Tiré du site de l’IRIS.
Partout dans les pays occidentaux, le développement du secteur de la santé publique est étroitement lié à l’expansion du capitalisme. La révolution industrielle, l’urbanisation massive et la généralisation de l’économie marchande qui l’accompagnent provoquent à partir du XVIIIe siècle, et plus intensivement à partir du XIXe, des conséquences sanitaires catastrophiques et jusque-là inédites : concentration grandissante des populations laborieuses dans des quartiers et logements insalubres et conditions de travail misérables dans les manufactures et industries se conjuguent pour dégrader considérablement l’état de santé de la nouvelle classe ouvrière.
Devant ce constat, deux tendances se dessinent au sein de la classe capitaliste émergente. Une fraction de celle-ci, minoritaire mais éclairée par le développement des connaissances scientifiques sur les « germes », les « microbes » et la transmission des maladies, plaide pour une intervention de l’État afin d’assurer un minimum d’hygiène au sein des villes en pleine expansion. On presse notamment les pouvoirs publics de mettre en place des infrastructures sanitaires de base (égouts et accès universel à l’eau potable), de développer des services d’hygiène publics (destinés principalement à l’éducation des classes laborieuses) et, éventuellement, de généraliser l’accès à l’immunisation contre les maladies infectieuses.
Cette « bourgeoisie éclairée » espère ainsi assurer la reproduction d’une main-d’œuvre de qualité, éviter les risques de contagion pour elle-même et apaiser le mécontentement populaire face aux pires conséquences sanitaires de l’industrialisation capitaliste. Elle fait cependant face à la résistance bornée de la majorité des capitalistes qui, pour la plupart, s’opposent systématiquement (et souvent avec succès) à ces différentes initiatives de santé publique.
En effet, la plus grande partie de la classe capitaliste refuse de financer ces mesures (développer un réseau d’aqueducs et d’égouts coûte cher) et, surtout, elle y voit autant d’atteintes aux sacro-saints principes de la propriété privée et de la liberté de commerce qui s’imposent en même temps que l’idéologie libérale. « Quoi ?! L’eau potable sera fournie gratuitement et il ne sera plus possible de la vendre au porte-à-porte ? » « Quoi ?! Nous devrons respecter des normes de salubrité pour les logements que nous possédons et que nous louons à nos employé·e·s ? Et quoi encore ?! Se verra-t-on bientôt imposer des normes pour assurer la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs œuvrant dans nos propres usines ?! »
On pourrait penser que les capitalistes d’aujourd’hui ont surmonté depuis longtemps ces réflexes rétrogrades dignes du XIXe siècle. Malheureusement, il n’en est rien.
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Aujourd’hui tout autant qu’au XIXe siècle, le capitalisme nuit à la santé. Laissé à lui-même, il génère des inégalités socioéconomiques abyssales, de la pollution incontrôlée, des conditions de travail physiquement et mentalement morbides, des salaires insuffisants pour assurer une alimentation et des conditions de logement saines, des difficultés d’accès à l’éducation, une production alimentaire industrielle toxique et, bien sûr, une crise climatique qui met en péril la survie même de l’humanité.
Faire de la prévention et développer des programmes de santé publique efficaces implique d’agir sur ces « déterminants sociaux » de la santé, sur ces « causes sociales » de la maladie qui jouent un rôle beaucoup plus important que les gènes, les virus ou les bactéries (ou même que le système de santé) dans l’état de santé des populations.
Or, agir sur ces déterminants implique aussi de nuire aux intérêts de ceux et celles qui tirent profit du système socioéconomique actuel et qui, pour la plupart, sont protégé·e·s de ses effets néfastes sur la santé : assurer à tous et toutes des salaires décents et des conditions de vie et de travail saines impose nécessairement de rogner sur les bénéfices des grands patrons, actionnaires et autres PDG de ce monde, qui n’hésitent généralement pas à se mobiliser pour empêcher les réformes sociales allant dans ce sens.
Depuis quelques semaines, ces derniers réalisent cependant que rien – ni leurs capitaux, ni la puissance et les privilèges qui en découlent – ne les protège contre une pandémie mondiale comme celle de la COVID-19. Au contraire, leur surreprésentation parmi les voyageurs et les participants à des événements internationaux les rend particulièrement à risque de contracter le virus. Ils constatent également la fragilité des fondements sur lesquels est érigée l’économie capitaliste, menacée d’effondrement et incapable de faire face par ses propres moyens aux conséquences économiques de la pandémie, qui démontre brutalement l’impotence du néolibéralisme et de sa « main invisible ».
Soudain, ils redécouvrent les vertus de la santé publique et sont prêts à tolérer – temporairement du moins – des interventions étatiques massives et la mise en place de mesures sociales revendiquées depuis des années par les mouvements communautaires et syndicaux, comme l’élargissement de l’accès à l’assurance-chômage. On peut toutefois s’attendre à ce que la crise passée, ils soient rapidement prêts à revenir en arrière. Espérons que pour notre part, nous tirerons de cette crise toutes les leçons qui s’imposent.
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