Édition du 16 avril 2024

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Politique canadienne

L'héritage de Jack Layton et la course à la direction du NPD (première partie)

Avec la mort de Jack Layton, le Nouveau Parti Démocrate ( parti fédéral) a été aux prises avec une imprévisible course au leadership et son avenir même demeure en suspens.

Traduction : Shelly D’Cruz

Layton a dirigé le NPD de façon à ce que celui-ci fasse une percée historique au Québec et devienne pour la première fois l’Opposition officielle. Même du temps de Layton, ses victoires étaient précaires. Sans son chef, le NPD fait face à un immense défi pour conserver sa position dominante, sans compter son désir de former le gouvernement fédéral. En termes électoraux, beaucoup de choses dépendent de l’issue de cette course à la tête du parti.

En utilisant le système d’un vote par membre (OMOV), le NPD choisira son nouveau dirigeant le 24 mars prochain. Tout en attendant avec intérêt la course à la direction, il paraît utile de revenir sur l’héritage de Jack Layton en tant que chef.

L’héritage de Layton : modernisation et modération

Hormis la percée électorale au Québec, l’héritage de Layton au NPD est caractérisé par deux principaux aspects. Ce premier a modernisé et professionnalisé le NPD fédéral et l’a fait basculé vers le centre de l’échiquier politique. Ces changements ont certainement contribué à renforcer la position du NPD aux élections de 2011. Mais l’héritage de tout ceci pour la gauche au Canada demeure encore plus ambigu.

Layton a été élu à la tête du NPD en janvier 2003, via un système de vote OMOV modifié, qui a été utilisé pour la première fois par un parti fédéral : les votes des syndicats affiliés comptèrent pour 25% du total des votes. Tout au long de cette campagne électorale, Layton, ancien conseiller municipal de la ville de Toronto, a souvent été décrit comme un outsider sur le terrain, alors occupé par trois ministres en fonction ( Bill Blaikie, Lorne Nystrome et Joe Comartin). De plus, Layton a souvent été dépeint, particulièrement par les médias de masse comme une personne qui ferait pencher le parti vers la gauche, l’éloignant de la direction modérée d’Alexa McDonough.

Cette analyse était fausse à l’époque et les signes étaient présents pour tous ceux qui s’y intéressaient de près, mais ils devinrent plus clairs avec le temps à mesure que Layton dirigeait le NPD vers le centre de l’échiquier politique et non vers la gauche. Layton avait certes reçu le soutien de l’aile gauche du NPD, incluant aussi nombre de chefs et de partisans de la faction du NPI ( New Politics Initiative) qui avaient lors de la Convention du NPD de 2001, revendiqué de faire du NPD, un parti plus participatif et militant. Toutefois, Layton avait consciencieusement et explicitement cherché une diversité des appuis à sa candidature, dont certains s’opposant au NPI tels que l’ancien chef du NPD Ed Broadbent. Le ralliement de Broadbent à Layton a été un coup significatif pour la campagne électorale de ce dernier, bien que ce fait soit tout au plus l’exemple le plus visible de l’attachement de Layton à l’establishment du parti.

Layton ne s’est pas présenté comme un candidat de gauche et n’a pas accordé son soutien à la gauche. Rétrospectivement, l’orientation de sa campagne de 2003 était caractérisée par un mélange d’optimisme qui nous est maintenant familier, d’énergie débordante et de détermination à toute épreuve. L’un des points forts de Layton était sa capacité à générer l’attention des médias. Tout ceci était plus capital que tout autre agenda politique. Même en 2003, son programme en ce qui a trait àr l’économie et l’emploi n’était guère que relative aux équipements des immeubles pour l’efficacité énergétique et de fréquentes références à un moulin à vent solitaire aux abords de Toronto.

Pendant la course à la direction, les néo-démocrates modérés ont rapidement appris qu’ils avaient peu à craindre de la campagne de Layton. En effet, la promesse d’un chef bilingue et d’un professionnel en communication était fortement prisée. Un meilleur messager était offert et non un message différent. Plus que cela, la campagne de Layton était moderne, sophistiquée, une machine bien huilée et une campagne menée pour gagner la bataille des OMOV et faisant bonne figure pour gagner les élections générales. Par ailleurs, Layton a été capable de lever le plus de fonds. Selon les rapports financiers publiés pendant la course, Layton a recueilli de manière significative beaucoup plus d’argent que l’ensemble des autres candidats.

Layton s’est assuré une victoire décisive au premier tour en 2003. Se faisant, il a mis en place une référence pour son mandat. Layton, avant tout autre chose était un social-démocrate modernisateur. Il a modernisé avec succès et professionnalisé le NPD fédéral à des niveaux que nous n’avions jamais vu auparavant. Il a consolidé et centralisé les capacités en communication du parti et le NPD a pu complètement s’adapter aux sondages et aux stratégies de marketing inhérentes aux campagnes électorales modernes. Il a imposé un certain degré de discipline dans les messages qui n’avait pas été atteint jusqu’à là. D’autre part, sa maîtrise du français et son accent sur le Québec lui ont permis de construire un soutien majeur auprès des francophones au sein du NPD.

Les efforts de Layton pour moderniser le parti fédéral ont été motivés et aidés par les changements des règles de financement des partis politiques ( de 2003 à 2006) qui interdisaient aux syndicats et aux entreprises privées de faire des dons aux partis politiques et exigeaient la séparation des partis fédéraux des partis provinciaux.

Les sections provinciales majeures du parti avaient été pendant longtemps puissantes sein du parti fédéral, et ce, au détriment du développement d’une organisation fédérale distincte. Le mouvement syndical était à la fois une source de financement et un acteur puissant ( faisant lui-même face à des divisions internes) du parti fédéral. Avec une influence et la pression réduites des factions provinciales et des leaders syndicaux, le NPD fédéral ( et ses circonscriptions associées au fédéral) est devenu une institution plus forte et dont l’indépendance a grandi sous le règne de Layton. En même temps, le parti a pu accéder aux nouvelles subventions du gouvernement à l’intention des partis politiques. Bien que les subventions publiques sont actuellement en train d’être supprimées progressivement par le gouvernement Harper, le NPD est pourvu, pour l’instant de ressources financières sans précédent. Avec ces moyens financiers, le NPD a été en mesure de lancer des campagnes électorales de plus en plus sophistiquées en recourant à des campagnes publicitaires, des sondages, des messages et en enregistrant les intentions de vote dans le but de se mesurer aux autres partis.

La transformation du NPD fédéral a aussi été façonnée par l’évolution vers le système de vote OMOV. Maintenant, le chef recevrait son mandat d’un plus large éventail des membres de son parti, avec une marginalisation relative du caucus fédéral, des puissantes factions fédérales des syndicats et des militants locaux du parti.

Le conditionnement du NPD

Fermement en contrôle du parti, Layton a été en mesure de modérer, simplifier et à soigneusement conditionné le message du NPD. Il a tout simplement laissé de côté les politiques controversées. Lors de l’élection de 2004, il a, à lui tout seul, révoqué la position de longue date du NPD du soutien au retrait des troupes canadiennes de l’OTAN. A chaque campagne, Layton ne se concentrait que sur un petit nombre de modestes réformes. Graduellement, le NPD s’est mis à parlé au nom des Canadiens appartenant à la classe moyenne. Et aux élections de 2011, le NPD a proposé de réduire les taxes sur les petites entreprises pour récompenser « les créateurs d’emplois. » Certainement, la plateforme de 2011 était un programme plus modéré qu’aucun autre jamais offert auparavant par les précédents chefs NPD. Il est donc devenu difficile pour les médias de masse de dépeindre le NPD comme une horde de socialistes.

Layton n’a pas seulement cherché à transformer la rhétorique électorale du NPD. Il s’est aussi attaché à amender le préambule constitutionnel du parti empreint d’une référence « aux principes démocrates-socialistes . » Une proposition pour un nouveau préambule était sur la table de discussion lors de la convention fédérale de 2011. Finalement, le préambule fut renvoyé à l’exécutif du parti pour de plus amples discussions et à des fins de consultation. Pendant ce temps, l’ancien préambule qui n’a ni été officiellement remplacé ni modifié a tout simplement disparu de la constitution publiée actuellement sur le site web du parti. Le processus de modernisation continue.

Un autre fait notable des années Layton a été le positionnement du NPD comme parti du gouvernement, ce qui impliquait de travailler avec le gouvernement ou de coopérer avec les autres partis politiques. Cas le plus notoire, bien évidemment, a été l’influence du NPD sur le budget du gouvernement minoritaire libéral en 2005 et la proposition en 2008 de former un gouvernement de coalition avec les Libéraux qui recevrait par la même occasion le soutien du Bloc Québécois. Bien que tactiquement utiles au NPD, ces étapes étaient incohérentes en terme de programme.

Layton a réussi à faire glisser le NPD sur une ligne aussi modérée parce qu’il n’a jamais eu d’opposition interne. Pendant la course électorale de 2003 et depuis lors, il a réussi obtenir l’appui de l’aile gauche au sein du NPD. Cela est dû en partie à sa trajectoire politique personnelle et à son réseau politique. Grâce à ses années comme conseiller municipal à Toronto, Layton a développé des liens personnels et une crédibilité auprès de groupes militants, incluant les écologistes, les féministes, les militant-e-s queer, des activistes antipauvreté. De plus, la gauche au sein du NPD n’est que faiblement organisée. Les syndicats qui empêchaient Alexa McDonough de déplacer le parti vers le centre de l’échiquier politique en 1999 sont dans un total désarroi. Par exemple, le Syndicat des travailleurs canadiens de l’automobile soutient maintenant les Libéraux.

Durant ces récentes années, Layton est devenu l’essence même du parti. La campagne du NPD de 2011 a été incontestablement centrée sur la personne du chef alors que celle de 1988 avait tenté de capitaliser sur la popularité d’Ed Broadbent en tant que personne. Même si le contexte est bien différent, le NPD risque de connaître une chute similaire à celle qu’il a connue après le remplacement de Broadbent (même si d’autres facteurs ont joué un rôle dans les années 1990). Si la force de vente se réduit à la personnalité et à l’image du chef, alors il y a de sérieux problèmes si le chef du parti devait changer.

En somme, on peut affirmer que Layton a réussi à faire de sorte que le NPD puisse enfin assumer son identité en tant que parti électoral de centre gauche. Il a fait du NPD, un parti plus capable, plus professionnel, une machine électorale plus sophistiquée. Si c’est là le rôle du NPD, autant qu’il le fasse au mieux. Toutefois, il en résulte que le NPD est un parti moins démocratique, plus centralisé et plus autocratique.

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