Édition du 10 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud

La bataille pour le Venezuela

Alors que le Venezuela connait une crise politique aigue après les élections qui ont vu la victoire officielle du président Nicolas Maduro, la contestation des résultats électoraux par l’opposition et une partie du peuple vénézuélien a conduit à des mobilisations fortement réprimées. Contretemps contribue à la publication de différents points de vue de la gauche critique sur la situation au Venezuela, dont le peuple subit depuis plus d’une décennie une crise et un effondrement socio-économique sans précédent dans l’histoire de l’Amérique latine.

5 août 2024 | tiré du site contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/la-bataille-pour-le-venezuela/

Dans cet article, Valerio Arcary revient sur certaines des dynamiques des mobilisations post-électorales et sur leur contexte général qui ne saurait se limiter au moment électoral.

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(…) Le représentant du capital n’a besoin que de 20 % des voix pour gouverner, car la bourgeoisie possède les banques, les trusts, les cartels, les chemins de fer. (…) le rapport des forces (…) au niveau parlementaire (…) est un miroir déformant. La représentation parlementaire d’une classe opprimée est considérablement en dessous de sa force réelle, et inversement, la représentation de la bourgeoisie, même un jour avant sa chute, sera toujours la mascarade de sa force imaginaire. Seule la lutte révolutionnaire met à nu, en balayant tout ce qui peut le cacher, le véritable rapport des forces. Dans la lutte directe et immédiate pour le pouvoir, le prolétariat développe une force infiniment supérieure à son expression au parlement (…).

LÉON TROTSKY, LA RÉVOLUTION ALLEMANDE ET LA BUREAUCRATIE STALINIENNE (1932)

Le CNE (Conseil national électoral), organe subordonné au gouvernement vénézuélien, a annoncé la victoire de Maduro et, le lendemain de l’élection, officialisé sa nomination. L’opposition d’extrême droite dénonce des fraudes et annonce qu’elle a obtenu 70 % des voix. S’il est juste d’exiger du Conseil national électoral qu’il publie le résultat final de l’ensemble des votes et qu’il rende publics les registres du décompte de voix, la charge de la preuve de la fraude incombe à ceux qui remettent en cause l’impartialité du décompte. De simples soupçons ne suffisent pas. Jusqu’à présent, aucune preuve irréfutable n’a été présentée. S’il est essentiel que tous les faits soient rendus publics, l’accusation de fraude mise en avant par la campagne de l’opposition d’extrême droite ne devrait pas suffire à repousser indéfiniment la reconnaissance de la victoire de M. Maduro.

Il n’est pas nécessaire d’enjoliver le régime, qui est autoritaire et qui a à la fois réprimé les forces réactionnaires qui veulent le renverser et réduit au silence et à l’illégalité les courants de gauche qui s’appuient sur la classe ouvrière, pour admettre la victoire de Maduro. Bien que bonapartiste, le régime dispose d’une base sociale incontestable. Bien que le PSUV soit monolithique, et que Nicolás Maduro soit un caudillo, voire une caricature de caudillo, ils ont une base sociale incontestable. De plus, il est prévisible qu’à une certaine échelle, un vote non pas « maduriste » mais antifasciste et anti-impérialiste profiterait à Maduro. Le pays est socialement et politiquement fracturé. L’opposition néo-fasciste dispose également d’une base sociale et a attiré des votes anti-Maduro qui ne sont pas d’extrême-droite, et a montré dans les rues qu’elle avait du soutien. Ce soutien n’est pas surprenant, étant donné le blocus économique qui a étranglé le Venezuela, à des degrés divers d’intensité, au cours des dix dernières années.

Tout comme il n’est pas raisonnable d’idéaliser le régime, il n’est pas non plus judicieux d’idéaliser l’expérience « chaviste » en tant que processus ininterrompu de construction d’un « socialisme du 21e siècle ». Le gouvernement Maduro s’est engagé dans un projet de régulation étatique et nationaliste du capitalisme avec des réformes sociales. Il n’y a jamais eu de processus de rupture avec le capitalisme comme celui de Cuba en 1961. La situation sociale est très grave, avec des niveaux élevés de pauvreté et de chômage qui expliquent l’émigration d’au moins 20% de la population. Le blocus impérialiste n’est pas le seul facteur de l’effondrement économique et social, car le gouvernement n’est pas dénué de responsabilités face aux inégalités sociales croissantes, mais il est largement le plus important. Avant l’élection de Chávez en 1998, les conditions de vie de la majorité de la population étaient dramatiques. Aujourd’hui, le Venezuela est au bord de la guerre civile.

L’analyse du résultat des élections ne peut se réduire à une considération naïve, stricto sensu, des procédures juridico-électorales. Nous ne devons pas oublier que même dans les pays où les régimes libéraux-démocratiques ont acquis les formes les plus avancées, la lutte des forces populaires se heurte à des obstacles. Le pouvoir du capital manipule le suffrage, car le contrôle de la richesse facilite le contrôle du pouvoir. Les élections peuvent être plus ou moins libres, mais l’expression de la volonté populaire est toujours, dans une certaine mesure, faussée par des forces sociales, comme la domination des médias ou la manipulation des réseaux sociaux. Une analyse marxiste doit évaluer la dynamique politique et sociale du conflit.

La décision de María Corina Machado d’essayer de promouvoir une mobilisation de masse dès la fermeture des bureaux de vote avec des actions violentes et incendiaires pour défendre la victoire autoproclamée d’Edmundo González fait partie d’une stratégie de coup d’État qui n’a pas été improvisée. Les critères pour caractériser les mobilisations, selon la boussole marxiste, sont schématiquement au nombre de quatre : (a) on évalue les tâches politico-économiques posées au pays, c’est-à-dire le contenu socio-historique du programme de mobilisation, que le sujet social soit conscient ou non de ces tâches ; (b) on étudie qui est le sujet social, c’est-à-dire les classes ou le bloc de classes qui se sont unies pour descendre dans la rue et protester ; (c) on identifie la direction politique des mobilisations, le sujet politique ; (d) enfin, les résultats, c’est-à-dire l’aboutissement du processus.

Le programme des mobilisations de l’opposition d’extrême droite est le renversement du gouvernement Maduro. Mais il ne s’agit pas d’une « révolution démocratique » contre une tyrannie. Si María Corina et Edmundo González prennent le pouvoir, l’imposition d’un régime dictatorial sera inexorable. Ce qui est en jeu, c’est un réalignement du Venezuela sur les États-Unis en tant que semi-colonie, la privatisation de PDVSA [compagnie pétrolière nationale] et la cession des plus grandes réserves de pétrole aux grandes compagnies pétrolières, ainsi que l’emprisonnement des dirigeants chavistes et la répression des organisations populaires. Un programme contre-révolutionnaire. Il ne faut pas se laisser impressionner par leur caractère plus ou moins massif. Rappelons les manifestations au Brésil en 2015/16 pour renverser le gouvernement de Dilma Rousseff, qui dénonçaient la fraude comme seul explication possible de la défaite d’Aécio Neves [candidat du PSDB] aux élections de 2014. La dénonciation de la fraude a également été mis en œuvre en 2019 en Bolivie contre la réélection d’Evo Morales, et a servi de déclencheur au coup d’État policier-militaire. Le sujet social est la bourgeoisie « historique » et la majorité de la classe moyenne, même si des secteurs populaires descendent aussi dans la rue. La direction politique est indubitablement néo-fasciste. Les résultats ne peuvent être qu’une défaite historique pour la lutte des travailleurs et du peuple et l’anéantissement de la gauche pour une génération.

En bref, le Venezuela est secoué par une mobilisation contre-révolutionnaire visant à renverser de manière insurrectionnelle le gouvernement Maduro. Le 29 juillet, il y a eu des marches, des actions de groupes pour renverser les statues d’Hugo Chávez dans différents endroits et des pillages. Le mardi 30 juillet, Edmundo Gonzalez et Maria Corina Machado ont appelé à une manifestation dans le centre de Caracas et ont réussi à rassembler des dizaines de milliers de personnes. Le pays est profondément fracturé, socialement et politiquement. Des manifestations aux États-Unis, appelées par Trump, et au Brésil, par Bolsonaro, ont également cherché à subvertir le résultat de l’élection. Mais le Venezuela est isolé sur le plan international, car le gouvernement de Maduro défend un positionnement indépendant. Le choix au Venezuela n’a jamais été entre la dictature et la démocratie. Les États-Unis et l’Union européenne ont été et sont complices de régimes dictatoriaux et autoritaires dans tous les continents. Mais il n’y a jamais eu la moindre ingérence contre les cheikhs d’Arabie Saoudite, autre grand producteur de pétrole. Mais au Venezuela, ils ont tout fait pour renverser d’abord Chávez, puis Maduro. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent réduire le pays à un statut semi-colonial et avoir un accès illimité à ses réserves de pétrole.

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L’historien Valério Arcary est militant révolutionnaire depuis les années 1970. Il a rejoint le mouvement trotskyste pendant la révolution portugaise, et est retourné au Brésil en 1978. Il a été membre de la direction nationale du Parti des Travailleurs de 1987 jusqu’en 1992, et président du Parti Socialiste des Travailleurs Unifié (PSTU), l’une des principales organisations trotskystes brésiliennes, de 1994 à 1998. Il est maintenant un membre dirigeant de Resistencia, un courant révolutionnaire au sein du Parti pour le Socialisme et la Liberté (PSOL).

Cet article a été publié le 1er août 2024 dans Jacobin América Latina. Traduction Contretemps.

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Valério Arcary

Valério Arcary est professeur au Centre Fédéral d’Éducation Technologique (São Paulo) et membre du conseil éditorial de la revue Outubro. Il est militant du PSTU (Parti Socialiste Unifié des Travailleurs), Bresil.

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