Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

La grève est-elle devenue une circonstance aggravante ?

(Tiré du site Assemblée populaire autonome d’Hochelaga Maisonneuve - http://www.apahochelaga.org
Le Réseau d’Entraide et Solidarité avec les Arrêté-e-s Criminalisé-e-s (RESAC) a écrit ce texte en relation avec une vingtaine de personnes criminalisées. http://www.apahochelaga.org/sites/apahochelaga.org/files/documents/journalBBQjuillet2012solo.pdf

Certain-e-s d’entre nous étions étudiant-es, d’autres pas, mais nous sommes tous et toutes aujourd’hui considéré-e-s comme des criminel-le-s. Nous n’avons plus le droit de communiquer ni de nous rencontrer. C’est pourquoi nous avons du déléguer des proches afin d’écrire ces lignes et nous donner une voix. Le risque que nos prises de position soient retenues contre nous en procès nous empêche de signer ce texte de nos noms.

La grève étudiante de 2012 a donné lieu à plus de 500 accusations au criminel [1]. Accusé-e-s de méfait, de complot, de voie de fait par intrusion, nous avons été détenu-e-s, pour certains durant une journée, pour d’autres durant près de deux semaines. Nous avons de très lourdes conditions de remise en liberté : couvre-feux dès 21h, interdiction de manifester, interdiction de se trouver près de tout établissement scolaire, interdiction de se trouver en présence de toute personne ayant des antécédents judiciaires ou bien des accusations criminelles, interdiction de se trouver sur l’île de Montréal, etc.
Le droit prétend nous accorder la présomption d’innocence. En réalité, nul besoin de preuves pour émettre des accusations criminelles accompagnées de conditions assommantes : ce n’est qu’au moment du procès que la validité de ces preuves sera jugée. Pour l’instant, rien n’empêche de judiciariser des gens pour laisser tomber les charges une fois le contexte social revenu à la normale.

Liberté sous conditions :

Il a été fait grand cas du profilage politique des carrés rouges durant le Grand prix, cependant, ce n’est que de la pointe émergée de l’iceberg. La répression du mouvement ne se limite pas à des détentions et à des fouilles abusives, elle implique également la criminalisation intensive d’un grand nombre de militant- e-s depuis plusieurs mois. Sous les images accablantes et sensationnalistes des soi-disant fauteurs de troubles, des centaines de personnes se débattent, prises dans l’engrenage judiciaire et policier.

Lorsqu’elles sont enfin remises en liberté, elles tombent dans l’oubli collectif. Cette soi-disant remise en liberté est bornée par des limites telles qu’elle en devient carrément une peine avant le jugement.

Par l’imposition de couvre-feux et la désignation de périmètres interdits on atteint à la liberté de circuler des personnes, menant jusqu’à l’exil forcé. Également interdits de manifester, ils et elles se retrouvent alors expulsé-e-s de l’espace public, privé-e-s de leur liberté d’expression, de rassemblement et d’association.

L’interdiction d’être en présence de toute personne ayant une cause pendante, en plus de pré-juger de la culpabilité des accusé-es, isole les personnes criminalisées et les coupe de leurs milieux sociaux. Ce sont les liens affectifs créés ou consolidés au cours de la grève qui sont drastiquement rompus. Alors que ces amitiés sont considérées comme séditieuses, la famille traditionnelle, elle, devient le seul garant le l’ordre social. Le système juridique trahit son caractère profondément conservateur lorsqu’il confine de jeunes adultes aux sphères de la famille, du travail, et du mariage : seules exceptions permises aux conditions. De jeunes adultes se voient brutalement arrachés à leur mode de vie, relégués au boulotdodo, mais interdits de métro.

Aucun procès n’a encore eu lieu mais les visages et les noms ont tant été médiatisés qu’ils sont traités comme des coupables. Connaissant la lenteur du système judiciaire, ces conditions pourraient être maintenues pendant des mois, voire des années, avant qu’un jugement en bonne et due forme soit rendu. Isolé-e-s, brisé-e-s, rendu-e-s paranoïaques par le sentiment d’une surveillance constante, il est impossible pour les accusé-e-s de ne pas ressentir leur quotidien comme l’antichambre de leur incarcération.

Plus la grève s’allonge, plus le système de justice semble s’acharner. Des pratiques militantes encore récemment tolérées sont à présent lourdement sanctionnées. Par exemple, bloquer momentanément la circulation d’un pont, ce qui ne valait même pas une amende il y a à peine cinq mois, mène désormais à des accusations criminelles de complot et méfait. La liste des conditions de libération s’accroît de manière exponentielle, peu importe la gravité des accusations. Dorénavant, les procureur-e-s, à la demande des enquêteurs, s’opposent systématiquement à la remise en liberté des accusé-e-s, sans égards à leurs antécédents judiciaires. Comment expliquer une telle surenchère juridique sinon par des intentions politiques ? Nous ne pouvons qu’en conclure que le mouvement social est maintenant considéré comme une circonstance aggravante.

Isoler pour mieux détruire

Il est difficile de croire à l’impartialité du pouvoir judiciaire lorsqu’il est ainsi instrumentalisé pour détruire le mouvement social, mettant un à un ses acteurs hors-jeu et criminalisant ses moyens de pression. Le juridique n’est pas sans failles, et ces dernières sont pleinement exploitées afin de rendre la présomption d’innocence caduque, pour condamner des militant-e-s à l’impuissance et répandre partout la peur d’agir.

Depuis les dernières vagues d’arrestations spectaculaires (début juin), faisant parfois preuve d’un acharnement inhumain, on peut enfin donner l’illusion qu’on a trouvé les « vrai-e-s coupables », qu’on a su séparer le bon grain de l’ivraie. Le scénario est connu : devant le manque de preuves matérielles, on fabrique une culpabilité à partir d’éléments dérisoires sensés révéler une affiliation politique. Faut-il comprendre que posséder Le Capital de Marx, un coton ouaté noir ou un poster de musique satirique suffirait à prouver une intention criminelle ? Ou bien seraient-ce les idées elles-mêmes qui sont désormais coupables ?

Alors que les stratégies de déni de la grève, des injonctions et de la loi spéciale ont été mises en échec par la détermination du mouvement, le gouvernement Charest en vient au dernier recours de tout régime menacé : la création d’un ennemi public, contre lequel la société peut se réunir. N’hésitant pas à brandir l’épouvantail du terrorisme, il cherche à travestir l’image d’un mouvement populaire en une menace à la population. Par la dissociation, il espère diviser tous ceux et celles qui se sont rassemblé-e-s au cours de ce printemps. Il cherche à en épingler quelques un-e-s, les rendant individuellement responsables de gestes posés collectivement dans la majorité des cas. Peu importe les jugements qui seront rendus, il est primordial de rester solidaires des accusé-e-s, car à travers eux et elles, ce sont des actions collectives qui sont visées, c’est tout le mouvement qui est attaqué.

La solidarité a été la plus grande force de ce mouvement. Ne la laissons pas mourir devant la menace et les coups des policiers.


[1D’après une compilation faite par le comité légal de la CLASSE

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