Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

Phase II des États généraux sur l’indépendance du Québec,

L'unité des indépendantistes ne pourra passer que par la construction d'un mouvement citoyen agissant !

Le 6 avril dernier, plus de 600 indépendantistes se réunissaient à Québec dans le cadre de l’ouverture de la phase 2 des États généraux sur la souveraineté. S’il y avait une bonne cohorte de jeunes, l’âge de la majorité des personnes présentes avoisinait, voire dépassait allègrement la cinquantaine. La sous-représentation des femmes était telle, qu’un décomptage rapide nous a permis d’évaluer que leur participation se situait entre 15 et 20 % de l’assistance, une sous-représentation beaucoup plus importante que celle des jeunes. De là à conclure que ce carré de souverainistes n’était qu’un aréopage de vieux mâles serait sans doute doute outrancier, mais il n’en reste pas moins qu’une réflexion s’impose par rapport à ces réalités indéniables.

En avant midi, les interventions du président du Conseil de la souveraineté et des commissaires visaient à présenter un court bilan de la phase 1 des États généraux, qui s’était donné comme objectif de décrire les blocages institutionnels qui pèsent sur le Québec au sein de l’État fédéral, ainsi que de mettre la table pour les débats qui devaient se tenir en atelier. Ces débats étaient organisés autour de trois thèmes : 1. souveraineté populaire et pouvoir constituant ; 2. économie et souveraineté ; 3. mobilisation et action politique. En après-midi, une assemblée délibérante, la Grande assemblée, devait permettre de discuter et d’adopter les propositions et les amendements retenus par les ateliers et d’entendre les orateurs des partis politiques souverainistes : Jean-Martin Aussant d’Option nationale, André Frappier de Québec solidaire et Alexandre Cloutier, ministre du gouvernement du Parti québécois. Bernard Landry avait reçu comme tâche de faire le discours de clôture.

Chantier 1 : Souveraineté populaire et pouvoir constituant

Dire que la souveraineté populaire implique un pouvoir constituant, c’était là une approche dans laquelle les militantEs de Québec solidaire pouvaient se reconnaître. À partir d’un bilan historique de la lutte souverainiste dans les dernières décennies et de la stratégie référendaire, nous avons tiré la conclusion qu’il fallait renouer avec la perspective de la mise en place d’une Assemblée constituante.

Le cahier de travail parlait également d’exigence républicaine. Pour se retrouver dans un discours qui nous ressemble, il restait à souligner la nécessaire rupture avec les institutions britanniques, pour dépasser le déficit démocratique porté par ces institutions.

La première partie de la proposition soumise au débat mandatait la Commission nationale des États généraux d’entreprendre, dans le cadre de la phase 2, un ensemble de travaux de consultation visant à « proposer au peuple québécois et éventuellement à l’Assemblée nationale, des modalités d’une démarche constituante par lequel le peuple québécois se dotera de sa propre constitution ». La délégation de Québec solidaire trouvait cette formulation bien générale. Nous pensions qu’il était nécessaire d’amender cette partie de la proposition pour faire ressortir le caractère indépendant et démocratique du processus constituant. Notre raisonnement est que la démarche constituante ne doit pas être le fait d’une commission d’experts, mais de représentantEs éluEs du peuple québécois. Un atelier avait adopté cet amendement, ce qui lui a permis de revenir en assemblée générale, où, il fut reçu plus que froidement. Nos explications s’étant heurté à un mur d’incompréhension, l’amendement fut battu par plus des deux tiers des personnes présentes.

La discussion devait également porter sur la charte des droits que nous pourrions inclure dans une éventuelle constitution. Nous pensions qu’un tel texte ne pouvait se limiter à une simple charte des droits de la personne et qu’on devait inclure dans une éventuelle constitution du Québec une charte des droits collectifs économiques, sociaux et nationaux. Dans ce cadre, il nous semblait évident qu’une telle charte des droits collectifs se devait d’assurer une égalité effective des hommes et des femmes. Cette proposition eut comme effet d’enflammer la salle. Les files s’allongèrent aux micros pour affirmer que c’était là une proposition inutile, que les femmes n’avaient pas à être protégées, que l’égalité était réalisée et qu’on faisait là un combat dépassé ! La virulence des propos tenus, l’affirmation d’une égalité déjà réalisée contre toute vraisemblance nous a laissés bouche bée. Pressé d’en finir, avec une proposition qui était stigmatisée comme insensée, l’appel au vote se fit rapidement et plus de 90% de la salle rejetait cette proposition. Si le climat des débats en ateliers nous laissait espérer beaucoup, nous comprenions que le renouveau du discours souverainiste ne serait pas nécessairement facile. On comprenait mieux pourquoi il n’y avait même pas 20% de femmes dans cette auguste assemblée.

Chantier 2 : Économie et souveraineté (ateliers 3 et 4)

Ce chantier s’inscrivait dans un cadre étroit et artificiel. On nous présentait sept thèmes qui devaient être abordés au cours de la phase 2 et l’objectif des ateliers devait être de déterminer un ordre de priorité. Les ateliers, puis la grande assemblée, devaient retenir quatre des 7 thèmes suivants : le transport, les ententes commerciales internationales, la formation de la main-d’œuvre et de l’emploi, le partage des pouvoirs entre l’État québécois et les régions, la culture et les communications, la souveraineté et la sécurité alimentaires, et enfin l’intégration des principes du développement durable.

Heureusement, la dynamique des ateliers devait nous permettre de discuter du fond des questions. Le texte du cahier se contentait de souligner les possibilités ouvertes par le transfert des pouvoirs de l’État fédéral à l’État d’un Québec indépendant. Ce biais ne permettait pas de définir les défis économiques d’un Québec indépendant en ce début du XXIe siècle marqué par une crise économique et par une crise écologique majeure. Comment dans un tel contexte concevoir une économie d’un Québec souverain capable de répondre véritablement aux besoins de la majorité de la population québécoise ?

Les participantEs à l’atelier ont soulevé la nécessité de poser la dimension écologique de la rénovation des transports publics urbains et interurbains et de leur électrification. Nous avons souligné la nécessité de remettre en question des ententes de libre-échange qui pouvaient déboucher sur la fragilisation de notre secteur public et leur éventuelle privatisation. La façon dont est négocié le traité de libre-échange Canada-Europe est remarquable à cet égard. Un débat intéressant a pu également se développer sur les conditions d’un véritable développement régional lié à une démocratisation des décisions économiques. La liaison entre les choix économiques et écologiques a été soulevée par plusieurs. Enfin, nous avons souligné l’absence totale de préoccupation pour une nouvelle répartition de la richesse plus égalitaire dans un Québec indépendant. Le Cahier gardait un silence total sur cette question. À l’heure où les politiques d’austérité sont de plus en plus dures contre les secteurs les plus démunis de la population, cette question devenait essentielle.

Si les ateliers de ce chantier fournissaient un espace de débat sur le fond des questions, les débats en plénière nous ont ramenés à une démarche stérile sur la hiérarchisation des thèmes qui s’est en fin de compte conclue par des regroupements de thèmes sans véritable articulation des questions soulevées par ces derniers. Tous les thèmes furent finalement retenus. Un exercice inutile qui n’a pas permis d’identifier les défis économiques que devra affronter un Québec indépendant.

Et pourtant, le Québec d’aujourd’hui comme celui de demain est sous la pression des grandes entreprises pétrolières et gazières, qui veulent lui imposer le maintien et même l’élargissement de l’exploitation des énergies fossiles, ainsi que le développement de son économie comme une économie extractiviste au service de puissances étrangères. L’enjeu économique majeur est de s’engager à mettre en place, le plus rapidement possible, une transition vers l’utilisation exclusive d’énergies renouvelables et à faire l’économie d’énergie une composante de la politique énergétique du Québec. Un second défi est de s’appuyer sur cette redéfinition de notre base énergétique pour favoriser la transformation de nos industries et de nos moyens de transport. Ce serait là un vaste chantier public permettant d’atteindre le plein emploi, la redistribution de la richesse et de lutter contre le réchauffement climatique. Ces transformations économiques majeures, pensées pour répondre aux besoins sociaux du plus grand nombre, nécessiteraient la récupération du contrôle de nos ressources naturelles minières et forestières. Ce qui permettrait de jeter les bases d’un réel développement de l’ensemble des régions du Québec. Enfin, les ressources financières permettant de telles perspectives devront être identifiées.

Dans cette nouvelle phase des États généraux, voilà des débats qu’il faudra reprendre si nous voulons définir un projet d’indépendance mobilisateur, et dans laquelle la majorité populaire pourrait se reconnaître.

Chantier 3 : Mobilisation et action politique (ateliers 5 et 6)

Ce chantier se donnait comme objectif de « nourrir un plan d’action et de mobilisation et de promotion de la souveraineté dans la société civile, prise en charge par le Conseil de la souveraineté ».

Le Cahier de travail ne manquait pas de soulever certaines questions sur la nécessité de tirer un bilan stratégique des orientations développées antérieurement et sur les fondements des défaites passées. Il posait des questions visant à identifier les axes d’une véritable remobilisation autour de l’indépendance. Il en posait également sur la jonction du mouvement indépendantiste avec les secteurs les plus précaires et les moins intégrés de la société québécoise.

Mais, ces débats n’ont pas eu lieu. L’avancée de la souveraineté serait d’abord le fruit d’une campagne de promotion et d’un renouvellement du discours souverainiste.

Le bilan des stratégies fut encore une fois évité. Le gouvernement péquiste pouvait continuer à axer son action autour de la gouvernance souverainiste, il n’y a pas eu une seule intervention qui visait à apprécier la pertinence ou le caractère d’impasse d’une telle stratégie autonomiste ! La place de l’assemblée constituante élue et de la mise en place d’un mouvement citoyen pour une telle perspective ne reçut également aucune attention !

La perspective d’un mouvement citoyen actif et militant a commencé à apparaître comme une nécessité. On adopta une proposition visant à mettre en place un comité national de communication et un comité national de mobilisation. On parla même de rendre les États généraux permanents. Il reste que le président du Conseil de la souveraineté souligna qu’il serait mieux de ne pas multiplier les structures et de modifier plutôt les modes de fonctionnement du Conseil. Mais, il reste que les bases politiques de la construction d’un tel mouvement citoyen et les voies favorisant la réappropriation par la majorité de sa souveraineté populaire restent encore à établir. Cette Grande assemblée a malheureusement bien peu fait à cet égard.

Les discours des partis... ou la perspective unitaire ne passe pas par là

Jean-Martin Aussant a dit souhaiter l’unification des partis. Il est prêt à en parler. Il est ouvert. Mais il tire clairement la ligne. L’unité nécessite de faire de l’élection qui vient une bataille pour l’indépendance. Et, il sait très bien qu’il devra développer considérablement son parti avant que son poids politique puisse exercer une pression significative sur le Parti québécois en ce sens. Mais telle est son orientation stratégique. Déjà, il dénonce le vote utile pour empêcher la prise du pouvoir par le PLQ ou par la CAQ comme un projet peu mobilisateur qui ne peut faire avancer la souveraineté. Entre les envolées unitaires et les orientations tactiques qui se dessinent, l’écart reste abyssal.

Le ministre délégué aux affaires intergouvernementales canadiennes du gouvernement péquiste a pris la parole. Après avoir félicité les organisateurs des Assises et commenté positivement le document issu de la première phase des États généraux sur la souveraineté, il a défendu les gestes actuels du gouvernement péquiste, particulièrement la mise sur pied d’une commission nationale d’examen sur les réformes conservatrices de l’Assurance-emploi. Il a rappelé quelques initiatives du gouvernement péquiste en ce qui concerne la défense de la souveraineté : regroupement d’artistes et de juristes pour préparer l’avenir du Québec, mises à jour d’enquêtes sur la faisabilité de la souveraineté. Il a affirmé que chacun de ces gestes est un pas de plus vers la liberté du Québec. Il a salué les indépendantistes présents aux États généraux, qu’il a définis comme une grande famille. Le Parti Québécois est lui aussi pour l’unité. Mais comme le rappelait le ministre Cloutier aux journalistes, quand il parle d’unité, il est clair pour lui qu’elle ne pourra se réaliser que dans le Parti québécois.

Le porte-parole de Québec solidaire, André Frappier, a décrit clairement le défi qui est devant le mouvement indépendantiste, celui de redonner au peuple du Québec, le pouvoir sur son processus de libération nationale. Il a montré que le peuple n’a pas une conscience scindée, qu’il ne peut séparer le projet social du projet national, les aspirations à l’élargissement de la démocratie de la mise en place d’une société indépendante. C’est bien là les voies de la construction d’un réel mouvement citoyen pour l’indépendance ! Mais un tel mouvement devra partir des intérêts de la majorité populaire et en finir avec la poudre aux yeux que tentent de jeter ceux et celles qui affirment que l’indépendance n’est ni de gauche, ni de droite, alors que lorsqu’ils sont au pouvoir, ils mettent en pratique des politiques d’austérité anti-populaires et font ainsi reculer le soutien à l’indépendance.

Bernard Landry, ce héraut de l’indépendance, fraîchement rallié à la gouvernance souverainiste, nous a resservi ses états d’âme et s’est interrogé avec tristesse sur le mystère que constituait pour lui le fait que le Québec ne soit pas encore indépendant. Il n’a pas su apporter de réponse à cet égard. Il pourrait sans doute méditer cette phrase de Robert Laplante : « L’indépendance est une nécessité vitale et son urgence impose une posture politique qui n’a pas à pactiser, même sous couvert de pragmatisme, avec un ordre délétère dont nous connaissons maintenant tous les rouages. Il faut, bien sûr, éviter de confondre l’urgence et la précipitation. Mais rien ne sert de se perdre dans des impasses déjà fréquentées. Il faut retrouver le sens de l’intransigeance pour éviter que notre idéal ne se délite dans des lourdeurs de la gestion provinciale ou dans la rhétorique compensatoire si caractéristique des combats mal conduits. » (Une impatience nécessaire, in Robert Laplante, Ce qui cherche à naître, Ed, l’Action nationale, 2012, p. 181)

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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