Cependant, n’est-ce pas un fait surprenant que de constater que la député libérale se réclamant de l’égalité entre les hommes et les femmes ait choisi d’adopter une tradition occidentale ancestrale en se voilant chastement sous le patronyme de son mari ? Bien sûr, chacun est libre de ses choix personnels et seul maître du sens à leur attribuer, qu’il s’agisse de Madame Houda-Pépin ou d’une femme qui choisit de porter le voile. En ce qui concerne notre député, peut-être ce choix n’est-il pas le symbole de sa soumission à l’autorité de son mari, comme cela était le cas pour les
femmes mariées avant 1981 et qu’il s’agit simplement d’un choix stratégique pour se défendre de certaines réactions racistes en québécisant son nom pour faciliter son accès à la vie publique. Cependant, d’un point de vue symbolique, ceci constitue un recul qui est en rupture à la fois avec les acquis récents de sa culture d’accueil, le Québec, et avec sa culture d’origine puisque selon le droit islamique, les femmes ne doivent pas aliéner leur identité en prenant le nom de leur mari.
L’un des jalons de la lutte des femmes a été posé en 1981, alors que les femmes ont acquis le droit de conserver leur nom de naissance dans l’exercice de leurs droits civils. Avant 1981 et avant le projet de loi présenté par Marie-Claire Kirkland-Casgrain sur « la capacité juridique de la femme mariée », les femmes étaient considérée comme des mineures au sens de la loi. Le confinement dans un rôle de « femme au foyer » était le lieu effectif d’une domination économique. Aujourd’hui, les janettes et Madame Houda-Pépin croient que c’est en interdisant le port du voile, symbole d’oppression, que nous ferons avancer la cause des femmes. La solution d’aujourd’hui aurait-elle été valable jadis ?
Pour libérer la « femme au foyer » de la tutelle de l’homme, aurait-il fallu légiférer pour forcer les femmes à occuper un emploi rémunéré ? L’État aurait-il dû interdire d’être « femme au foyer » tout comme il voudrait interdire, aujourd’hui, le port du voile ? Les « pro-égalité » de l’époque auraient eu beau jeu de répondre à celles qui prétendaient vouloir choisir de rester à la maison que ce choix n’est pas vraiment libre, qu’il résulte des pressions de l’entourage, qu’elles ont été conditionnées depuis leur tendre enfance à idéaliser ce mode de vie…
En 1980, les yvettes ont réagi à une déclaration de Madame Payette en s’identifiant collectivement à un personnage féminin stéréotypé tiré d’un manuel scolaire tout à l’image du sexisme dominant de l’époque. Cependant, elles n’avaient pas tort de défendre le droit des femmes de choisir leur mode de vie. Peut-on réellement contraindre les aliénées à se libérer par un projet de loi ? Le retrait d’une liberté fondamentale peut-il réellement déboucher sur plus de liberté ? Le rôle de l’État est de mettre en place des conditions permettant une réelle liberté de choix et non de faire ce choix à la place des femmes.
Il aurait été ridicule de légiférer pour interdire aux femmes de rester à la maison. Ce n’est pas en limitant les choix qui leur sont offerts que l’État rendra possible l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cette conclusion est tout aussi juste aujourd’hui qu’hier. Madame Houda-Pépin, dans ses choix personnels, semble nier un des acquis des luttes féministes par le choix de son patronyme et, dans ses prises de position politiques, elle semble appuyer ceux qui envisagent de retirer aux femmes l’une de leurs libertés fondamentales. Les rétrogrades ne sont pas toujours là où on les attend…
Diane Gendron
Professeure au collège de Maisonneuve