Édition du 23 avril 2024

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Luttes écologistes

Le gouvernement Charest trouve de nouvelles façons de faire avaler la couleuvre

La nomination de Lucien Bouchard ne constitue pas un virage

Bien des commentateurs ont tenté d’analyser la nomination de Lucien Bouchard à titre de porte-parole de l’Association pétrolière et gazière du Québec comme l’annonce d’un virage vers un moratoire dans le dossier des gaz de schiste. Or, la poussière retombe lentement et tout porte à croire qu’il n’est pas dans les intentions de l’industrie des énergies fossiles de battre en retraite. Au contraire, malgré les avis d’infraction qui pleuvent, notamment à Leclercville, l’industrie s’enfonce dans le négationnisme et maintient le cap.

On banalise les faits

Le Pdg de l’Association pétrolière et gazière du Québec Stéphane Gosselin affirmait que « si on me demande s’il peut arriver des problèmes, je vais dire oui. On est une industrie avec des risques liés à des activités industrielles. L’important est de savoir comment gérer ces risques-là. Dans le cas qui nous concerne, Leclercville, c’est un bel exemple. C’est un problème qui a été signalé par l’entreprise au gouvernement. Des solutions par la suite ont été proposées et seront mises en application. » Bref, circulez, il n’y a rien à voir et tout est sous contrôle, sauf le ministre semble t-il qui a eu un errement passager…

Dans le cas de Leclercville, la façon de faire de l’industrie a été la suivante. Des fuites sont découvertes en novembre. Des travaux pour colmater les fuites au puits de Leclercville ont été autorisés par le ministère des Ressources Naturelles et de la Faune le 9 décembre sans que le BAPE n’en soit informé, même dans un rapport portant sur le sujet et daté du 12 janvier, plus d’un mois plus tard. Par ailleurs, M. Stephane Perreault, porte-parole de Talisman qui exploite le gisement de Leclercville n’a pas été en mesure d’expliquer comment le gaz a pu se frayer un chemin. « L’imperfection entre le tubage et le coffrage peut avoir diverses origines », dit-il. La banalisation de la situation constitue une arme dans l’arsenal de ces compagnies.

Pour comprendre les motivations de cette industrie, il faut écouter au-delà de ses porte-paroles. Par exemple, Pierre Gauthier d’Alstom (qui fabrique des turbines au gaz) affirmait devant l’auditoire de l’Association de l’industrie électrique du Québec que des occasions d’affaires s’offrent au Québec. Il salive à l’idée que l’industrie pourrait offrir les gaz de schiste sur les marchés nord-américains et y tirer de généreux profits, notamment par la substitution du charbon. Or, l’expérience démontre que les profits sont encaissés par l’industrie qui laisse les pertes (remise à niveau des sites exploités, dépréciation de la valeur des maisons, environnement gâté par la circulation lourde et les émanations des puits, nappes phréatiques polluées, etc) à l’État et à la population locale. Les redevances sensées être le cœur de l’attrait pour le Québec dans cette industrie doivent être au plus bas, concurrence mondiale oblige. Des gouvernements trop gourmands seront ignorés.

Le ministre Arcand se rebiffe

Feignant d’être préoccupé par les fuites constatées sur 19 des 31 puits en activité au Québec, le ministre de l’environnement Pierre Arcand a tôt fait de corriger le tir : il tente de gagner du temps en repoussant toute décision au dépôt du rapport du BAPE (28 février 2011), le ministre feint d’ignorer que le mandat du BAPE ne permet pas de remettre en question l’exploitation des gaz de schiste. Le BAPE doit faire des recommandations afin de proposer un cadre de développement de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste. Aucun moratoire possible dans de telles dispositions. Or, si les travaux du BAPE ont démontré quelque chose, c’est le cruel manque d’information sur le sujet.

De fait, le ministre n’a pas mis de temps à rectifier le tir. Devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, il a déclaré que l’industrie n’est pas un adversaire et que la balance commerciale négative du Québec en matière d’importation de gaz justifiait l’exploitation de la ressources. Or, il n’est pas passé par la tête du ministre que ce déficit peut aussi être comblé par des énergies propres et renouvelables. Pour ce gouvernement inféodé à l’industrie, cette hypothèse ne fait pas partie de l’équation. Évidemment, la Chambre de commerce a réitéré tout son appui au ministre qui défend vaillamment l’industrie.

En fait, le gouvernement Charest a montré un zèle absolu afin de couvrir les aspects les plus abjects de cette industrie du secret et de la désinformation. À ce titre, la nomination de Lucien Bouchard intervient au moment où les mobilisations populaires et des groupes écologistes portent fruit et qu’une vaste majorité de la population souhaite ardemment un moratoire, une prise de contrôle de cette industrie et un débat démocratique sur la pertinence d’exploiter les énergies fossiles. Conséquemment, Lucien Bouchard apparaît plutôt comme une autre occasion pour l’industrie d’inverser le courant. Ce ne sera pas le premier péquiste à se porter au secours de cette industrie comme l’ont montré les vaines tentatives d’André Boisclair et d’Yvan Loubier.

Qui paie Lucien Bouchard ?

Selon un article publié dans Le Devoir le 29 janvier dernier, c’est l’albertaine Talisman Energy qui assumera le salaire de Lucien Bouchard lorsqu’il prendra les rennes de l’Association pétrolière et gazière du Québec. Il est précisé que c’est la même entreprise qui a suggéré que Lucien Bouchard occupe ce poste. Quant à sa rémunération, aucune information n’a filtré à ce sujet. Toutefois, on sait son prédécesseur André Caillé a obtenu 600 000 options d’achat d’actions de Junex au prix de 1,68$ pour le même poste, on peut présumer que Lucien Bouchard n’est pas là à titre de bénévole, que sa rémunération est liée à l’élimination du danger de mobilisations citoyennes et de contestation et qu’elle sera à la hauteur du défi et des profits.

En outre, on comprend que le lobby des gaz de schiste n’est plus le monopole des anciens conseillers libéraux (Daniel Gagnier, ancien conseiller de Jean Charest, par exemple) ou d’ex-péquistes ou bloquistes qui furent sollicités pour faire le travail. Par exemple, Talisman a aussi recruté des personnages d’autres horizons comme James C. Cherry, directeur des opérations de l’Aéroport de Montréal et Michel Patry des HEC qui ont aussi été recrutés. Daniel Bernier, maintenant inscrit au registre des lobbyistes jusqu’au 28 février (date du dépôt du rapport du BAPE) et ancien membre du cabinet du ministre du Tourisme de 2003 à 2005 fait aussi partie de l’arsenal de l’industrie des gaz de schiste. Talisman est cette compagnie qui fait l’objet d’avis d’infraction notamment à Leclercville, à Gentilly-II et en Pennsylvanie.

D’autres études et autant de pavés dans la mare

Une récente étude du centre de recherche Tyndall sur les changements climatiques, à l’Université de Manchester, en Angleterre démontre que les investissements dans les gaz de schiste ont provoqué un recul dans les efforts et investissements dans les énergies propres. Les faibles coûts des gaz de schiste retarderaient les efforts nécessaires en matière de recherche et développement dans le domaine des énergies propres. De plus, la même étude révèle que l’utilisation et l’extraction des gaz de schiste ajoutera de 46 à 183 milliards de tonnes de gaz carbonique dans l’atmosphère entre 2010 et 2050.

Une autre étude réalisée pour la Northeast Texas Air Care et exécutée par la firme Environ International révèle que l’impact de l’exploitation des gaz de schiste sur la qualité de l’air avait été sous-estimé. Ainsi l’étude portant sur le gisement de Haynesville au Texas démontre que l’exploitation contribue à multiplier les épisodes de smog dans la région, que le smog tend à se propager vers les États voisins, la Lousiane notamment. Les chercheurs ont estimé l’impact de la pollution produite par la machinerie utilisée pour le forage et la fracturation et par d’autres équipements, comme les compresseurs. L’étude ne tient pas compte des émanations produites par les bassins de remisage des eaux de fracturation Bref, il y lieu de faire le même exercice au Québec afin de déterminer si, outre l’utilisation des gaz de schiste, les travaux d’extraction ne constituent pas un danger en eux mêmes.

Dernière heure

Au moment de mettre cet article en ligne, deux manchettes attirent notre attention. La première rapporte que Gastem a commis une erreur de bonne fois dans la destruction d’une zone marécageuse à St-Janvier de Joly. « On est dans un ancien champ abandonné. Il y a des érables gris qui ont poussé là, et c’est mal irrigué [raison pour laquelle une partie de l’endroit s’est transformée en milieu humide]. Sur les anciennes cartes qu’on avait, ce n’était pas un marécage, donc on s’est fié à ça. [...] Ce qu’on a appris dans cette histoire-là, c’est que dans cette région, il y a énormément de ces petits spots marécageux »« On est dans un ancien champ abandonné. Il y a des érables gris qui ont poussé là, et c’est mal irrigué [raison pour laquelle une partie de l’endroit s’est transformée en milieu humide]. Sur les anciennes cartes qu’on avait, ce n’était pas un marécage, donc on s’est fié à ça. [...] Ce qu’on a appris dans cette histoire-là, c’est que dans cette région, il y a énormément de ces petits spots marécageux », affirmait le porte-parole de Gastem. « Les inspecteurs du MDDEP [ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs] sont venus sur notre site, ils ont eu certains doutes, et ont envoyé un biologiste, qui a statué qu’à cause de certaines espèces végétales, c’était un marécage ». Doit-on comprendre que le MDDEP navigue à l’aveugle et ne sait pas sur quel pied danser lorsque vient le temps d’identifier les zones à risque ? Pas vraiment rassurant…

La deuxième concerne la lettre ouverte du président de Talisman Jim Fraser (http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201101/31/01-4365492-gaz-de-shale-le-point-sur-les-emanations-de-gaz-des-events-de-surface-des-puits.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B13b_points-de-vue_794_section_POS1) qui affirme que les concentrations de gaz émises par les puits de Leclercville et de St-Édouard sont trop faibles pour être compatabilisées et que les travaux pour colmater les fuites seront entrepris au printemps. Il écrit : « Talisman sera en mesure de tirer des enseignements de ces travaux et, s’il y a lieu, elle les appliquera dans les deux (2) autres puits. Notre société s’est d’ailleurs engagée à réaliser ces travaux de manière à régler la situation dans ces trois (3) puits. » Bref, si nous comprenons bien, nous pauvres ignorants, c’est qu’il s’agit de travaux dont l’issue n’est pas certaine et qu’on navigue à l’aveugle. Pas vraiment rassurant…

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