendent à la radio et qui ne peuvent nous voir ne vous voient pas commencer à pleurer. Mais quelle signification ont les mots de votre père et qu’elle confiance en vous ?
J.F. : Cela m’émeut profondément. Que puis-je dire ?
A.G. : Je voudrais que vous donniez vos impressions à propos de Jimmy Kimmel, l’émotif Jimmy Kimmel de retour sur les ondes de ABC après avoir été suspendu définitivement par le directeur de la Commission des communications, M. Brendan Carr. Il avait menacé le diffuseur et ses affiliés de leur retirer leur licence suite aux commentaire de J. Kimmel. Dans un monologue il avait parlé du regard porté par des comédien.nes de l’étranger sur les États-Unis :
Jimmy Kimmel : Ils et elles savent à quel point nous sommes chanceux.ses ici. Leur admiration va surtout vers notre liberté de parole. Je l’avais toujours pris pour acquis jusqu’à ce que mon ami Stephen (Colbert) soit retiré des ondes et que nos affiliés qui diffusent ce show dans les villes où vous vivez, aient été mis sous pression pour qu’il soit retiré des ondes. C’est illégal. Ce n’est pas américain. C’est sous-américain et dangereux.
A.G. : Finalement tout ça, est revenu à la normale. Mais Sinclair Broadcasting et Nexstar qui sont propriétaires de beaucoup d’affiliés ont refusé de le remettre en onde quand Walt Disney qui détient ABC a décidé de le faire. Il y a eu beaucoup de répercussions : pourquoi Walt Disney a-t-il remis Jimmy Kimmel en onde ? Il faisait référence à son ami Stephen Colbert dont le programme se terminera en mai.
J.F. : L’important ici c’est que 1 million 700 milles Américains.es ont annulé leur financement à Disney. Voilà l’affaire. Ça s’appelle la non coopération. Toucher leur porte-monnaie c’est ce qui compte vraiment. Lors de son premier mandat, D.Trump a décrété une interdiction d’entrée sur le territoire aux musulman.es. Sara Nelson, la brave dirigeante du syndicat des hôtesses de l’air, a appelé à la grève générale. C’est une des actions importantes qui a fait que l’interdiction a été retirée. (Cette grève) aurait mis le trafic aérien à l’arrêt dans tout le pays. Quand nous les visons au porte-monnaie (l’action porte). Comme pour les comptoirs lunch dans le sud durant le mouvement des droits civiques. Les commerces du bas des villes du sud ont été tellement touchés qu’ils ont fait pressions sur les élu.es de tous les niveaux pour que les comptoirs (jusque-là seulement ouverts aux blancs) soient ouverts à tous et toutes.
C’est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L’expérience actuelle est nouvelle. Pas au cours des années 1920 ou 1930 quand les États-Unis flirtaient avec le fascisme. Même pas quand ils ont attaqué les (Black) Panthers avec toute la violence que les Panthers ont subi et ce qui est arrivé durant les années 1950. Maintenant c’est différent. Je ne pense pas que nous allons rester assis.es sur nos chaises. Nous devons être informé.es et uni.es. Renforcé.es en nombre. Avec le « chacun.e pour soi » nous n’allons pas sauver notre démocratie. Nous devons nous unir à travers tous les secteurs. Ce régime tient sur des piliers : le militaire, les médias, les professions, etc. Si chaque pilier s’organise pour retirer son soutien nous pouvons y arriver. Et il faut le faire vite.
A.G. : Jane Fonda, nous devons nous arrêter ici. Merci d’avoir été avec nous.
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