Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

La loi américaine sur l'assurance maladie mise à mal

Introduction,

Il y a deux ans, après des mois de débats ardus et de négociations entre Démocrates et Républicains, le président Obama réussissait à faire adopter une réforme majeure de l’assurance maladie. La première depuis des décennies.

Le prédisent Clinton s’y était essayé au cours de son premier mandat, Hilary étant la responsable de l’opération, et avait été obligé de reculer devant l’opposition massive à son projet ; il s’agissait d’un programme universel mis en place et géré par le gouvernement fédéral. Le président Obama en a tiré leçon et a proposé une toute autre mouture qui soulève presque autant d’opposition. Il a mené à la contestation juridique par 26 États et toute l’industrie des assurances, d’un élément central qui a été débattu les 26, 27 et 28 courants devant la Cour suprême des Etats-Unis. Une foule de protestataires et de supporteurs a siégé pendant plus de quatre jours devant le majestueux bâtiment de cette cour. Mais rien de cela n’était audible à l’extérieur.

Une réforme nécessaire,

Aux Etats-Unis, la majorité des soins de santé sont dispensés par des organisations privées, même celles qui sont sans buts lucratifs. C’est l’industrie des soins médicaux : immense, extrêmement riche avec le pouvoir politique qui s’y rattache. Les assurances pour avoir accès à ces soins sont aussi une immense industrie encore plus riche et plus puissante. Cette organisation de marché libre laisse sur le carreau plus de quarante millions de personnes qui ,soit ne peuvent assumer les coûts prohibitifs des assurances, soit sont refuséEs à cause de conditions médicales préexistantes. Les études montrent aussi qu’une grande partie de la population en santé tarde à s’assurer ce qui reporte sur les seulEs assuréEs la répartition des coûts des soins dispensés. En plus, pour ceux et celles qui sont sans couverture la seule porte d’accès aux soins est le service d’urgence des hôpitaux qui doit, en vertu de la loi, leur dispenser les soins nécessaires gratuitement. Les administrations hospitalières refilent ces coûts à leurs propres compagnies d’assurance qui augmentent leurs primes en conséquence. Les assuréEs finissent toujours par payer pour les non assuréEs qui requièrent des soins. Ceci a une importance assez déterminante dans le débat actuel. J’y reviendrai.

L’actuel système de marché, en plus de ne pas répondre aux besoins de l’ensemble de la population, ne donne pas globalement les résultats auxquels ont est en droit de s’attendre dans un pays aussi développé et aussi riche, avec une médecine aussi avancée. Toutes sources confondues, les Etats-Unis consacrent 2,6 mille millions de dollars aux soins médicaux soit 17,9% de leur produit intérieur brut par an. C’est 5, 9% de plus que la part du pays qui dépense le plus après eux. Bien plus que tous les autres pays avancés dans le monde. Le Bureau of Economic Analysis estime que les dépenses de santé comptaient pour 9,5% des dépenses personnelles en 1980 ; aujourd’hui elles comptent pour 16,3%. Résultat : 41% des travailleurs-euses ont des problèmes à payer ces frais et s’endettent pour le faire. Pourtant, l’espérance de vie n’y est que de 78,2 ans, soit moins que la moyenne des pays de l’OCDE, égale ou inférieure à celle du Portugal, du Danemark de la Slovénie et du Chili. C’est aussi aux Etats-Unis que l’on trouve le plus haut taux de mortalité infantile de tous les pays industrialisés. La population afro-américaine est largement surreprésentée dans cette catégorie.

Loi sur la protection des patients et sur les soins abordables et sa contestation,

Ainsi se nomme ce que ses adversaires républicainEs nomment Obamacare ! Cette loi, dont l’application complète se terminera entre 2014 et 2016, s’appuie sur les marchés des soins et des assurances. Mais elle introduit des corrections majeures et une surveillance importante de leurs comportements. En plus de vouloir élargir la portion de la population qui bénéficiera d’assurances, elle cherche aussi à diminuer les dépenses de santé. La solution de l’assurance maladie universelle gérée par l’État fédéral a été très tôt rejetée et retirée de tous les débats publics lors des travaux en vue de l’introduction de l’actuelle loi. L’administration Obama a négocié avec le Congrès et les assureurs pour introduire une restructuration massive du système via les primes d’assurances. Ce qui a fait dire à certainEs que ce plan était plus un plan de subventions aux compagnies d’assurance qu’autre chose. Elle leur fournit une clientèle captive sans contre exigence si importante malgré ce qu’elles disent.

À l’intérieur d’un marché des assurances, il faut que les entrées de fonds, via les primes, soient suffisantes pour couvrir les dépenses encourues pour les soins. La loi introduit l’Individual Mandate pour ce faire : l’obligation est faite à chaque citoyenNE de s’assurer, sous peine d’une amende de 95$ la première année. Elle oblige aussi les employeurs de 50 personnes et plus à se doter d’un plan d’assurance à offrir à leurs employéEs. Cette formule avait été mise de l’avant par les leaders républicains de l’époque, en contrepartie de la proposition de l’administration Clinton pour un plan universel. Cette fois, les Républicains sont les adversaires les plus farouches de cette provision.

À cela s’attache l’obligation pour les assureurs de ne plus refuser de gens souffrant d’une condition médicale déjà connue (qui en passant peut être insignifiante) et de ne pas leur imposer un taux de prime supérieur à celui des autres assuréEs.

Ce sont essentiellement ces trois aspects qui ont été présentés à la Cour Suprême la semaine dernière. L’obligation de s’assurer est contestée au nom de la liberté individuelle de décider de la satisfaction de ses besoins, de la liberté de négocier à l’intérieur du marché existant et de la liberté des marchés. Les opposants plaident que le gouvernement fédéral, qui a des pouvoirs limités, les outrepasse. Le Congrès n’aurait pas le droit de dicter de telles obligations à la population. Il change le rapport fondamental entre le gouvernement et le citoyen, la citoyenne. Si cette intrusion dans les décisions personnelles est autorisée jusqu’où iront les prochaines, est-il invoqué : imposer de manger des brocolis pour se maintenir en santé ? De se munir de téléphones cellulaires pour appeler au secours en cas d’accident ? Etc. etc. Les avocats représentant le gouvernement invoquent que ce n’est pas une nouveauté dans les pratiques du gouvernement fédéral puisqu’il a, il y a plus de 45 ans maintenant créé le programme universel de pensions de retraite, Social Security et le programme de couverture des soins de santé qui s’y rattache, Medicare. Ces programmes n’ont jamais été contestés sous cet aspect. Ils plaident aussi que le marché de l’accès aux soins est particulier en ce que tous sont appelés à y participer mais sans que le moment de cette nécessité soit connu à l’avance. On doit manger tous les jours, donc avoir recours au marché de l’alimentation ; on n’est pas obligé d’acheter une voiture, la décision de le faire, donc d’entrer dans le marché automobile est individuelle. La nature spécifique du marché des soins médicaux justifierait donc une intervention autoritaire pour le faire fonctionner de telle façon qu’il pourvoie en tout temps aux demandes qui s’y présentent.

Les opposants à la loi soutiennent en plus que ce programme, aussi bien que son parent Medicaid, impose des taux de remboursement des services rendus qui contreviendraient également à la liberté de négociation dans le marché. Ils sont toutefois un peu embarrassés par ce programme et Medicare qui sont réputés performants, auxquels la population est très attachée et qui fonctionne sensiblement sur les mêmes bases que la loi contestée. Ces programmes sont en fait très près du socialisme tant décrié. Par ailleurs, souligne l’avocat gouvernemental, les assurés payent déjà pour les autres compte-tenu des pratiques en cours.

Il s’agit là, dans ce pays qui tient la liberté individuelle comme un tout premier droit fondamental, d’une entorse extrêmement dangereuse. Mais la loi a été introduite pour améliorer la situation désastreuse à laquelle font face les AméricainEs depuis trop longtemps. Dans un système d’assurance, ce sont toujours ceux et celles qui ne réclament pas de remboursements qui assurent les paiements à ceux et celles qui en font. Le problème vient de ce que trop peu de gens encore en bonne santé s’assurent aux Etats-Unis. Ils attendent d’en avoir besoin pour le faire. L’équilibre se fait donc entre malades essentiellement. C’est un des éléments qui maintient les taux à un niveau prohibitif même pour la classe moyenne supérieure qui fait face à des niveaux de primes mirobolants et des franchises vertigineuses, des milliers de dollars par mois. Il faut donc, d’une manière ou d’une autre élargir l’assiette. Dans sa loi, qui s’applique graduellement, le gouvernement fournira de l’aide financière selon les revenus et la taille des familles pour l’achat de l’assurance et subventionnera aussi les petites entreprises pour le faire. Depuis 2001, le coût des plans d’assurance familiaux a augmenté de 113% soit quatre fois le taux d’inflation selon la Kaiser Family Foundation.

La loi introduit aussi une extension du programme Medicaid à une portion de la population qui n’y a pas droit en ce moment. Ce programme, géré et financé par les États, assure les soins des familles pauvres. Avec la loi une bonne partie des adultes sans enfants y auraient droit. Les États se disent sous contraintes du gouvernement fédéral, que cela viole leurs pouvoirs et liberté constitutionnelle et qu’ils sont incapables de faire face aux augmentations de dépenses ainsi introduites. Mais, si jamais ils refusent d’implanter les nouvelles provisions, ils devront payer des pénalités au gouvernement fédéral. Des aides prévues vont jusqu’à 100% des surcoûts d’ici 2016 et 90% ensuite. En plus, si la loi est appliquée complètement, ils devraient économiser environ cent milliards par année, puisqu’ils n’auront plus à assumer les coûts des non assuréEs. Le Comite of Budget de la Chambre des représentants estime à 1% environ l’augmentation réelle des coûts dans les États.

Information importante à ajouter : rien n’empêche les États d’introduire leur propre programme d’assurance pour corriger les faiblesses en cours. C’est ce qui a été fait au Massachusetts lorsque Mitt Romney, actuel candidat républicain y était gouverneur, dont le plan a inspiré l’actuelle loi. Ses adversaires dans les primaires le lui reprochent d’ailleurs et il l’a désavoué. En ce moment le Vermont est en voie d’adopter un programme universel.
Cette voie ne donne pas de droits égaux à tous les AméricainEs à satisfaire correctement leurs besoins en soins de santé.

Le jugement de la Cour Suprême,

Elle doit se prononcer sur trois possibilités : 1- elle juge l’obligation faite aux citoyenNEs de s’assurer effectivement non constitutionnelle et la rejette. Est-ce que cela entrainerait tout l’édifice ou, si ce qui ne tient pas à cette clause centrale pourrait encore être appliqué ?
Les avocats des États, tous républicains, et de l’industrie de l’assurance invoquent qu’il serait, par exemple, difficile de maintenir l’obligation faite aux compagnies d’assurance d’accepter les personnes avec des conditions médicales préexistantes et de ne pas leur imposer des taux majorés de prime. Pour maintenir ces obligations, d’autres négociations seraient nécessaires qui pourraient prendre des années à compléter. En attendant la situation actuelle se poursuivrait.

2- Elle rejette la loi dans sa totalité. Il en résulterait le retrait de ce qui est le plus détesté dans une bonne partie de la population le fameux Individual Mandate. Mais du même coup, également, le retrait de ce qui est le plus soutenu et apprécié, la fin du rejet par les compagnies d’assurance des gens avec des « conditions médicales existantes ». Mais, surtout, cela signifie un retour au Congrès pour qu’il fasse les travaux nécessaires pour s’entendre sur une nouvelle proposition. Compte-tenu du fossé qui sépare les partis sur cette question et le verrouillage serré qui y règne on ne peut s’attendre à des résultats satisfaisants pour bientôt. Certains des juges ont un peu ironisé à ce sujet. Bien des commentateurs-trices soutiennent qu’il faudrait encore des décennies pour qu’une nouvelle tentative soit faite.

3- La loi est jugée constitutionnelle avec ou sans recommandation de correction.
Est-ce le meilleur des cas ? Probablement compte-tenu de l’extrême difficulté qu’ont les AméricainEs à agir dans ce domaine pour arriver à une certaine justice sociale.
Les juges sont maintenant en délibération privée et devraient rendre leur décision fin juin prochain.

D’ici là ?

La loi qui a commencé à être appliquée continuera de l’être. Déjà, environ deux millions et demi de jeunes adultes, entre 18 et 26 ans sont assuréEs via le plan familial. Le programme Medicare, qui assure les soins aux retraités a été bonifié pour diminuer les coûts des médicaments. Il y a une amélioration des programmes fédéraux qui visent les pauvres, les personnes a faible revenu et ceux et celles qui ne sont pas assuréEs en ce moment. Elle a étendu les possibilités d’achat d’assurance pour la classe moyenne et les petits employeurs ; des subventions sont aussi disponibles qui couvrent jusqu’à 90% des coûts des nouvelles primes. Ces provisions ne feront que s’élargir. Les États pourront, même si la loi ne les y oblige pas, créer les pools d’offres compétitives de couverture d’assurance pour que les citoyenNEs puissent y trouver ce qui leur convient le mieux.

Prévisions légales et retombées politiques,

Tout un concert de spéculations se fait entendre en ce moment, sur l’éventuelle décision de la Cour. Les neufs juges se partagent en deux groupes de 6-3 ou 5-4 selon leurs orientations politiques, les conservateurs-trices étant en majorité en ce moment. Les observateurs-trices sont d’accord pour dire que quelle que soit la décision, si elle était partagée sur cette base, elle introduirait un débat insoutenable et donnerait lieu à de nouvelles attaques légales. L’exemple cité est celui de la loi qui légalise l’avortement qui n’a été vraiment installée qu’avec un jugement unanime. Elle n’a jamais plus été attaquée en cour. En pleine campagne électorale à la veille du scrutin présidentiel, quelle que soit la décision, elle introduira une nouvelle dynamique dans la campagne. Chose certaine, presque tout rejet de la part des juges affectera la mesure phare du premier mandat Obama et permettra aux Républicains de pavoiser et de renforcer leur discours extrémiste.

Dans ces trois jours de débats, (les plus longs depuis 61 ans), les juges ont déjà donné des indications comme quoi, advenant le rejet de la clause sur l’obligation de s’assurer, l’examen du reste de la loi, (+ de 2,000 pages) pour trouver ce qui pourrait être appliqué et ce qui devrait être retiré dans la foulée, ne les intéressait pas. Par ailleurs ils et elles semblent aussi convaincuEs que le renvoie au Congrès seraient inutile tant le blocage politique y est étanche. Mais personne ne veut miser sur la décision : tout peut arriver. La Cour s’est comportée comme un agent politique à quelques reprises dans son histoire. Rappelons-nous, de la justification de l’élection de G.W.Bush en 2004. Les juges les plus conservateurs peuvent bien se ranger aux arguments des poursuivants.

Les Démocrates, le président en tête, affichent une confiance raisonnable mais se préparent au pire. Sans aucun doute, qu’advenant le rejet total ou partiel, il utilisera sa position de « protecteur » de la population la plus vulnérable pour appuyer sa demande de réélection et d’une nouvelle majorité dans les deux chambres.

La population est d’autant plus sensible aux arguments de la droite qu’elle ne peut juger de beaucoup d’améliorations qu’apporte cette loi. Elles ne sont pas encore en fonction. Mais pour ce qui s’applique déjà, les réactions sont généralement positives. Comme cet aspect de l’organisation de la vie est de nature économique, et primordial on ne peut douter qu’il soit un argument électoral de la part des deux partis jusqu’à la fin.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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