Édition du 22 avril 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

L’internationalisme de combat antidote au poison nationaliste du fascisme renaissant !

« La seconde histoire est liée au ghetto de Wilna. Jusqu’à son extermination, une partie des hommes étaient conduits hors du ghetto pour travailler dans une usine d’armement. Le directeur de l’usine était un jeune officier SS (on peut trouver son nom dans le livre de Kovner) qui chaque matin regardait attentivement les hommes qui venaient travailler. Ayant compris que Kovner était leur dirigeant, il s’arrange pour le voir tète à tête et lui demande de but en blanc : « Les gars, vous avez besoin d’armes ? » Kovner est sidéré.

Par Yorgos Mitralias

Il craint une provocation mais l’autre lui tend un revolver et depuis ce jour-là, chaque jour. Au moment du départ du convoi, il répète cette opération fort dangereuse pour tous les deux. Bien des années plus tard, lors du procès de Eichmann à Jérusalem, Kovner qui était un témoin de l’accusation, évoqua devant le tribunal l’histoire de cet officier. Eichmann, dans sa cage de verre, qui écoutait d’un air tendu, a brusquement éclaté : « Je connais ce traitre, nous n’avons pas pu l’anéantir ». C’est possible. Mais malheureusement il n’y a personne a qui demander s’il est encore en vie ». (1)

Cette incroyable histoire de l’officier SS qui pourvoie en armes ses détenus juifs destinés à la mort, afin qu’ils se libèrent de leurs bourreaux nazis, est tirée du passionnant livre autobiographique « Les sentiers du passé » (Ed. Syllepse) du grand historien de l’URSS Moshe Lewin. Et elle nous est venue en tête en lisant les dernières nouvelles concernant le -toujours plus grand- mouvement des réservistes Israéliens qui refusent de servir à Gaza, et qui ont comme mot d’ordre le très éloquent « Œil pour œil et nous devenons tous aveugles »…

Évidemment, ce n’est pas un hasard que tant Eichmann que Netanyahou utilisent le même mot, le mot « traitre » pour qualifier leurs compatriotes qui désobéissent à leurs ordres et refusent de participer à leurs guerres. D’ailleurs, tant Eichmann que Netanyahou emploient aussi le même mot, le mot « terroristes » pour rendre imprésentables leurs « ennemis » Juifs d’alors pour l’un, palestiniens d’aujourd’hui pour l’autre !

Cependant, au-delà de leurs analogies, sinon de leurs similitudes, force est de constater qu’il y a au moins une différence de taille qui sépare ces deux cas de refus d’obéir aux ordres des supérieurs. Dans l’actuel cas israélien, comme le constate le média israélien +972 « qui s’est entretenu avec plusieurs associations de défense des "refuzniks", la plupart des réservistes ayant défié ces derniers mois les ordres d’enrôlement n’ont aucune "objection idéologique réelle à la guerre". Ils sont plutôt "démoralisés, lassés ou excédés par sa durée interminable".*

Tout autre a été la motivation de l’officier SS qui armait les jeunes détenus -et partisans- Juifs de Vilnius. Lui, il a fait quelque chose qualitativement très différent : il ne s’est pas contenté ni de refuser la guerre par pure pacifisme, ni de montrer de la compassion pour les travailleurs « esclaves » juifs de son usine d’armement, ni même de les cacher et les aider à survivre, comme l’a fait l’officier de la Wehrmacht Wilhelm Hosenfeld pour le pianiste juif du ghetto de Varsovie Władysław Szpilman (2), ce qui serait déjà énorme. Lui est allé beaucoup plus loin en se joignant, tout a fait consciemment , à ces juifs, en leur offrant, jour après jour, des armes, sans qu’eux les lui demandent (!), pour qu’ils se battent contre son Allemagne nazie et son armée dont lui-même était un officier ! En somme, cet officier SS est le parfait « traitre » car il a changé de camp, passant du camp des bourreaux à celui de leurs victimes, afin de se battre avec eux -les armes à la main- contre la barbarie génocidaire !

Ceci étant dit, le grand problème actuel de la population juive d’Israël, et par conséquent de tout le Moyen Orient, est que, à quelques exceptions (héroïques) près, il manque cruellement de tels « traitres. Des admirables « traitres » de leur État raciste et génocidaire, qui sauveraient l’honneur non seulement de leur nation juive mais aussi de l’humanité entière en décidant de changer de camp pour se battre avec les victimes de leur propre pays, expropriés, humiliés, opprimés, massacrés, déportés, ethniquement nettoyés et exterminés dans ce qui est la definition du genocide !

Toutefois, ce qui devient de plus en plus évident c’est que le besoin urgent de ces « traitres » se fait sentir maintenant bien au-delà d’Israël et du Moyen Orient, pratiquement partout sur notre terre. Et cela parce qu’au moment où la peste brune refait surface, on a un besoin plus que vital de ces « traitres » et de leur exemplaire internationalisme pratique en tant qu’antidote aux démons nationalistes de l’entre-deux-guerres qui semblent plus menaçants que jamais. On a besoin des gens qui poussent jusqu’au bout leur logique antifasciste ou anticolonialiste comme par exemple l’a fait le Français Georges Boudarel quand il a décidé de se joindre aux maquisards Viet Minh qui combattaient l’impérialisme français au début des années ’50. Ou comme l’ont fait ces jeunes trotskistes Français qui ont osé l’impensable, en éditant et en diffusant parmi les soldats Allemands de la base de sous-marins de Brest, le journal ronéotypé « Arbeiter und Soldat » (Travailleur et Soldat). Inutile de dire que tous ont payé très cher leur initiative internationaliste : Boudarel s’est trouvé jusqu’à la fin de sa vie dans le viseur des colonialistes impenitents Français qui voulaient se venger, tandis que la trentaine des militants français et de soldats allemands du groupe de Brest, ont été soit exécutes soit envoyés au Front de l’Est ou dans des camps de concentration. Quant au dirigeant de ce groupe, le jeune revolutionnaire Juif Berlinois Martin Monath alias Widelin, après qu’il a survécu miraculeusement à une première exécution par la Gestapo (deux balles à la tête et à côté du cœur), il a été repris et pendu.

A quelques jours du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Boucherie Mondiale, et au moment où le spectre de Hitler et de sq peste brune planent de nouveau sur notre vieux continent, il est plus qu’utile de se rappeler de ces héroïques internationalistes et de constater que leurs combats exemplaires sont d’une actualité brulante…

Notes

1. Abba Kovner : Juif, combattant, poète, sioniste de gauche. Après avoir tenté d’organiser l’insurrection du ghetto de Wilna (Vilnius), il s’enfuit par les égouts avec ses camarades pour gagner les forêts, où il devient une légende par ses exploits au combat à la tête d’un millier de garçons et filles juives, en lien avec des partisans soviétiques. Après la guerre, voulant se venger, il tente, heureusement sans succès, d’empoisonner l’eau des grandes villes allemandes. Une fois en Israël, il est actif dans la gauche sioniste et justifie les massacres des Palestiniens.

2. Voir le très beau film « Le pianiste » que Roman Polanski a consacré à la destruction du ghetto de Varsovie et à l’histoire du Juif Szpilman et de son sauveur officier de la Wehrmacht.

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Yorgos Mitralias

Journaliste, Giorgos Mitralias est l’un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM et de la Campagne Grecque pour l’Audit de la Dette. Membre de la Commission pour la vérité sur la dette grecque et initiateur de l’appel de soutien à cette Commission.

http://www.contra-xreos.gr

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