Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Lendemains de grève étudiante et d’élections

La grande illusion de la victoire

La veille des élections, les associations étudiantes grévistes, sous le poids de la répression (plus de 3 000 accusations), d’une session perdue si la grève reprenait et d’une division sur la tactique électorale, mettaient fin à la grève malgré l’absence de toute entente et malgré la recommandation de la CLASSE, la plus militante des associations, à continuer. Difficile d’y voir autre chose qu’une défaite.

Après les élections du 4 septembre, le gouvernement minoritaire du PQ annonça la satisfaction des revendications étudiantes, soit les gel des frais de scolarité, à l’indexation au coût de la vie près. Suite à cette annonce, qui reste à confirmer dans les faits et surtout à pérenniser, se firent entendre des cris de victoire. Plus les acteurs sociaux sont modérés, particulièrement ceux hors Québec, plus ces cris sont tonitruants. Même la CLASSE, avant de se déclarer en dormance, a fini par suivre le courant tant bien que mal.

Oubliée la transformation de la grève étudiante en mouvement social antilibéral. Oublié le contraste de l’ampleur et de la longueur de la grève par rapport à la modestie de la revendication du seul statu quo pour les frais de scolarité. Oublié le réussi pari Libéral de finalement régler la grève par les élections même à y perdre (momentanément ?) le pouvoir gouvernemental. Oubliée la tentative d’assassinat de la nouvelle Première ministre. Oublié le jeu tacticien du PQ se positionnant pour capter le vote Solidaire lors des prochaines élections lesquelles ne sauraient tardées. Éclatante, par contre, l’auto satisfaction de la direction de Québec solidaire pour le gain de peccadilles parlementaires. Éclatante aussi la récupération électoraliste par la même direction des conséquences de la mobilisation étudiante en ajustements socio-libéraux, déjà remis en question, de la part du PQ. Une autre « victoire » comme celle-là et la guerre est perdue.

Le lendemain de la veille

Le cycle Occupons/grève étudiante est brutalement retombé au niveau des petites manifestations rituelles d’antan. La manifestation prévue du 22 octobre, suite à celle du 22 septembre regroupant à peine de mille à deux mille personnes, est annulée. La CSN, suite à la démission précipitée de son président réputé de gauche, connaît une crise de direction dont le sens politique, au-delà d’un apparent scandale de mœurs, se cache dans l’épaisse forêt bureaucratique. On cherche à la loupe les résistances sociales dans la rue. N’occupent plus la une québécoise et canadienne des médias québécois, de un, que les nominations ministérielles au cabinet péquiste, la « gauche » allant aux ministères concernés par l’environnement et la « droite » bénéficiant à ceux liés aux finances ; de deux que les courses au leadership des Libéraux canadiens et québécois. Le scénario des premiers vise à couronner un rejeton Trudeau, centriste sans consistance, pour reprendre au NPD la direction de l’opposition aux Conservateurs. Celui des seconds veut couronner à la hâte un ancien pseudo charismatique Ministre de la santé, réfugié depuis quatre ans dans la très privée industrie de la santé et soi-disant non mouillé dans la corruption bien qu’associé à un magouilleur en fuite, afin d’être prêt à damer le pion au PQ dès le printemps prochain lors de la saison des budgets, heure de vérité des promesses sociales-libérales du PQ.

Québec solidaire s’est transformé (irrémédiablement ?) en machine électorale. Sa bannière n’apparaît plus dans la rue… ce qui sera sans doute corrigé pour sauver les apparences. Sa direction se félicite d’avoir poussé le PQ à gauche alors qu’elle ne s’est contentée que d’être le récupérateur institutionnel de la grève étudiante, se refusant à lui retourner l’ascenseur par la promotion de revendications antilibérales, restées enfouies dans la plate-forme sauf pour la gratuité scolaire, et de la « grève sociale », relais nécessaires à sa transformation en mouvement social réellement existant. Abandonnant de facto programme et plate-forme, la direction Solidaire offre au PQ une alliance pour le plat de lentilles de la proportionnelle. Les tenants de l’électoralisme plaideront une astuce étapiste afin d’hégémoniser dans un premier temps le mouvement national aux dépens du PQ. Les partisans de la rue rappelleront l’éternel piège d’une seconde étape, tel le socialisme du Front populaire ou l’indépendance du PQ, sans cesse remise aux Calendes grecques du seul fait de la récupération institutionnelle de la bonne gouvernance et dont la seule utilité est de museler la rue. Quant à prétendre qu’on fait une offre au PQ pour qu’il la refuse, astuce dans l’astuce, c’est là semer la confusion quitte à s’auto-piéger.

Les porte-parole Solidaire se réjouissent d’apparentes concessions marginales, amas de paille qui sera emporté par la ferme volonté d’équilibre budgétaire dès le prochain budget dans un contexte de remontée déjà visible de la crise. Elles se transformeront totalement ou partiellement en mirages si le mouvement social s’emmitoufle dans l’illusion d’une prochaine victoire péquiste majoritaire. Cependant, comme le patronat québécois est loin d’être unanime sur la poursuite du nucléaire, marginal et en surplus dans le bilan énergétique québécois sans compter les frais faramineux de la réfection de la centrale de Gentilly ; qu’il est inquiet de la congestion de la circulation routière montréalaise, nuisant à la productivité, et du déficit du compte courant québécois dû aux massives importations pétrolières et d’automobiles d’où l’intérêt d’un coup de barre pour le transport public pour lequel il y a une grappe industrielle québécoise et de l’électricité hydroélectrique disponible ; qu’il réalise le disfonctionnement économique et la dangerosité politique de la corruption de l’industrie de la construction et de l’ingénierie mis sur la défensive, il n’est pas dit qu’il ne soit pas suffisamment divisé ou hésitant pour laisser passer la fin du nucléaire, la modification à la baisse de la très coûteuse réfection des échangeurs routiers montréalais et un resserrement significatif du système de contrats gouvernementaux. Quant aux réformes fiscales à la Hollande et à l’exploitation pétrolière et minière made in Québec, c’est toute une autre histoire bien que le patronat puisse digérer le gel indexé des frais de scolarité, finalement très peu coûteux.

Mobilisation et conscience de classe en panne (temporaire ?)

Bien sûr, la mobilisation étudiante, de par son ampleur et de par sa longévité, a marqué le paysage. L’ASSÉ, noyau dur de la CLASSE, sort de l’affrontement avec de nouvelles adhésions qui la rapproche, en nombre d’adhérents, de chacune des deux plus importantes associations plus modérées historiquement liées au PQ. Reste que la faiblesse relative de la CLASSE explique que, sauf à la fin mars, les grévistes étudiants ont toujours été une minorité se stabilisant au tiers de la masse étudiante post-secondaire dès la fin avril, ce qu’a masqué les impressionnantes manifestations des 22 avril et 22 mai. Quant au mouvement syndical, dont le noyau dur du secteur public est enchaîné dans une convention collective pourrie mais acceptée sans loi spéciale jusqu’en 2015, il en sort affaibli du fait de son refus de solidarité effective, si ce n’est de son coup fourré de faux conciliateur lors de la négociation du début mai. Quant au potentiel de mobilisation du mouvement populaire, la manifestation du 5 octobre de la Coalition « mains rouges » en a révélé les humbles limites.

La compréhension politique des enjeux, ex conscience de classe, a-t-elle avancé ? Les résultats électoraux montrent que la majorité, à près de 60%, a voté soit pour les Libéraux soit pour la CAQ, que Québec solidaire n’a accrû son vote populaire que de 4 à 6%. On reste surpris d’entendre des militants expérimentés croire que le PQ vient de vivre son chemin de Damas parce qu’il manœuvre à gauche en vue de se positionner pour les prochaines élections. Il est étonnant qu’un candidat Solidaire d’une circonscription prenable ait écrit qu’il n’était pas nécessaire de « vanter notre plateforme et nos valeurs, les gens étaient d’emblée d’accord » ni « non plus à exposer les failles du programme du PQ, les gens le trouvaient déjà très tiède. » L’électorat populaire votera Québec solidaire, malgré le système uninominal à un tour, quand il verra une différence qualitative entre les stratégies et les programmes péquistes et solidaires, celle entre réformer dans l’urne ou rejeter dans la rue d’abord la dictature des marchés. Il ne faut pas non plus penser que le suffrage proportionnel éliminera le « vote stratégique » comme le démontre l’élection néerlandaise de septembre 2012. La ligne de démarcation entre « grands » et « petits » partis se trace alors entre partis jugés aptes, par la bourgeoisie, à faire partie d’une coalition de pouvoir et les autres. Comme le parti plus ou moins équivalent à Québec solidaire avait mis pas mal d’eau dans son vin radical pour devenir digne d’une coalition et que le parti travailliste très social libéral, faisant historiquement partie des coalitions gouvernementales, avait durci son discours à gauche, ce dernier garda la faveur de l’électorat sur le premier malgré les prédictions initiales des sondages.

La brèche des « assemblées populaires autonomes »

La bonne nouvelle reste peut-être la persistance des « assemblées populaires autonomes » (APA) dans les quartiers malgré leur sérieux affaiblissement. Leur défi consiste à ne pas s’autolimiter dans des enjeux purement locaux ni de céder à l’idéologie anarchiste du refus de la politique sous prétexte du refus des élections, du rejet de l’indépendance nationale sous prétexte du refus de la pensée stratégique en faveur de la vulgate « classe contre classe » que favorise une compréhension simpliste tant de l’altermondialisme que du 99% contre le 1% du mouvement Occupy. Le défi pour les APA est de se rassembler autour de luttes pour des revendications concrètes, démocratiques et sociales, liées à la conjoncture de sorte à transformer la présente « accalmie », pour reprendre une expression utilisée dans la dernière APA de mon quartier montréalais, en reprise de la lutte peut-être aussi tôt que lors du prochain sommet de l’éducation ou du prochain budget ou de tout autre coup de Jarnac qui ne manquera pas de se produire si l’on en juge par la présente hystérie patronale et anglophone contre le PQ tellement la bourgeoisie canadienne se rend compte que l’indépendance du Québec demeure le tendon d’Achille de sa domination de classe.

Ne faudrait-il pas mobiliser pour une enquête publique sur la répression lors de la grève étudiante, pour la levée des plus de trois mille accusations, pour la gratuité tant scolaire, de la santé y inclus les frais dentaires et oculaires, du transport public, des garderies ? C’est à discuter. Qui sait, peut-être qu’une résurgence des APA, ou venant d’ailleurs, donnera le courage aux collectifs anticapitalistes de Québec solidaire d’enfin construire tant au sein des syndicats que de Québec solidaire lui-même une opposition publique et ouverte « ACIDE » (Anti-Capitaliste, Indépendantiste Internationaliste, Démocratique, Écologique, Égalité de genre et nationale). N’est-ce pas ce que fait, au Venezuela, Marea socialista à l’intérieur tant des syndicats que du grand parti pro-Chavez ? Aussi Gauche anticapitaliste, en France, à l’intérieur du Front de gauche quoique il ne soit pas du tout évident qu’il ait été génial de rompre avec le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), un des rares partis anticapitalistes (encore) crédibles en ce bas monde ?

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