Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Charte des valeurs québécoises

Les retombées d’une expérience de relations publiques

L'ostie d'charte

Le questionnement sur le port des signes religieux ostentatoires, bien qu’il soit légitime, a complètement détourné le débat entourant la laïcité.

Montréal — Alors que peine à s’estomper le ressentiment causé par la Charte des valeurs québécoises, nous en sommes à nous questionner sur les intentions réelles qui se cachent derrière cette stratégie péquiste. Fuite d’information volontaire, spectacle médiatique démagogique et polarisation de l’opinion publique : tout semble indiquer que la Charte a accompli sa tâche ingrate, soit la confusion de masse. Tragiquement, ceci contribuera à discréditer la laïcité.

(tiré du journal Ensemble, http://www.journalensemble.coop/)

La manipulation de l’opinion publique implique une fine compréhension de la sémantique. Le crédo des experts en relations publiques veut que les mots soient plus importants que les idées qu’ils souhaitent former. Ainsi, passer de la « Charte de la laïcité » à la « Charte des valeurs québécoises » est un geste qui change tout. D’un débat qui aurait pu être centré sur des questions précises et fondamentales, on a créé un orgasme médiatique aux vagues émotives polarisantes.

On a fabriqué une guerre de boules de neige infantile, où les opposants n’ont qu’à se catapulter insultes et ressentiment pour se voir être confirmés par leurs pairs. La conséquence la plus importante de cette transformation du débat en spectacle désespérant aura malheureusement été l’importante perte de crédibilité de l’idéal laïc et l’impressionnante monopolisation de la sphère médiatique au détriment d’autres débats pressants. Pourquoi voit-on ce débat relativement périphérique muter en un chahut collectif histrionique ? N’est-il pas probable que telle était précisément l’intention du Parti Québécois (PQ) ?

Le foisonnement démagogique

Évidemment, on ne peut simplement rejeter du revers de la main le questionnement sur l’identité, sur la place de la religion dans l’État ou sur l’immigration. On peut cependant douter que le présent débat contribue d’une quelconque manière à résoudre ces questionnements légitimes, sinon à réduire les possibilités d’opinion à une opposition binaire. Il est profondément frustrant d’être témoin des positions campées et démagogiques des deux groupes rivaux.

Plusieurs opposants à la Charte, succombant à la tentation d’assimiler toute politique de nature identitaire au règne nazi, ont pour argument principal de traiter les supporteurs de la Charte de fascistes. Belle pelletée de bouette discursive ; facile à lancer au visage des défenseurs de l’identité québécoise, rapidement appuyée par tous ces êtres bien-pensants qui aiment se considérer être ouverts sur le monde. Pour leur part, plusieurs défenseurs de la Charte, aveugles aux éléments populistes qu’elle contient, insensibles à la réalité de l’immigration, qui secrètement laissent fermenter un racisme amer depuis des années, projètent sur l’altérité les causes de notre impuissance collective.

La brèche qu’a ouverte la Charte nous laisse entendre ces voix haineuses qui se sentent maintenant justifiées dans leurs pires dérives ethnocentriques. Mais il est tout aussi malheureux de constater le total manque d’autocritique du discours multiculturaliste. Si convaincu de sa propre supériorité morale, il en vient à réduire la laïcité à ce discours raciste que tient un secteur somme toute marginal de la population québécoise.

Doit-on réellement croire que les stratèges du PQ sont animés par un discours racial lepéniste ? Doutons-en. Alternativement, est-il possible que le PQ n’avait guère d’objectif plus élaboré que celui de semer les graines d’un conflit explosif, sans issue apparente ? Il aurait été facile pour les publicistes du parti de prévoir les réactions opposées qui se buteraient les unes aux autres dans cette parade enivrée du désespoir national.

Une fuite intentionnelle

Sébastien Bovet, correspondant principal de Radio-Canada à la colline parlementaire, prétend que la fuite d’informations qui a initialement rendu public le contenu de la Charte fut orchestrée par le PQ. Le parti aurait volontairement fait circuler le contenu de la Charte près d’un mois avant son dépôt officiel. La sphère médiatique a donc eu un mois gratis pour faire mousser la sauce et pour donner le « spin » médiatique ethnocentrique qu’allait prendre le débat. Toujours selon M. Bovet, la stratégie du PQ aurait été de fabriquer une fuite d’informations de manière à sonder la réceptivité du public face à leur projet.

D’autres commentateurs ont avancé que la stratégie du PQ était principalement électoraliste. Cependant, malgré la hausse initiale en popularité du PQ chez les Québécois francophones suivant cette fuite, leur appui semble aujourd’hui de plus en plus ambivalent. Cette réaction n’aurait-elle pas été facile à prévoir ? Il semble donc tout aussi plausible que le PQ ait eu comme intention la création d’une engueulade sans issue ; la fabrication d’une éponge d’attention. Peut-être était-ce pour masquer d’autres débats importants ? Ou peut-être simplement pour faire oublier le bilan désastreux de leur première année au pouvoir ; et ainsi pour mieux poursuivre le virage néolibéral de ce parti qui, contre toute logique, se revendique toujours de la gauche.

On peut difficilement attribuer des intentions claires aux politiciens. Mais en considérant les conséquences de leurs actions, nous pouvons en esquisser les contours.

La laïcité est discréditée

La conséquence la plus grave du présent psycho-drame est la perte de crédibilité du concept de laïcité. Le débat aura donné un nouveau sens au mot « laïcité », maintenant compris par plusieurs comme étant synonyme d’intolérance, de renfermement identitaire, d’exclusion, de xénophobie, etc. Malgré la confusion, la laïcité a une signification consensuelle et clairement définie : l’expulsion de la morale religieuse hors de l’appareil d’État. Historiquement, l’État laïc fait rupture avec le passé par le fait que ni sa Loi ni ses représentants ne se revendiquent être d’inspiration divine. Au lieu d’une morale religieuse, l’État laïc mise sur une morale humaniste et universaliste. Tous ont les mêmes droits et sont égaux devant la Loi, peu importe leur affiliation religieuse (du moins en théorie).

Les États non-laïcs et théocratiques divisent quant à eux l’humanité entre croyants et non-croyants, Fidèles et Infidèles, Élus et Goyim, Chrétiens et Païens, etc. Dans une théocratie, la religion dominante assure des droits à certains alors qu’elle les enlève à d’autres, selon qu’ils suivent les dogmes religieux ou non. Les lois humaines y sont assujetties aux lois divines et le pouvoir revient aux interprètes officiels de la parole sacrée de déterminer quels comportements sont illégaux.

Définie ainsi, la laïcité représente le contraire de l’intolérance et elle est par sa nature même garante du cosmopolitisme tant valorisé par les opposants à la Charte. À l’extérieur de certains cercles religieux aux discours douteux, nous pouvons assumer que peu de gens s’opposent consciemment à cette laïcité, et encore moins voudraient voir cet état de fait se détériorer au Québec.

Or, on comprend mal comment le port du hijab par une agente d’information ministérielle remet en cause les fondements de la laïcité. À moins de voir le système judiciaire intégrer des éléments de la Charia, ou encore le système d’éducation substituer l’enseignement de l’évolution par l’enseignement du créationnisme, la laïcité ne semble pas en danger au Québec.

Le questionnement sur le port des signes religieux ostentatoires, bien qu’il soit légitime, a complètement détourné le débat entourant la laïcité. Il ne va pas de soi qu’un enseignant ou un policier ait le droit d’afficher ouvertement son appartenance religieuse, et il est irréfléchi de dire que ce questionnement relève de la xénophobie ou du fascisme. Mais il a été abordé d’une manière volontairement polémique par le PQ. En rattachant ce questionnement à l’expression « valeurs québécoises », cet élément plus ou moins cosmétique, soit le code vestimentaire, a pu mieux atteindre son objectif de confusion de masse.

Le néolibéralisme triomphant

La table a ainsi bien été mise pour poursuivre le virage néolibéral de l’État. L’interventionnisme étatique a été à nouveau discrédité dans ses tendances nationalistes-autoritaires. La perte de souveraineté réelle de l’État en matière de ressources naturelles et de macro-économie aura été masquée par cette apparence de souveraineté pseudo-identitaire.

Dans un contexte où les leviers du pouvoir nous échappent de plus en plus, le désespoir étatique agit avec une force renouvelée là où quelques miettes de contrôle existent toujours, entretenant notre aveuglément face à la décomposition de l’action politique.

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