Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Iran — Nous voulons des droits égaux !

Le vêtement féminin a partout et de tout temps fait l’objet d’un contrôle social et politique : en Iran ou en Arabie saoudite, le foulard est une honteuse obligation d’État ; en France, les appels à jeter l’opprobre sur celles qui le portent sont monnaie courante. Une semaine après l’arrestation de l’avocate et militante Nasrin Sotoudeh et en ce jour international de soutien aux prisonniers et prisonnières politiques iranien.ne.s, Shiva Mahbobi, ancienne prisonnière politique et membre du comité central du Parti des travailleurs communistes d’Iran, propose ici un bilan historique autant qu’un appel féministe national et international.

Tiré de Ballast.

En Iran comme dans bien d’autres pays, le patriarcat est profondément enraciné dans la société. L’histoire du mouvement des droits des femmes iraniennes remonte à plus de 100 ans ; le statut des femmes y a été profondément influencé et déterminé par la religion. Ce mouvement s’est pour l’essentiel développé après la révolution constitutionnelle (1905-1911) : les revendications féministes portaient alors principalement sur l’éducation. Le mouvement féministe était organisé par les femmes de la bourgeoisie éduquée et s’adressait principalement à elles. Bien que la révolution constitutionnelle fût susceptible d’ouvrir des perspectives favorables aux femmes, elle ne promulgua ni ne promut aucune loi en leur faveur : les femmes étaient encore considérées comme « sexe faible », aussi bien au sein de la société que dans leurs propres familles. Elles étaient privées des droits les plus fondamentaux, notamment celui de voter. L’un des premiers magazines consacrés aux droits des femmes en Iran s’intitulait La Voix des femmes (en farsi : Zaban-e-Zanan). Publié en 1919, il se préoccupait particulièrement de leur éducation, leur indépendance et leurs droits dans la famille ; aussi, il critiquait ouvertement le hijab (le voile, selon le code vestimentaire islamique). L’éditrice de ce magazine a été arrêtée à plusieurs reprises.

Jusqu’à la révolution [islamique] de 1979, l’Iran fut également influencé par la culture mondiale des années 1970, de l’essor des droits des femmes à leur implication dans la société (notamment sur les lieux de travail). Sous la pression des mouvements féministes internationaux, le gouvernement monarchique du Shah dut adopter quelques lois — somme toute timides — en faveur des Iraniennes. Ces progrès en matière de législation n’allèrent cependant pas jusqu’à leur octroyer des droits complets : le statut des femmes demeurait lourdement influencé par l’islam, structurant les lois et le système judiciaire. Au regard des décennies antérieures, les femmes purent tout de même obtenir quelques avancées : la modification du droit au divorce (lequel, au lieu de relever de la décision du seul mari, était désormais tranché par la Cour), le droit d’étudier dans les universités, le droit de garde des enfants en partage avec les hommes (jusqu’alors dévolu exclusivement à ces derniers) et la possibilité de s’habiller comme elles le souhaitaient, sans obligation de porter le hijab.

La révolution de 1979 fut un soulèvement populaire visant à renverser une monarchie qui maintenait les gens dans la pauvreté et les opprimait de façon dictatoriale. Nous espérions qu’elle pût apporter liberté et prospérité à tous. Malheureusement, cette révolution historique fut récupérée par le régime islamique : par ce détournement, l’espoir de millions de gens de vivre dans une société égalitaire, juste et libre, s’effondra une fois de plus. Le régime islamique se mit à réprimer toute dissidence dans le sang et s’échina à distiller la terreur dans la société, seule manière pour lui de briser l’esprit de la révolution et de tuer les rêves, les aspirations et les revendications du peuple pour une vie meilleure. Ce régime assit son pouvoir en attaquant, enlevant, emprisonnant, torturant, exécutant et détruisant quiconque osait le critiquer. Sous son joug, la situation des femmes évolua énormément… vers le pire. Les droits qu’elles avaient conquis — pourtant fort limités — leur furent enlevés. La première tentative du régime islamique pour contrôler les femmes — et dès lors la société tout entière — fut de les contraindre à porter le hijab : les Iraniennes comprirent immédiatement que cela constituait une attaque importante, aussi bien contre leurs droits que contre la révolution. Le 8 mars 1979, au lendemain de la promulgation de cette loi, des milliers de femmes descendirent dans les rues de Téhéran et d’autres grandes villes lors de la Journée internationale des droits des femmes ; elles scandaient « On n’a pas fait la révolution pour revenir en arrière ! » et revendiquaient l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Cette manifestation constitue un jalon majeur pour le mouvement féministe iranien. L’obligation du hijab ne s’en traduisit pas moins par une loi — « Les femmes qui apparaissent dans les rues et en public sans le "hijab islamique" prescrit seront condamnées à 74 coups de fouet » (article 102 de la Constitution du régime islamique) — devenue symbole de l’oppression des femmes. La question du hijab devint la principale pomme de discorde entre ces dernières et le régime.

Depuis les premières attaques menées par le régime islamique, les femmes d’Iran ont inlassablement combattu pour leurs droits les plus fondamentaux et n’ont cessé de défier la misogynie et les discriminations du régime — qui fit inscrire dans la loi l’infériorité des femmes, à la fois au sein de la société et de la famille. Au regard des lois islamiques, tous les aspects de leur vie se doivent d’être contrôlés par le gouvernement : les femmes ont à demander l’autorisation du chef de famille (masculin) afin de pouvoir travailler, se marier, étudier et participer à un sport ou à quelque autre activité. Celles qui tentèrent de s’opposer à ces lois et d’alerter les consciences quant à l’éradication des femmes de l’espace public firent l’objet de sévères punitions : des peines de prison, la torture, voire l’exécution. Les associations de femmes furent interdites et nulle organisation indépendante n’a été en mesure de soutenir les femmes iraniennes. Toutes les tentatives de former un groupe ou une organisation pour promouvoir leurs droits furent brutalement écrasées ; des dizaines d’activistes sont actuellement encore en prison. Les lois islamiques ont, en définitive, été instrumentalisées pour renforcer le patriarcat et l’oppression des femmes.

Malgré toutes les violences infligées aux Iraniennes, ces dernières n’ont jamais reculé et n’ont pas abandonné leur combat contre le régime. Les mouvements féministes iraniens ont pris part, après la révolution de 1979, aux partis politiques de gauche, notamment dans les années 1980 et au début des années 1990 : bien des femmes ont rejoint les partis qui incluaient les droits et la liberté des femmes dans leur déclaration d’intention. Au cours de cette décennie — particulièrement entre 1981 et 1988, période connue pour être la plus sanglante de l’histoire contemporaine de l’Iran —, le pays a compté un nombre record de prisonnières politiques. La répression brutale de 1981, avec l’exécution de centaines de milliers d’hommes et de femmes, fut la seule réponse tactique du régime islamique, destinée à distiller la terreur dans la société et au sein de l’opposition afin d’asseoir son pouvoir. La génération des femmes iraniennes ayant grandi pendant les années 1970, riche de l’expérience d’une relative liberté sociale antérieure, n’entendait pas se laisser déposséder. Elles agirent, demandèrent une égalité de droits et criaient : « Non au hijab ! », « Nous voulons des droits égaux ! » Ces femmes ont ouvert la voie à la génération suivante en lui donnant des outils pour résister. La génération de 1979 avait compris que, dans la question du hijab, ce n’était pas seulement le code vestimentaire mais bien le contrôle de la femme qui était en jeu : il s’agissait d’un symbole de la mise en esclavage des femmes et d’une tentative pour les rendre invisibles dans la société. Les militantes féministes d’aujourd’hui poursuivent courageusement cette lutte pour l’égalité des droits en Iran. La génération actuelle a été témoin et victime d’attaques et d’humiliations systématiques : se battre pour ses droits fondamentaux n’est pas une affaire de choix, c’est une nécessité. Le combat contre la loi sur le hijab perdure depuis les trente-neuf dernières années. Mais on voit à présent de jeunes femmes mener le combat plus loin encore en défiant le régime au niveau international : la joueuse d’échecs de 18 ans Dorsa Derakhshani, triple championne junior d’Asie, en est un exemple ; elle a été interdite de compétition dans tous les tournois après avoir décidé d’apparaître sans porter le hijab en février 2017.

En Iran, les femmes se considèrent comme l’un des principaux piliers de la lutte pour une société libre et prospère. Elles se sont impliquées dans la bataille pour l’éradication de la pauvreté ; elles ont été et sont toujours actives dans différents mouvements sociaux, tels que les luttes pour les droits des enfants, des animaux, des LGBT ou des travailleurs, pour l’environnement ou encore la libération des prisonniers politiques… Dès la révolution de 1979, les femmes ont pris part, et à quel prix, de manière visible aux luttes. Il en va de même pour les manifestations de masse de cette dernière décennie, notamment lors du soulèvement de 2009 qui a suivi la soi-disant élection présidentielle, ou bien lors des révoltes de décembre 2017. Depuis quatre ans, on assiste à l’intensification de la lutte contre le hijab : en attestent ces femmes qui ôtent leur voile en public et postent leurs photos sur les réseaux sociaux. Un mouvement aujourd’hui connu sous le nom de « Filles de la rue de la Révolution », né au lendemain des soulèvements de décembre 2017 et janvier 2018 lorsqu’une femme a suscité une vague de protestations en posant cet acte symbolique : retirer son hijab dans une rue populaire et très fréquentée, celle de la Révolution, et se tenir debout sur une pièce de mobilier urbain. Elle attacha son hijab au bâton qu’elle lança en direction de la foule en signe de protestation. L’acte courageux de cette femme a inspiré nombre de ses consœurs, qui reproduisirent ce geste dans différentes villes. Plus de 35 d’entre elles furent interpellées et bien d’autres agressées par les forces de sécurité. Le régime poursuit les prévenues pour « encouragement du peuple à s’engager dans la corruption en enlevant le hijab en public » et pour « avoir commis un acte interdit dans un espace public » ; elles sont condamnées à deux années de prison. En dépit de toutes les attaques, du harcèlement et des incarcérations, le mouvement des « Filles de la rue de la Révolution » s’est étendu à plusieurs villes d’Iran.

Bien qu’il existe un mouvement féministe large et persistant, il n’y a pas en Iran d’organisation des droits des femmes, locale ou nationale, puisque, nous l’avons dit, de telles associations sont illégales aux yeux du régime. Mais le mouvement féministe a trouvé une parade : l’une des meilleures et principales façons de s’organiser, de se coordonner et de communiquer sur un événement, sur des manifestations ou toute autre activité, est l’utilisation des réseaux sociaux. Le mouvement des « Filles de la rue de la Révolution » n’a été encadré par aucune association, aucun parti, aucun leader : les participantes ont diffusé les informations relatives à leurs actions sur Internet et invité tout le monde à se joindre à elles dans tout le pays. À l’instar d’autres régimes dictatoriaux de par le monde, le régime islamique a investi des ressources financières et techniques colossales afin de bloquer les applications des différents réseaux sociaux et de surveiller les conversations téléphoniques comme les courriels. Les services d’espionnage du régime s’emparent de toutes les occasions pour empêcher les gens d’envoyer des nouvelles à l’extérieur de l’Iran. Malgré toutes ces restrictions, les médias sociaux restent la principale ressource pour rendre visible des actions, même isolées ; elles sont ensuite reprises par les médias de l’opposition et les organisations à l’étranger. Le mouvement des « Filles de la rue de la Révolution » a ainsi inspiré certaines activistes féministes d’Europe et du Proche-Orient, appelant à une « Journée sans hijab » en soutien aux femmes iraniennes. Lorsqu’il y a une manifestation et que des arrestations ont lieu, l’information est envoyée à des organisations à l’étranger pour chercher du soutien et la relayer auprès des syndicats, des organisations féministes, des parlementaires et des chefs de gouvernement de différents pays, sollicités en vue d’adresser des lettres aux dirigeants du régime islamique d’Iran pour exiger la libération des activistes féministes. La solidarité internationale a été déterminante pour faire pression, condamner la répression du régime et affermir ces combats.

Le mouvement, et les revendications qu’il porte, sont fortement influencés par la gauche. Malgré les nombreuses tentatives du régime pour l’empêcher, la célébration de la Journée pour les droits des femmes, ce 8 mars 2018, s’est avérée plus visible encore que les années précédentes, et ce dans divers endroits du pays. Le mouvement féministe s’est répandu ; il réclame des droits égaux, la fin de l’apartheid sexuel et l’abrogation de l’obligation du hijab — autant de revendications qui figurent dorénavant en bonne place dans les mouvements universitaires ou syndicaux. Disons-le : le fait que ces mots d’ordre aient charpenté, sans interruption aucune, une partie essentielle des mouvements sociaux iraniens durant près de 40 ans est, en soi, un succès significatif.

Shiva Mahbobi est une militante des droits humains, porte-parole de la campagne pour la libération des prisonniers et prisonnières politiques iraniens, ancienne prisonnière politique elle-même. Elle est également membre du comité central du Parti des travailleurs communistes d’Iran.
Traduit de l’anglais, pour Ballast, par Patrick Zech

Shiva Mahbobi

Shiva Mahbobi est une militante des droits humains, porte-parole de la campagne pour la libération des prisonniers et prisonnières politiques iraniens, ancienne prisonnière politique elle-même. Elle est également membre du comité central du Parti des travailleurs communistes d’Iran.

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