Édition du 3 décembre 2024

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Les causes de cette guerre ne sont pas à chercher en Ukraine, mais à l’intérieur de la Russie

En avant-propos, Alexis Cukier parle d’événement majeur, de savoirs « permettant de s’orienter au sein des problèmes politiques causés ou révélés par cet événement historique », de débats concernant « l’impérialisme russe, la résistance ukrainienne, l’aide militaire de l’Otan, et tous les enjeux politiques impliqués par la guerre ». Il serait plus juste d’écrire l’aide militaire de gouvernements de pays adhérant à l’Otan.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Il explique le projet et les choix éditoriaux, la traduction d’un texte de Tony Wood dont les analyses ne faisaient pas consensus, l’engagement de Karine Clément, Denys Gorbach, Hanna Perekhhoda et Catherine Samary « en France, en Suisse et au niveau international, dans le soutien à la résistance populaire ukrainienne, et à l’opposition contre le régime de Vladimir Poutine ».

Un ouvrage en cinq chapitres et un entretien conclusif.

Au delà des points d’accords et de fortes divergences, je ne vais pas détailler le texte de Tony Wood « Matrice de guerre ». Je ne suis pas convaincu de son utilité ici. Je voudrais cependant souligner quelques problèmes de « méthode ». Des termes employés ne me semblent pas adéquats pour favoriser « les débats qui traversent la gauche au niveau mondial et sur les tâches de l’internationalisme et de l’anti-impérialisme aujourd’hui » pour utiliser le formulation d’Alexis Cukier.

« Matrice de guerre », « lutte géopolitique », « projets géopolitiques et géoéconomiques rivaux », « confrontation entre deux projets », « équilibre stratégique », « blocs rivaux », « d’objet géopolitique de conflit externe », le premier terme sous-estime le choix (la décision) politique de Vladimir Poutine, les six autres remisent les gouvernements des « petits » états à n’être que des pions dans une sorte de partie de jeu de dames ou d’échec entre gouvernements des grandes puissances, sans oublier la négation de l’action propre des populations.

Tout aussi discutable la notion de « relation sui generis avec la Russie », sorte de négation des choix et des possibles au nom d’une lecture lissée d’un passé sans contradictions. Je ne sais ce que pourrait désigner « les intérêts russes et occidentaux » et leur caractérisation de « fondamentalement incompatibles ». Cela semble supposer que toustes les citoyen·es vivant dans un état pourraient avoir les mêmes intérêts et que ces intérêts seraient représentables par les états et les politiques des dirigeants. L’intérêt des membres des couches sociales dominantes ne saurait représenter l’intérêt – s’il pouvait être ainsi défini – de l’ensemble ou de la majorité de la population. La guerre menée par le gouvernement russe contre les populations géorgiennes se transforme en « guerre russo-géorgienne », une formule mettant sur le même plan l’agresseur et les agressé·es. A noter que l’intervention militaire décidée par le gouvernement russe en Syrie, le soutien à la junte en Birmanie, sont omises (l’auteur parle cependant de guerre coloniale de Poutine en Tchétchénie) de même que les transactions commerciales internationales relevant souvent d’un néocolonialisme qui n’a rien à envier à celui des États-Unis ou de la France par exemple.

Je passe sur la lecture très impressionniste de Maïdan, sans oublier la soi-disant « emprise institutionnelle » de l’Extrême-Orient ukrainienne, l’idée de « désarroi de l’état » ou de « nationalisme russe blessé ». Dois-je une fois de plus souligner qu’un état n’est pas une personne, mais une construction sociale historique non indépendante des rapports et des conflits sociaux. L’auteur semble par ailleurs oublier que sans la résistance armée et non armée des ukrainienNEs et sans les livraisons d’armes des gouvernements des pays adhérents à l’Otan, le sort des populations et de l’état ukrainien serait probablement scellé (au moins pour un temps). Enfin, je reste surpris que la seule référence évoquée à propos des conflits inter-impérialistes soit la première Guerre Mondiale dans l’oubli de la Seconde et des combats anti-coloniaux de libération nationale…

Le prisme de l’autodétermination des peuples. L’enjeu ukrainien

Catherine Samary revient sur l’affirmation de la création artificielle de l’Ukraine et l’idée d’un seul peuple de Vladimir Poutine. « Contre ce point de vue, l’axe principal de notre contribution est l’autodétermination du peuple ukrainien comme droit essentiel ». Des droits, des peuples, des unions forcées ou volontaires, des constructions historiques complexes.

«  Mon point de départ sera ce que Poutine rejette : le choix de Lénine de baser la construction d’une union socialiste sur la reconnaissance de peuples souverains et égaux. Le choix de cet axe permet de nous écarter d’analyses géostratégiques relevant de grilles diverses qui ignorent les conflits sociaux au sein des grands ensembles retenus. La défense de l’autodétermination d’un peuple s’affirmant par des actes collectifs et des luttes impose de retenir la distinction, soulignée par Lénine, entre nation dominante et peuple dominé et agressé qui se défend ».

Catherine Samary rappelle sa démarche ébauchée en 1999 face à la guerre au Kosovo et les annexions de 2014, un triangle analytique. Elle précise contre des positions dans la gauche internationale relevant d’un « ennemi principal », l’importance d’un « positionnement partant du soutien au droit d’autodétermination du peuple concerné ». Elle ajoute : « Quel que soit le jugement porté sur les alliances nouées pour défendre ce droit – et sur les intérêts spécifiques des puissances impliquées – le choix de préserver les conditions d’unions libres entre peuples égaux légitimait le soutien à la lutte du peuple opprimé ».

L’autrice propose des éléments historiques sur la fin de l’URSS, les thérapies de choc libérales, les mutations socio-politiques, le « partenariat » de la Russie avec l’Otan sous Boris Eltsine, l’unification allemande, la guerre en Yougoslavie, les positions et les interventions du gouvernement étasunien, le passé « tsariste et stalinien, non sans emprunts à l’orthodoxie religieuse et à divers courants conservateurs et théoriciens de l’Eurasie » et en pointillé « l’exigence d’une autre architecture, européenne et mondiale, des droits revendiqués et des aspirations égalitaires exprimées par la résistance ukrainienne » (en complément possible : Monique Chemillier-Gendreau : Guerre en Ukraine : « Le temps est venu d’imaginer une nouvelle organisation mondiale pour garantir la paix et la liberté des peuples », https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/08/16/guerre-en-ukraine-le-temps-est-venu-dimaginer-une-nouvelle-organisation-mondiale-pour-garantir-la-paix-et-la-liberte-des-peuples/)

Catherine Samary discute, entre autres, des « peuples et unions et expériences socialistes », des apports de Roman Rosdolsky (Friedrich Engels et les peuples « sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/01/22/oppression-sociale-et-oppression-nationale/), des tensions internes au projet socialiste, « en particulier, comment concilier la reconnaissance de peuples souverains et les approches de classe centrées sur les prolétaires ? Ou comment les combiner avec des dimensions redistributives planifiées d’un projet d’union socio-économique visant à réduire des inégalités de développement entre régions recoupant aussi les peuples ? », des pratiques centralistes et répressives de Joseph Staline notamment en Ukraine dans les années 1930, des choix faits par les communistes yougoslaves, de la logique des « zones d’influence », de la notion « sécuritaire » et du soi-disant « droit de faire la guerre », du pouvoir russe comme agresseur et partie prenant de l’ordre impérialiste mondial « avec de nombreuses interdépendances, convergences d’intérêts et de conflits », du droit de résister…

L’autrice revient sur l’« opacité des choix dans le tournant de 1989-1991 », les privatisations capitalistes, les soulèvements anti-bureaucratiques auto-organisés, les aspirations populaires, les réformes et thérapies de choc, l’unification allemande, la nouvelle Union Européenne (« Les Etats-Unis cherchaient au contraire à empêcher une construction politique européenne indépendante »), l’agenda étasunien, le démantèlement de l’URSS, les dépendances, la corruption…

Elle insiste sur le fait qu’« il revient au peuple ukrainien de déterminer les conditions et le moment d’un cessez-le-feu et d’accords de paix », que la réévaluation des passés – tsariste, stalinien, nazi – ne peut se faire que librement, ce qui implique de s’opposer à la loi et aux pratiques de « décommunisation » comme le fait l’organisation Sotsialny Rukh tout en étant radicalement critique du passé stalinien et de ses héritiers actuels, le soutien à la demande ukrainienne d’adhésion à l’UE, l’annulation de la dette, l’importance des convois syndicaux et des appels féministes…
«  il faut garder un horizon ouvert sur une société russe post-coloniale, qui aurait gagné, grâce à (et avec) la résistance ukrainienne, l’ouverture d’une nouvelle ère des relations internationales égalitaires »

Lénine a-t-il inventé l’Ukraine ? Poutine et les impasses du projet impérial russe
«  Il ne s’agit rien de moins que de restaurer sa domination historique sur l’Ukraine, une région sans laquelle la Russie ne serait jamais devenue une grande puissance et cesserait d’être un État impérial s’étendant sur l’Europe et l’Asie ». Hanna Perekhoda explique que « ce n’est pas l’architecture européenne de sécurité de l’après-guerre froide qui est au coeur » des propos de Vladimir Poutine. Les idées développées par le président russe s’inscrivent « dans le cadre du récit national grand-russe  ».

L’autrice revient sur les origines de l’idéologie néo-impériale de Vladimir Poutine, l’affirmation d’une identité ukrainienne comme « menace existentielle » pour les promoteurs du projet de (re)construction nationale russe, la négation historique des Ukrainiens, la Russie tsariste comme empire colonial, les politiques de russification, l’idée que «  le passé médiéval commun, la parenté culturelle et la foi orthodoxe étaient des facteurs suffisants en soi pour que l’unité entre les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses se forge de manière spontanée et naturelle ».

Hanna Perekhoda interroge : «  Lénine a-t-il inventé l’Ukraine ? » et analyse en détail le discours de Vladimir Poutine pour en dégager « les fondements idéologiques de sa décision d’envahir l’Ukraine », le grand récit historique dominant en Russie « profondément colonialiste », la domination hiérarchique sur la masse continentale eurasienne, les modèles de projets « civilisationnels », l’incapacité à évaluer correctement le terrain avant l’invasion, «  Il faut admettre que ce fantasme inhérent au pouvoir colonial, selon lequel les peuples qu’il entend maintenir (ou ramener) sous sa tutelle sont par nature faibles ou inférieurs, a aveuglé Poutine et ses affidés au-delà de ce qui était prévisible », les entourages d’un président plus « loyaux » que « professionnels », les forces armées insuffisantes et peu préparées…

« Le processus de territorialisation, en d’autres termes, d’appropriation symbolique de l’espace par une communauté, est crucial pour comprendre comment l’Ukraine est passée du statut d’espace à celui de territoire ». L’autrice revient sur les années 1917-1922 : « les bolcheviks et l’inévitable décolonisation », le potentiel économique des provinces ukrainiennes de l’Empire tsariste, les effets de la « géographie mentale », la poussée des autonomies dans les régions non-russes, la répression des expressions du mouvement national ukrainien, l’horizon d’attente des membres du parti ouvrier social-démocrate de Russie, la proclamation de la République populaire ukrainienne par la Rada centrale, «  En réalité, non seulement les sociaux-démocrates, mais aussi tout le milieu urbain russe et russifié, porteur d’une culture impériale, est pris au dépourvu par l’ampleur et la rapidité du réveil politique des Ukrainiens, dont les aspirations avaient été jusqu’alors méconnues et méprisées ».

La réalité nouvelle n’a pas été anticipée par les membres du parti bolchevik, « Une réalité nouvelle, les confronte à une contradiction évidente entre leurs ambitions politiques globales et les difficultés très concrètes et localisées auxquelles se heurte la révolution, en particulier liées aux enjeux coloniaux d’un empire en décomposition ».

J’ajoute que la question nationale est restée souvent un point aveugle dans les partis révolutionnaires d’hier comme d’aujourd’hui. Je ne sais si, comme l’écrit l’autrice à propos de Lénine en 1922, «  la nation serait une étape obligatoire dans le cheminement historique vers une société socialiste  ». Toujours est-il que les manifestations polymorphes de la question nationale ne peuvent être considérées comme des vestiges du passé ou dissoutes dans un internationalisme-universalisme abstrait (lire par exemple, l’avant-propos à la réédition de l’ouvrage d’Otto Bauer : La question des nationalités, https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/05/01/avant-propos-a-la-reedition-de-louvrage-dotto-bauer-la-question-des-nationalités/). La culture russe de l’époque ne pouvait être considérée comme une culture universelle. Il en est de même aujourd’hui. Et cela vaut pour toutes les cultures. La notion de pluriversalisme me semble plus qu’utile. Fin de ce petit détour…

Hanna Perekhoda indique qu’« Il est donc bien évident que l’Etat ukrainien indépendant n’a pas été créé par les bolcheviks, mais contre les bolcheviks  ». Les évolutions de Lénine ne sont pas négligeables, il opte « pour le principe de l’autodétermination nationale dans la construction de l’URSS ». Vladimir Poutine (comme d’autres) doit considérer que « les seuls acteurs dotés d’une agentivité propre sont les chefs d’état » et le terme autodétermination pourrait être considéré de sa part comme une provocation « nazie » à la fois contre la nation et contre l’empire russe…

L’économie politique de l’Ukraine de 1991 à 2022 : régimes de propriété, politique institutionnelle et clivages identitaires

«  Dans ce chapitre, je m’interrogerai sur les interactions entre des processus habituellement analysés séparément : la politique parlementaire, les attitudes et identités populaires, la privatisation, les politiques monétaires et redistributives, les marchés mondiaux et les évolutions géopolitiques ». Denys Gorbach aborde, entre autres, les inégalités spatiales, les legs historiques, la dynamique du capitalisme ukrainien, « Ce chapitre proposera une périodisation de l’économie politique ukrainienne. La première partie est consacré à la conjoncture de survie, qui a marqué la première décennie de l’histoire de l’Ukraine indépendante. La deuxième partie analyse la période de démocratie oligarchique, qui correspond aux années 2000. Enfin, la troisième vise à élucider les contradictions et le dynamisme de la période post-Maïdan, à partir de 2014. C’est en ayant pris connaissance de ce contexte compliqué qu’on peut comprendre la situation présente, les défis posés par l’invasion russe et la nature de la résistance. Le récit de ce chapitre s’arrête à la veille de l’invasion : tenter d’analyser la suite serait trop ambitieux pour le moment  ».

J’invite à lire les analyses détaillées de l’auteur, en particulier la désintégration des chaînes de production et de distribution soviétiques, la dépendance aux hydrocarbures, les pactes clientélistes, la place du secteur informel, la transformation de «  la classe atomisée de la bureaucratie industrielle » en une classe capitaliste, les privatisations dans un contexte de « configurations politico-criminelles », les manipulations juridiques, l’usage de la violence, les oligarques, les évolutions dans la structuration du camp politique, la question des identités ethnolinguistiques, les mesures socio-économiques, la hausse de la consommation de biens importés, le passage « de l’autoritarisme collectif à une autocratie personnalisée », les ethno-nationalistes, la crise de l’Euromaïdan, la démocratie néopatrimoniale, la faiblesse des institutions, la résistance de la société civile ukrainienne aux accords de Minks, la composante « illibérale », les processus démographiques, une économie semi-périphérie dans un contexte de capitalisme à dynamique inégale et combinée, les pyramides de patronage, l’insertion dans les chaines de valeurs mondiales sans investissements dans « la modernisation économique et sociale », les contradictions entrainant des phénomènes de politisation et de dépolitisation.

L’auteur termine sur une interrogation : «  La guerre actuelle pourra-t-elle apporter une nouvelle configuration politique stable ? Actuellement, c’est une possibilité : la mobilisation très large pour résister aux envahisseurs contient les germes d’un programme politique inclusif, fondé sur la redistribution des richesses et l’adhésion à l’UE, le programme peut ouvrir la voie à des transformations politiques progressives » et sur un diagnostic ouvert : « Mais l’élan de la résistance peut retomber dans le nationalisme exclusif et dangereux, surtout en cas de défaite de l’Ukraine. Le visage de l’Ukraine de demain se dessine aujourd’hui sur le champ de bataille »…

La société russe face à la guerre

Opération militaire de « dénazification », « le simple emploi du mot « guerre » sera même interdit, sous peine d’emprisonnement pour propos discréditant l’armée ». A noter que le refus d’employer le mot guerre est typique des menées guerrières colonialistes, rappelons-nous la phraséologie du colonialisme français refusant de parler de guerre d’Algérie.

« Une chose est sûre : la guerre déclarée par Poutine fait sombrer le pays dans un autoritarisme répressif dont les prémices étaient certes présentes depuis longtemps, mais qui va à l’encontre de la politisation croissance qu’expérimentait la population russe avant le début de la guerre
 »

Karine Clément aborde, entre autres, les fraudes électorales de 2011-2012, le tournant autoritaire, l’euphorie patriotique et l’enthousiasme émoussé après l’annexion de la Crimée, la dénonciation des inégalités sociales, la corruption des élites, la réforme néolibérale des retraites, la politique « ostentatoirement répressive », le changement radical constitué par la guerre «  qui précipite le pays dans la voie d’un quasi-totalitarisme visant à l’anéantissement de toutes les poches d’autonomie de la société », la peur ou les peurs, les lois répressives, les solidarités et les réseaux d’entraide non étatique.

Elle souligne que le régime reste structurellement oligarchique « dans le sens où le pouvoir appartient à un petit groupe d’oligarques détenant les richesses de la nation et les postes clés dans les sphères économique, politique, médiatique, administrative et répressives », des clans oligarchiques, un fort néolibéralisme, un soutien gouvernemental au grand capital, un Etat grignoté par les intérêts privés, des inégalités sociales parmi les plus élevées au monde.

L’autrice parle aussi des intérêts économiques des oligarques russes en Ukraine, de l’histoire longue «  de conflits militaires menés à l’étranger ou sur le territoire russe », de la Tchétchénie, de la Syrie, des effets différenciés de l’annexion de la Crimée et du Dombas, du renforcement « des positions du bloc militaro-répressif au sommet de l’Etat », d’obsession sécuritaire « profondément complotiste et antidémocratique : la capacité de se soulever, ou même de protester de leur propre initiative, est déniée aux citoyens  ». Ce déni d’autonomie concerne aussi bien les russes que les Ukrainiens.

Karine Clément analyse la propagande patriotique et le sentiment national, les rapports différenciés à la nation (elle propose cinq type de rapports), l’opposition à la guerre, les actions publiques et l’activisme sur Internet la « solidarisation professionnelle », les réseaux alternatifs d’information dont le réseau Résistance féministe anti-guerre (en complément possible, Genska Pravda (La vérité des femmes), https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/11/03/genska-pravda-la-verite-des-femmes/), l’exil ou l’immigration.

L’autrice rappelle qu’il convient d’« adopter une approche socialement située » pour s’interroger sur les sentiments de la majorité de la population sur la guerre, qu’il est difficile de savoir la signification des sondages surtout «  en temps de guerre, de répression et de censure ». Elle discute, entre autres, de trois groupes sociaux, du rapport au monde « marqué par une aspiration au conformisme », de leader mythifié, de discours haineux, de la propagande non prise au sérieux, «  Le scepticisme à l’égard de toute information non corroborée par l’expérience personnelle jette le doute sur toutes les sources d’information, qu’elles soient officielles ou non : tout devient propagande », de resocialisation, de l’importance à s’adresser aux couches populaires, « l’avenir de l’opposition à la guerre est aux mains des classes populaires ». Elle ajoute qu’«  Aucun renversement durable du régime, aucune réelle démocratisation ne pourront jamais se faire sans l’adhésion et la participation active des classes populaires ». Qu’il faille encore souligner cela interroge sur bien des positions hors sol.

Karine Clément parle d’agenda, de méfiance envers l’« opposition libérale », de doutes et de questions gardées pour soi, de inefficacité d’une « croisade moralisatrice » au nom de la démocratie et des droits des êtres humains (sauf à les rendre concrets me semble-t-il – « réelles mobilisations autour de causes communes concrètes et atteignables »). « Il faudrait qu’un récit alternatif parvienne à se rendre audible et à entrer en résonance avec les manières de voir des milieux populaires  »…

Ukraine/Russie : de la guerre, des peuples et de l’impérialisme

Entretien avec Karine Clément, Denys Gorbachh, Hanna Perekhoda et Catherine Samary. Une occasion de revenir sur certains points et de faire le point (fin août) sur la situation, les accords et les différences dans les analyses : Où en sommes-nous de la guerre ? ; Réactions à la guerre, nationalisme et lutte de classes en Ukraine et en Russie ; Quels passés, quel avenir de la guerre ?
Le titre de cette note est emprunté à Anna Perekhoda dans la discussion finale.

Karine Clément, Denys Gorbach, Hanna Perekhoda, Catherine Samary, Tony Wood : L’invasion de l’Ukraine
Histoires, conflits et résistances populaires
La dispute, Paris 2022, 224 pages, 15 euros
https://ladispute.fr/catalogue/linvasion-de-lukraine-histoires-conflits-et-resistances-populaires/

Didier Epsztajn

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