Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Des enfants en fuite

Les États-Unis détiennent des milliers de jeunes migrantEs à la recherche de sécurité et de réunification avec leur famille

Amy Goodman : Une coalition de défense des droits civiques et d’immigration a porté plainte contre la police des frontières pour ce qu’elle estime être des traitements abusifs répandus et systémiques à l’égard d’enfants immigrantEs. Ces organisations, qui incluent le National Justice Center et la ACLU (American Civic League Union), disent parler au nom de plus de 100 mineurEs non accompagnéEs, maltraitéEs par les agents de la police des frontières après leur entrée aux États-Unis. À ce jour, le U.S. Customs and Border Protection rapporte avoir répertorié 47,000 de ces mineurEs qui ont été détenuEs après leur entrée sur le territoire soit plus du double de qu’il en était en 2013 et presque cinq fois plus qu’en 2009. Le Président Obama a qualifié la situation de « crise humanitaire ».
Bon nombre de ces enfants ont été détenuEs dans des conditions déplorables. On rapporte qu’un millier serait enferméEs dans un entrepôt à Nogales en Arizona. Certains dorment dans des containeurs de plastique. Jeudi, (le 12 juin), le Washington Post diffusait une vidéo montrant des installations de fortune au poste de police de McAllen au Texas, où sont détenuEs ces migrantEs. Cette vidéo nous montre des douzaines de femmes et d’enfants étenduEs sur le plancher de ciment.

Plus tôt cette semaine, Nermeen Shaikh et moi, de Democracy Now !, avons rencontré deux invités au sujet de cette situation critique. Nous avons interviewé à Houston, Jose Luis Zelaya qui s’est enfuit du Honduras en 2000 alors qu’il avait 13 ans. Il recherchait sa mère. Il a voyagé seul, traversant toute l’Amérique centrale pour aboutir au Texas 4 mois plus tard. Il est maintenant étudiant au doctorat (PHD) en éducation à l’Université A&M du Texas. Il fait parti du Council for Minority Student Affairs de cette institution et il est membre du groupe pour les droits des immigrantEs, United We Dream.

Nous avons aussi rencontré Sonia Nazario à Los Angeles. Elle est récipiendaire du prix Pulitzer en journalisme, l’auteure de Enrique’s Journey : The Story of a Boy’s Dangeurous Odyssey to Reunite with His Mother.

democracynow.org, le 13 juin 2014,

Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

J’ai d’abord demandé à Mme Nazario combien d’enfants migrantEs sont installéEs dans des entrepôts en ce moment aux États-Unis ?

Sonia Nazario : L’augmentation dont on parle en ce moment a réellement commencé en 2011. Depuis 3 ans nous avons observé un flot continu, toujours plus important, de mineurEs non accompagnéEs arriver ici illégalement pour finir par être détenuEs dans des prisons fédérales. Et ça ne prend pas en compte les quelques 20,000 MexicainEs qui chaque années sont renvoyéES dans leur pays dans les 24-48 heures qui suivent leur arrivée. Ce sont principalement des enfants d’Amérique centrale, du Honduras, du Salvador et du Guatemala qui composent ces groupes. Le mois dernier, nous avons vu en une seule journée 1,000 enfants emprisonnéEs par le gouvernement fédéral. La moyenne est de 400 par jour. Le gouvrnement fédéral n’était absolument pas préparé à faire face à cette situation. Il y a deux ans déjà il y a eu un premier épisode de la sorte. Ils ont ouvert la base aérienne de Lackland parce qu’ils été complètement pris par surprise. Aujourd’hui ça recommence.

Nermeen Shaikh : …Vous avez qualifié ce problème de crise de la demande de refuge. D’après vous, qu’est-ce que le gouvernement fédéral devrait faire ?

S.N.  : Lorsque j’ai commencé à examiner cette situation, j’ai fait le voyage sur le toit des trains qui traversent le Mexique pour comprendre ce que vivaient ces enfants qui viennent ici seulEs. Une grande majorité vient, soit pour travailler, pour fuir les abus de la part de leur famille dans leur pays, mais la plupart veulent rejoindre leur mère qui les a laisséEs derrière lorsqu’elles ont-elles même immigré ici. Ce sont des mères monoparentales en général et elles sont des millions dans notre pays. Elles ont laissé l’enfant à une tante, une grand-mère disant que ce n’était que pour un an ou deux. Mais elles ont découvert que la vie ici était plus compliquée qu’elles ne le pensait et la séparation s’est étendue sur cinq, dix ans et même plus. Le garçon dont je parle dans mon livre, Enrique, désespérait de ne jamais revoir sa mère. Il s’est organisé seul pour venir ici la retrouver au bout d’un très dangereux voyage.

En plus, depuis cinq ans, la violence a beaucoup augmenté dans leurs pays d’origine comme au Honduras. Ce pays détient le plus haut taux de meurtres au monde. 30% de la population subit des extorsions de la part de gangs et de cartels criminels. Dans les lieux de vie comme celui d’Enrique, une enquête du Haut Commissariat pour les réfugiéEs a montré qu’il y avait 6 enfants sur 10 qui devaient s’enfuir pour protéger leur vie. La plupart du temps il n’y a plus d’école, leurs parents ou des membres de leur famille ont été tuéEs par ces gangs. Hier, à la Commission pour les femmes réfugiées, quelqu’un disait que ces enfants étaient semblables aux enfants soldats en Afrique que nous traitons comme des réfugiéEs. Pourquoi n’appliquons-nous pas la même règle à ces enfants vulnérables qui sont nos voisins du sud ? Pourquoi ne les traitons-nous pas de la même manière ?

Je pense que le gouvernement doit absolument s’investir dans cette situation. D’abord en faisant en sorte qu’ils et elles puissent sortir des installations de la police des frontières où la détention ne devrait pas durer plus que 72 heures ; ce n’est pas le cas. Il n’y a pas d’installations correctes où ses enfants puissent être hébergéEs pour une longue période. Il n’y a même pas de douches. Il n’y a qu’une toilette ouverte. Souvent ils et elles doivent dormir à tour de rôle sur le plancher parce qu’il n’y a pas de places pour tout le monde. Ils devraient avoir préparé des abris convenables pour faire face à cet afflux d’enfants. Et ces enfants devraient être traitéEs comme des réfugiéEs, être examinéEs sous cette exigence.

Finalement, je pense que le gouvernement devrait fournir à chacun et chacune des ces enfants un avocat. On les arrête, on les confie à un tuteur, une tutrice ou un parent avec obligation de se présenter devant le tribunal de l’immigration sans aucun droit à une aide juridique. Le juge se trouve devant des jeunes- j’ai vu des enfants aussi jeunes que 7, 8 ou 9 ans, d’autres en ont vu qui avaient seulement 5 ans -, qui doivent lui exposer leur cas complexe d’immigrantEs. L’avocat qui représente le gouvernement argumente vivement autour des raisons pour lesquelles l’enfant devrait être renvoyéE aux conditions dangereuses qui ont provoqué son départ de son pays. Les enfants ne sont défenduEs par personne. Ce n’est pas un traitement judiciaire juste. Que l’Attorney general, M. Éric Holder leur ait assigné une centaine d’avocats et d’assistantEs légaux-ales est un pas dans la bonne direction mais vraiment une mesure symbolique en réalité. Il doit faire beaucoup plus.

A.G. : Jose Luis Zelaya, racontez-nous votre histoire. Comment êtes-vous venu ici, pour quelles raisons et à quel âge ?

J.L.Zelaya  : Bonjour, je suis né au Honduras, à San Pedro Sula. C’est la capitale mondiale de la violence. J’ai grandi dans la pauvreté extrême. J’ai littéralement vu mon frère mourir dans les bras de ma mère parce qu’elle n’avait un sou pour l’amener à l’hôpital. Mon père était abusif et violent. C’était un alcoolique qui battait ma mère en public. Il me battait aussi et m’empêchait d’aller à l’école. Pratiquement il me séparait de ma mère. Ma mère s’est enfuie aux États-Unis avec ma jeune sœur et m’a laissé là. Mon père m’a obligé à rester avec lui pour que je lui fournisse sa boisson. Je suis resté ainsi, au Honduras environ deux ans sans ma mère. Mon père a fini par me mettre à la porte ; je suis devenu un enfant sans abri, un enfant des rues. C’est la réalité de bien des enfants au Honduras. Je fouillais dans les poubelles pour trouver à manger, j’ai ciré des souliers dans les parcs, j’ai vendu des bonbons. J’ai aussi lavé des pare brises aux intersections. Il fallait que je m’arrange pour survivre.

Mais en vérité c’est un endroit très dangereux ; le Honduras est un pays très dangereux. Un jour, je jouais simplement au soccer mais des voitures circulaient et les occupants tiraient de coups de feu tout autour. Je me suis retrouvé avec des blessures par balles aux deux bras. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de m’enfuir. Il fallait que je parte, que je quitte le Honduras, que je vienne rejoindre ma mère aux États-Unis. Je ne savais pas où elle était. Tout ce que je savais c’était son code régional de téléphone, le 713. C’est le code de la région de Houston.

Et je suis venu ici. Ça m’a pris 45 jours. Ce fut l’horreur. C’est la pire expérience que j’aie vécue. J’avais soif et je n’avais pas d’eau, j’avais faim et rien à manger. Je ne pouvais même pas fouiller dans les poubelles pour trouver à manger ; il n’y a pas de poubelles dans le désert. Si j’attrapais un train, c’était pour voir mourir, des petites filles violées par les passeurs et je ne pouvais rien faire, je n’étais qu’un enfant. J’avais 13 ans à ce moment-là. Je savais que ce que je faisais était illégal mais, je voulais observer la loi en tentant de renouer avec ma mère et ma sœur.

Quand je suis finalement arrivé aux États-Unis, j’ai été amené dans un centre de détention à Harlingen au Texas. Ce fut une autre expérience difficile. Nous ne pouvions être à l’extérieur, voir le soleil qu’une heure par semaine et on ne nous autorisait à boire de l’eau que trois fois par jour. C’était difficile, nous étions tous des enfants….
(…)

A.G. : Jose Luis, vous dites que vous ne pouviez voir le soleil qu’une heure par semaine et boire que trois fois par jour ?

J.L.Z. : C’est ce que j’ai vécu étant enfant dans le centre de détention de Harlingen au Texas (…) Ce fut difficile. Je suis venu seul. Ma mère avait payé un passeur mais il a fini par me donner, (vendre ? N.d.t.), à un autre homme. Nous avons eu beaucoup de problèmes et de mal avec l’armée mexicaine. On nous a volés. Les gens des cartels kidnappent beaucoup de monde. Ils abusent physiquement des enfants sous vos yeux en disant : « Ensuite c’est toi » ! Et vous ne pouvez rien faire. Ceux qui ont tenté de prendre la défense des enfants ont été battus et laissés derrière dans le désert, sans eau. Je me suis effacé le plus possible et j’ai tenté de rester en vie pour arriver au bout du voyage. Comme je l’ai déjà dit, c’est très dur d’être sans eau. J’ai beaucoup marché, j’ai aussi sauté dans les trains. Il le fallait souvent. Je ne parlais pas pour ne pas dévoiler mon accent d’Amérique centrale.

J’ai finalement abouti au Rio Grande. Je l’ai traversé. J’ai sauté et j’ai nagé parce que je voulais rejoindre ma mère. Je ne pensais pas à l’illégalité ; je ne pensais qu’à retrouver ma mère a m’évader d’un père alcoolique et abusif, à arriver aux États-Unis, pas pour y trouver une vie meilleure mais pour être avec ma mère. C’est ce que je voulais. J’ai passé environ deux mois dans le centre de détention parce que je savais que le code régional de ma mère était le 713.

N.S. : Donc vous avez passé deux mois dans ce centre. Pouvez-vous nous parler des autres enfants qui s’y trouvaient, de combien de temps environ ils y restaient ? (…)

J.L.Z.  : O.K. Cela n’avait rien avoir avec ce qu’on sait de ce qui existe en ce moment en Arizona. C’était plus petit. Il y avait environ 20 personnes ; je les appelle des étudiants. (…) Nous n’y étions pas vraiment mal traités mais il y avait beaucoup de restrictions. Nous n’avions pas le droit d’aller dehors sauf une heure pour une partie de soccer. Mais, pour ma part j’étais heureux d’avoir à manger, un abri pour dormir et une douche.

J’y suis retourné récemment. Je dois, d’une certaine façon redonner quelque chose pour ce que j’ai reçu. Donc j’y suis allé pour parler aux étudiants, partager mon histoire et expliquer comment je suis devenu étudiant au doctorat. Ils ne sont plus 20 dans ce centre, ils sont maintenant 200. Ils ont ouvert d’autres installations sur le même site. Alors, ce qu’on voit c’est que…dans le temps nous avions des tables pour manger, maintenant ils mangent dans le gymnase parce qu’il y a tellement de monde.

A.G. : Alors, quand vous lisez les reportages sur l’actuel flux d’enfants à la frontière, que ressentez-vous ?

J.L.Z.  : Quand j’ai vu les premières images, j’ai pleuré et pleuré. J’avais le cœur brisé devant ces enfants ; je comprenais pourquoi ils et elles étaient là. Plusieurs avaient des pères violents. Mon père avait l’habitude de me battre avec le plat de sa machette. Il nous battait avec le côté de son pistolet. Il nous battait en public et personne n’en faisait cas. Donc la raisons de la migration de ces enfants, c’est l’extrême pauvreté. Ne pas avoir à manger ; beaucoup de ces enfants sont entréEs dans des gangs juste pour avoir à manger. Et si vous êtes un enfant qui refuse cette option comme moi, vous vous faite tirer dessus ou poignarder. Vous devez faire face à toutes ces douleurs. Alors je comprends bien pourquoi ces enfants s’en viennent ici.

Je comprends aussi que les États-Unis est un pays accueillant qui devrait apprécier ces enfants, les éduquer et leur ouvrir des opportunités comme celles dont j’ai bénéficié. Ces enfants sont intelligentEs et débrouillardEs. Si on les éduque, les études supérieures sont à leur portée. Je ne suis pas un exemple ; je ne suis qu’un échantillon de cette population d’étudiantEs et de ce qu’ils et elles peuvent devenir si on leur en donne l’occasion. J’ai le cœur brisé en voyant ces enfants et leur situation. J’espère seulement que le gouvernement des États-Unis sera correct et leur ouvrira des opportunités comme celles dont j’ai bénéficié. Je souhaite aussi qu’ils et elles pourront servir leur pays et contribuer à l’économie.

N.S. : Sonia Nazario, vous avez écrit ce livre : Enrique’s Journey : The Story of a Boy’s Dangerous Odyssey to Reunite with His Mother. Enrique était hondurien comme Jose qui vient de nous parler. Qui a-t-il de commun entre ces deux récits ?

S.N. : Quand il avait 5 ans, Enrique vivait avec sa mère à Tegucigalpa, la capitale. Comme bien des femmes au Honduras, elle ne pouvait tout simplement pas nourrir suffisamment ses deux enfants. Elle ne pouvait pas les envoyer à l’école au-delà de la quatrième année. Plusieurs honduriennes m’ont raconté comment, parce que leurs enfants pleurait sans arrêt le soir à cause de la faim, elles leur préparent un grand verre d’eau, ajoutent un tout petit peu de sucre, une miette de pâte à tortilla pour leur mettre quelque chose dans le ventre. Donc la mère d’Enrique, Lourdes, est venue travailler aux États-Unis et il était désespéré qu’elle ne l’emmène pas avec elle. Quand il a eu 11 ans, puis 12 ans, le matin de Noël, il se tenait devant la cabane en bois de sa grand-mère en priant Dieu : « S’il ta plait ; je ne veux qu’une chose, que Tu me ramènes ma mère auprès de moi ».

Alors, quand il a atteint ses 16 ans, après 11 ans sans nouvelles de sa mère il a décidé d’aller la rejoindre. Il voulait une réponse à une seule question, celle pour laquelle tous les enfants veulent une réponse : « Est-ce qu’elle m’aime vraiment » ? Parce qu’elle lui avait dit qu’elle reviendrait bientôt ou enverrait quelqu’un le chercher sans trop attendre et elle ne l’a pas fait. Il n’avait rien venant d’elle sauf un pauvre petit bout de papier avec son numéro de téléphone écrit à l’encre. Quand j’ai traversé le Mexique par les trains, j’ai été fascinée de voir les enfants avec ce genre de petit bout de papier qu’ils et elles cachaient précieusement dans la semelle de leurs chaussures, dans la ceinture de leurs jeans, enveloppé dans du plastique pour que le précieux numéro ne s’efface pas lorsque venait le temps de traverser les rivières. Donc, avec ce petit bout de papier et littéralement pas d’argent, il a voyagé par le seul moyen possible c’est-à-dire de s’agripper aux trains de marchandises qui traversent le Mexique jusqu’au nord. Nous ne somme pas le seul pays qui déporte beaucoup de gens.

Il lui a fallu 122 jours et 12,000 milles de route. Il a dû faire face à des bandits qui sont aussi sur les côtés des trains et qui tentent de les voler, de les violer, et de les tuer. Ils y a des gangsters qui contrôlent les toits des trains. J’ai vu, en faisant moi-même ce voyage de 3 mois sur les toits des trains pour reconstituer l’histoire d’Enrique, des gangsters y errer. Ils se promenaient d’un wagon à l’autre en disant : « Votre argent ou la vie » ! Ils vous déshabillent, cherchent le moindre sou et parfois, juste pour le plaisir de la chose, vous poussent en bas contre les roues du train en marche. Ces enfants sont aussi confrontés à des agents de police corrompus. J’ai compté une douzaine d’agences de police dont les membres les volent, violent les filles et, dans beaucoup de cas, les déportent vers la frontière sud. Et il y a aussi le train lui-même. Les migrantEs l’ont baptisé La Bestia, la Bête. Parce qu’il traverse le Mexique d’un bout à l’autre. Enrique traversait illégalement. Il ne pouvait pas prendre le train à une gare. Il devait monter et descendre alors que le train était en marche.

J’ai vu des douzaines, des centaines d’enfants et des adultes qui avaient perdu un bras ou une jambe en utilisant ces trains de marchandises. Ce que Jose nous a raconté est un témoignage à la détermination de ces enfants qui veulent arriver aux États-Unis. Aucun mur ne les empêchera de le faire. C’est cette détermination que j’ai vu chez Enrique.

Il y a en plus une autre motivation extrêmement importante : la montée de la violence au Honduras. Les enfants y voient des cadavres dans les rues tous les jours. Un enfant sur dix ne vit pas dans sa maison par peur d’y être kidnappéE. Nous voyons des enfants de plus en plus jeunes (chez les migrantEs). Et au paravent, un enfant migrant sur quatre était une fille. Elles composent maintenant la moitié des groupes. Antérieurement, les parents ne laissaient pas partir leurs filles de peur qu’elles se fassent violer par les passeurs. Le désespoir est maintenant si grand. Les gangsters vont les rencontrer aux sorties des écoles et leur disent : « Tu vas devenir ma petite amie », ou encore : « Je vais tuer toute ta famille ». Et si la fille n’accepte pas, ils la capturent, la violent, la mettent dans un sac en plastique et la tuent. La violence n’a fait qu’empirer depuis qu’Enrique a entrepris son voyage. Même chose pour Jose. Il y a cette motivation fondamentale de vouloir rejoindre sa mère mais il y a aussi ce niveau épouvantable de violence qui poussent ces enfants hors de leur pays.

L’usage de la drogue aux États-Unis alimente cette situation. Nous consommons plus de ces drogues illégales que partout ailleurs au monde. 80% de la cocaïne nous arrive de l’Amérique latine. Elle traverse le Honduras. Les cartels et les gangs se battent pour en contrôler ces routes. 

A.G. : Certains RépublicainEs, (…) disent que c’est le laxisme dans l’application de la loi sur l’immigration par l’administration Obama qui a poussé beaucoup de parents vivant ici sans papiers, à faire venir leurs enfants. Que la DACA, Deferred Action for Childhood Arrivalsi, est sous révision et que cela serait aussi une explication à l’afflux de mineurEs non accompagnéEs. Je pense que c’est le sénateur Rubio qui a dit qu’une rumeur courait que seuls les enfants seraient autoriséEs à rester ici et qu’alors les parents s’empresseraient de les faire venir. Sonia, (qu’en pensez-vous) ?

S.N. : Vous savez, les passeurs vont disent n’importe quoi pour faire marcher leurs affaires. Ils doivent dire aux gens qu’en les faisant rentrer aux États-Unis, ils seront libres. Ils mentent bien sur. Ils ne font que développer leurs affaires pour leur propre profit. Mais le Sénateur Rubio devrait savoir que la DACA ne s’applique pas à ceux et celle, arrivéEs après 2007. Et ça parait plutôt ridicule. Vous savez, le Haut commissariat pour les réfugiéEs, le HCR à l’ONU, a observé une augmentation de 700% de migrantEs vers les pays voisins du Honduras, le Costa Rica, le Nicaragua et Belize. Donc les enfants n’immigrent pas qu’aux États-Unis, mais aussi vers les pays voisins. Ils et elles tentent de sortir des ces zones de danger, de guerre. Récemment, le HCR a publié les résultats d’une étude réalisée auprès de ces migrantEs. Ils ont interviewé 400 de ces enfants et leur ont demandé pourquoi ils-elles étaient partiEs, qu’est-ce qui expliquait cet exode. 58% des enfants ont répondu que c’était à cause de la violence. Au Honduras, presque la moitié des enfants ont été affectéEs d’une manière ou d’une autre par cela. Des membres de leur famille ont été menacéEs ou ont été tuéES. Des 400 enfants rencontréEs en entrevue, seulement neuf ont mentionné la possibilité de vivre aux États-Unis légalement. Alors, je pense que toutes ces réactions indignées quant aux raisons qui amènent ces enfants ici, ne font rien pour ce qui est de, premièrement la violence et ensuite, comme c’est généralement le cas dans l’histoire, du désir de retrouver un parent qui vous a laissé derrière.

N.S. : Comment, Sonia Nazario, avez-vous choisi l’histoire du voyage d’Enrique parmi ceux de tous ces enfants qui tentaient de faire ce trajet difficile vers les États-Unis ? Vous avez aussi dit que pour avoir écrit à son sujet, sa vie est menacée maintenant au Honduras et qu’il ne peut y retourner.

S.N.  : Je cherchais à raconter l’histoire la plus emblématique de ces enfants qui viennent retrouver leur mère ici. À l’époque, l’âge moyen de ces enfants entrant au pays illégalement, était de 15 ans. Aujourd’hui, il est passé à 14 et on rapporte que c’est souvent beaucoup moins. UnE de ces enfants sur 10, a 12 ans ou moins. Quand j’étais sur le train j’ai connu un garçon de 12 ans. Les conducteurs des trains en ont vu qui n’avaient que 7 ans et qui voyageaient seuls, traversant quatre pays. Je ne sais pas si vos auditeurs-trices peuvent imaginer leur jeune de 7ans traversant quatre pays, face à des bandits, des gangsters et tous ces gens qui tentent de les chasser, de les tuer tout au long de la traversée du Mexique. J’essayais d’écrire l’histoire la plus représentative.

J’ai rencontré Enrique dans un refuge dans une église à Nuevo Laredo. Il attendait impatiemment de traverser le Mexique. Ses expériences jusque là étaient représentatives de toutes celles des autres. Un soir, il y avait six gangsters sur le toit du train qui l’ont presque battu à mort. Ils lui ont cassé les dents. Ils l’ont battu au visage avec un bâton, ont tenté de lui voler les quelques sous qu’il avait sur lui et de l’étrangler avec ses vêtements. Il est sur le toit du train, certain qu’il va mourir sans que sa mère ne le sache jamais. Par chance, le train a brusquement ralenti et il a pu échapper aux bandits. Il a sauté du train qui roulait à 40 mille à l’heure, mais il s’en est tiré.

A.G. : Quel âge avait-il déjà ?

S.N. : Ses expériences étaient typiques. Il avait 16 ans quand il est parti de chez-lui, 17 quand il a finalement terminé son voyage et rejoint la Caroline du nord.

A.G. : Parlons maintenant de solutions. Jose Luis Zelaya qu’est-ce qui devrait se passer selon vous ?

J.L.Z. : Je pense que ce qui doit arriver à ces enfants c’est ce qui m’est arrivé : leur ouvrir des opportunités, celle de rejoindre leur famille. Les données, les statistiques et les études nous disent que ce sont des enfants. Ils migrent vers un pays sans avoir commis aucune faute mais bien parce qu’ils et elles y ont été forcéEs. La violence extrême, la pauvreté et les réalités de leurs vies les ont forcéEs à partir. La figure paternelle n’existe pas et la mère peut se trouver aux États-Unis. Ils et elles viennent ici, je suis venu ici et on m’a donné une chance, celle de retrouver ma mère. Je suis entré à l’école et un professeur m’a inspiré. On m’a dit de continuer mes études et c’est ce que j’ai fait.

Donc, je pense que ces enfants doivent être traitéEs avec dignité d’abord et avant tout. On doit voir à leurs besoins de base comme un endroit pour prendre une douche, pour aller aux toilettes et pour dormir dans un lit. Ceux et celles qui n’ont que cinq, six ou sept ans sont terroriséES, effrayéEs, blesséEs émotionnellement et psychologiquement. Il se peut qu’ils et elles n’en parlent pas parce dans leur pays d’origine s’était une occasion d’être battuEs. Parler voulait dire être blessé. Alors s’exprimer sur leurs sentiments actuels n’est pas toujours possible mais je vous assure qu’il y a beaucoup de peur dans leur vie en ce moment.
Je me rappelle de mes premiers jours au centre de détention. Je ne pouvais m’arrêter de pleurer à la journée longue parce que je pensais qu’on allait me renvoyer au Honduras. J’avais vraiment peur qu’on me renvoie à mon père violent et qu’encore une fois je sois battu. Donc ces enfants ont besoin, dans l’immédiat de voir un psychiatre. On doit les évaluer. On doit les traiter comme des êtres humains et leur donner ce que cela veut dire. On doit les éduquer. Le Président parle d’une crise humanitaire. On doit agir. Nous sommes un pays fort ; on ne devrait pas traiter des enfants comme on le fait en ce moment. Nous devons leur donner les chances que nous avons tous.

A.G. : Sonia Nazario, qu’elles devraient les solutions en ce moment ? Combien sont-ils en ce moment ? Des milliers ?

S.N. : On parle d’environ 900,000 enfants qui sont arrivéEs et ont été placéEs dans des centres de détention fédéraux jusqu’à maintenant cette année. On pense qu’il y en aura 130,000, peut-être même 147,000 l’an prochain. Donc ces nombres ne feront qu’augmenter tant que nous verrons la violence se développer en Amérique centrale.

(…) Comme je l’ai dit plus tôt, d’abord et avant tout nous devons traiter ces enfants comme des enfants, les protéger et les traiter avec dignité. Mais je pense aussi qu’il faut aller aux racines de ce problème, de ce qui fait qu’ils arrivent ici. Tant que nous n’aurons pas fait cela le nombre d’arrivantEs ne fera qu’augmenter. Notre approche de l’immigration illégale a été---Je pense que les solutions soutenues tant par la gauche que la droite ont toutes échoué à faire diminuer le flot de ces immigrantEs. Nous avons renforcé le contrôle à la frontière, nous avons introduit le programme de travailleurs-euses temporaires, nous avons expérimenté des parcours vers la citoyenneté. Les renforcements du contrôle à la frontière ont pratiquement enfermé les parents dans le pays ; ils comprennent qu’il n’est presque plus possible de retourner chez-eux (parce qu’il leur sera impossible de revenir aux États-Unis sans papiers.. n.d.t.) et donc ils font venir leurs enfants de plus en plus jeunes. Les travailleurs-euses temporaires ne retournent pas dans leur pays au moment où cela doit se faire. La dernière fois que nous avons légalisés ce type d’immigrantEs en 1986, ils et elles sont sortiEs de l’ombre ce qui est une bonne chose. Mais ensuite ils ont fait venir leurs familles et amiEs par la voie illégale. Cela a fait augmenter le nombre des sans-papiers et ça ne s’arrête pas.
Je pense que nous devons adopter une approche complètement différente. Le Secrétaire d’État, M. Kerry devrait élaborer une politique extérieure qui rendrait disponibles tous les outils que nous possédons pour tenter de créer plus d’opportunités économiques et démocratiques dans les quatre pays qui exportent 74% de leur population et qui rentre ici sans permission. Je pense que nous devons donner plus d’aide internationale. Les gouvernements d’Europe donnent plus d’aide au Honduras que nous ne le faisons. Nous devons modifier les règles commerciales pour que plus de biens de ces pays et d’autres ….., (adopter) des règles commerciales différentes que celles dictées par l’ALÉNA. L’ALÉNA a permis que notre maïs envahisse le Mexique ; les producteurs de maïs mexicains ne pouvaient soutenir cette compétition. Le prix de la céréale a baissé de 70%. Donc un million de fermiers mexicains ont immigré ici conséquemment. Nous devons aider à l’éducation des filles. Quand elles sont éduquées, elles reportent leur projet d’avoir des enfants à un âge plus avancé et elles ont moins d’enfants. Cela pourrait réduire la pression qui les pousse à immigrer. Nous devrions aider à la gestion des 40 millions de dollars que ces migrantEs renvoient dans leurs pays pour qu’une partie aille au développement d’emplois là-bas, de manufactures et d’autres possibilités économiques. Certaines organisations locales de ces immigrantEs ont déjà commencé à le faire ici aux États-Unis. Je suis convaincue que nous pourrions faire beaucoup pour faire diminuer la violence et changer les conditions économiques dans ces quatre pays. Si nous avions la volonté de commencer cela plutôt que tenter de maintenir les trois mêmes politiques auxquelles nous nous accrochons encore et encore et qui n’ont pas réussi à ce que les immigrantEs restent là où ils et elles veulent demeurer, dans leurs pays d’origine où se trouvent tout ce qu’ils et elles connaissent et aiment. Leurs familles y resteraient plutôt que s’en venir ici.

A.G. : Quels sont les effets du coup d’État au Honduras ? Et ceux de la position des États-Unis sur le renversement du président Manuel Zelaya ?

S.N.  : Je pense que les États-Unis portent beaucoup de culpabilité envers l’Amérique latine. Ça remonte à l’application de la doctrine Monroe, en 1911. À ce moment-là, une de nos compagnies a fourni des armes aux auteurs d’un coup d’État au Honduras. Et nous avons une sordide histoire en Amérique centrale ; nous avons soutenu les élites militaires qui s’évertuaient à concentrer le pouvoir plutôt que de redistribuer la richesse. Je pense que nous devons soutenir plus les gouvernements démocratiques qui sont d’accord pour redistribuer la richesse. Les États-Unis ont été les premiers à reconnaitre le nouveau gouvernement auto proclamé après le coup d’État en 2009. La majorité des gouvernements d’Amérique latine étaient en désaccord avec cette position. (De plus) nous utilisons des drogues (illégales) dans notre pays. Une récente étude montre que 20 millions de personnes ici, ont besoin de traitements en lien avec l’usage des drogues et ne les ont pas reçu. Je comprends donc que nous portons une lourde culpabilité envers les conditions qui sont maintenant en place au Honduras et qui poussent les enfants à s’enfuir pour être protégéEs.

A.G. : Qu’elle réforme devrait être adoptée en matière d’immigration pour qu’elle couvre la majorité des problèmes ? Sonia Nazario, qu’elle allure cela aurait-il ?

S.N. : Pour commencer, c’est certainement de traiter les enfants qui nous arrivent mieux que nous ne le faisons en ce moment. (…) Je siège au Conseil d’administration d’une organisation qui s’appelle : Kids in Need of Defense. Nous recrutons des avocatEs d’office pour représenter les enfants devant les cours. Je pense que le gouvernement doit fournir plus d’avocatEs aux enfants pour que les règles juridiques soient respectées dans les tribunaux. Les enfants sont mortEs de peur devant les juges, s’accrochent à leur toutous, font pipi dans leurs culottes parce qu’on leur demande de présenter leurs cas toujours complexes. Je pense aussi qu’il faudrait adopter une nouvelle loi, une nouvelle version du Dream Act, (projet de loi pour donner aux mineurs étrangers : « développement, secours et éducation » n.d.t.) . Cette fois pour aider ces enfants qui arrivent ici et dont les parents sont illégaux. Ils sont venuEs à cause de leurs parents ; il faut leur permettre de sortir de l’ombre. Mais il faut surtout avoir des solutions à long terme, et commencer à regarder à long terme. (Faire quelque chose) pour travailler sur les racines de ce problème dans les pays concernés ; faire en sorte de transformer les conditions de vie là-bas. [1]


[1Loi entrée en vigueur le 15 juin 2012 qui donne la possibilité aux personnes entréEs aux États-Unis alors qu’ils étaient des enfants (avait moins de 31 ans), ayant des parents immigrantEs illégaux-ales, et ayant séjourné sur le territoire de façon continue depuis le 15 juin 2007, pouvant en donner des preuves et sous certaines autres conditions, de continuer à demeurer aux États-Unis et y vivre normalement sauf pour la citoyenneté et certains avantages. La loi donnait 2 ans aux personnes concernées pour faire leur demande.

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