Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Les Artistes pour la paix scandalisés par le traitement réservé à M. Abousifian Abdelrazik

Mon nom est Pierre Jasmin, professeur titulaire à l’UQAM et président des Artistes pour la Paix. Mes ancêtres, tant maternels que paternels, sont arrivés au pays il y a environ quatre cents ans, sur des bateaux de bois, réfugiés économiques de Bretagne et du Poitou. Discriminer contre des immigrants plus récents me semble carrément révoltant, en particulier lorsque leur religion ou couleur de peau autre les amène à être davantage suspects aux yeux des autorités : cela arrive aussi à "nos réfugiés de l’intérieur", nos amis amérindiens. Nous réclamons un peu de compassion, comme le disait récemment la danseuse Margie Gillis !

En août dernier, les Artistes pour la Paix ont manifesté devant le Complexe Guy-Favreau pour déplorer l’accueil brutal fait aux réfugiés tamouls en Colombie-Britannique. Avec le général Roméo Dallaire, on a dénoncé les tortures infligées à l’enfant-soldat Omar Khadr, dont les accusations par un tribunal militaire à Guantanamo étaient absolument injustifiables, de même que le refus du gouvernement canadien de le rapatrier.

Aujourd’hui, nous sommes scandalisés par le traitement réservé à M. Abousifian Abdelrazik, au Soudan comme ici à Montréal, alors qu’il a été innocenté des charges qui pesaient contre lui. C’est pourquoi nous allons demain à New York (ONU) pour demander que son nom soit rayé de la liste 1267, une invention du Conseil de sécurité de l’ONU qui contrevient aux lois. Onze états ont émis le 11 avril dernier de minimes protestations, à savoir que la liste doit assurer aux victimes accès aux informations qui ont soi-disant motivé leur inscription sur la liste et ne garder les noms pas plus de trente-six mois (période à notre avis trop étendue) : or, M. Abdelrazik souffre depuis cinq ans sans même pouvoir savoir si les accusations secrètes contre lui proviennent d’une source habitant les États-Unis, le Canada ou le Soudan. Si nous sommes d’accord pour donner à la police les moyens[1] d’enquêter sur des personnes au comportement suspect, c’est dans le but d’aussitôt les innocenter ou alors de les accuser dans des cours de justice reconnues, sur la foi de documents étayés et crédibles. Une société juste doit s’interdire de maintenir des « suspects » pendant des années dans un no man’s land juridique kafkaïen.

15 juin 2011


[1] On sait que même si la Sûreté du Québec a inscrit 3 millions de $ pour les dépenses liées au contre-terrorisme en 2010 et 2.1 millions en 2011, il s’agit d’une réorganisation bureaucratique qui n’affecte pas le nombre d’enquêteurs voués à cette activité. Mais comparons une seconde ce chiffre avec les presque 30 milliards de $ pour des avions agressifs F-35 qui bombarderaient des populations, augmentant ainsi actions terroristes en représailles. Bref, le Canada prétend lutter contre le terrorisme avec des armes de terreur qui coûtent plus de dix mille fois certains outils de police dont on cherche à rogner les émoluments.


For more than 25 years, through their multiple arts events and their website, Artists for Peace have been promoting peace through social justice and disarmament. They were awarded a YMCA Medal for Peace in 2008. The arts are a fertile breeding ground for peace because they rely on the world of imagination and on the creative possibilities of the human being. Artists for Peace pay a tribute to all those who defend the broad and ambitious goal of building peace in the minds and hearts of people.

Grâce à des spectacles donnés en 1983 à Montréal et à Hambourg par Raoûl Duguay et Margie Gillis, Les Artistes pour la Paix voyaient le jour en joignant le mouvement international Performing artists for nuclear disarmament co-présidé par le chanteur américain Harry Belafonte et l’actrice suédoise Liv Ullmann. Depuis, au Québec, un conseil d’administration élu par une assemblée générale annuelle souveraine agit démocratiquement selon une charte (voir qui sommes-nous sur le site www.artistespourlapaix.org). Spectacles Trois Arts pour la Paix, concerts, projections de films, expositions et encans d’œuvres d’art, conférences, soirées de poésie, tables rondes, nomination d’unE artiste pour la paix de l’année chaque 14 février depuis 1988 (depuis sept ans, la regrettée Myra Cree, Luc Picard, Wajdi Mouawad, Dan Bigras, l’ATSA, Chloé Sainte-Marie et Pascale Montpetit), des hommages à Gilles Vigneault, Raoûl Duguay, feue Hélène Pedneault, Frédéric Back et Raymond Lévesque, des mémoires adressés aux comités permanents de la Défense et des Affaires étrangères ou à des Commissions gouvernementales, prises de parole et actions de solidarité culturelle en Palestine (2009), en Haïti, en Croatie (1994), au Tibet (1993), à Kanesatakeh (1990), articles et prises de position sur le site web et dans les médias, envois massifs à nos trois cents membres et à des milliers d’artistes suscitent une réflexion collective sur les grands enjeux de paix.

La clairvoyance d’artistes qui ont dit non à la guerre se remarque chez l’écrivain Dany Laferrière :

« Nous sommes cette génération végétarienne qui refuse qu’on tue un poulet dans un film, alors que nous nous asseyons tranquillement devant la télé pour regarder la guerre. Naturellement nous ne sommes pas d’accord mais que faisons-nous pour dire notre désaccord ? Pas grand-chose. Et quand nous le clamons ce désaccord, on nous répond, par la bouche des experts en géographie, en économie, en histoire et en stratégie militaire, que c’est plus compliqué que nous le croyions. En fait ce n’est pas du tout compliqué :(…) la guerre est une si bonne affaire qu’il faut l’entretenir constamment. Souffler sur le feu. Un gouvernement en guerre ne connaît pas d’opposition. C’est aussi bon pour les marchands d’armes. C’est surtout bon pour tout système qui se nourrit de la peur de son peuple ou du pétrole de l’ennemi qu’il s’est inventé. En somme, c’est bon pour tout le monde, sauf pour les petits soldats qui vont crever sans même savoir pourquoi. Et la plus sinistre plaisanterie de l’État c’est encore de faire la guerre au nom de la paix. Et cette paix s’appelle : la paix du cimetière ».

Comme l’a clamé notre co-président d’honneur, Richard Séguin : « Nos armes de paix à nous sont la création, la musique, la peinture, le théâtre, la danse. Nos armes de paix sont nos gestes et nos paroles. Nos armes de paix sont nos engagements. Engagements ancrés dans le respect des autres, dans ce désir de voir un jour la force de la non-violence et du dialogue comme solution aux conflits. Nos paroles, nos marches, nos manifestations n’ont rien d’inutile : elles résonnent dans le présent de ce monde. Nos paroles et actions n’ont rien d’inutile : elles trouveront écho dans les générations à venir. »

En 1993-4, les APLP organisent la partie québécoise de l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité. Contre les pouvoirs qui croient défendre une nation en accumulant les armes destructrices offensives, l’esprit de partage et d’équité nous dicte qu’on ne garantira cette sécurité qu’en assurant celle de tous les êtres humains. Le Canada a doublé ses dépenses militaires dans les derniers six ans. Les forces armées canadiennes ont abandonné les missions de paix de l’ONU au profit de missions de guerre de l’OTAN : les Artistes pour la paix ont consacré une bonne partie de leurs efforts en 2009-2011 pour informer la population de l’hypocrisie de l’OTAN et de nos gouvernements face au danger nucléaire et pour dénoncer les priorités annoncées en achat d’avions américains F-35 furtifs et offensifs. Les dépenses mondiales dépassent les mille cinq cents milliards, plus de 220$ par être humain, alors que 4$ suffiraient pour nourrir le milliard de personnes qui souffrent de la faim et empêcher les milliers de morts chaque jour reliées à l’absence d’eau potable !

S’objecter à la destruction et aux souffrances que les dépenses militaires entraînent bâtit le rêve de l’altermondialisation. Car les APLP font ou ont fait preuve de persévérance et de patience en soutenant l’idéal d’une paix durable par le désarmement et la justice sociale : il s’agit de protéger la vie (l’environnement, l’eau potable, l’air pur, le climat et les diversités), les institutions d’éducation et de santé publiques, la culture et l’information libres en appui à l’UNESCO et à l’UNICEF et enfin les droits de la personne (droits au logement, au travail et à la syndicalisation, à la justice et à la liberté) par la lutte contre le sexisme et le racisme en solidarité avec les autochtones et les minorités.

Enfin, depuis 28 ans, nos nombreuses prises de position ont trouvé des alliés telle la Ligue des Droits et Libertés, Amnistie internationale ou la coalition Échec à la guerre qui à son tour a fait appel par exemple à notre co-présidente d’honneur Antonine Maillet. Les APLP ont co-organisé les grandes manifestations contre l’entrée du Canada en guerre en Irak et en Afghanistan, ils ont défendu l’enfant-soldat Omar Khadr et appuient maintenant le projet Retour au bercail qui veut arracher au no man’s land juridique une centaine de victimes à qui on ne laisse pas les moyens de se défendre, tel M. Abdelrazik. C’est pourquoi ils seront présents à New York à l’ONU le 16 juin pour rencontrer un émissaire du comité 1267.

PJ10juin2011

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