Édition du 10 décembre 2024

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Les industries extractives : les nouvelles violations des droits humains et des peuples

Les droits humains étaient au début circonscrits à des segments déterminés de la vie de la société ou des indivi­dus. Ils s’étendent aujourd’hui aux espaces physiques et aux écosystèmes naturels, lieux de vie des peuples indigè­nes. Ces derniers, qui vivent dans une relation étroite avec la Terre mère, sont conscients de sa valeur. Ils maintien­nent depuis toujours l’équilibre adéquat pour que l’environnement naturel reste sain et puisse perdurer. Malheureusement avec le temps, le « marché », qui ré­pond à divers intérêts, ni nationaux, ni collectifs mais bien transnationaux et individualistes, a transformé ces biens naturels en objets lucratifs. Les entreprises et les politiques publiques privilégient le capital financier par rapport à la vie des peuples.

Tiré de : 2016 - 44 * 29 octobre : notes de lecture, textes, pétitions

Nous faisons ici fondamentalement référence aux en­treprises extractives (grandes exploitations minières, pé­trolières, gazières), aux consortiums privilégiant l’agro-industrie, aux barrages, à l’industrie touristique… Ces dernières progressent sur les territoires indigènes, sans jamais se préoccuper de l’impact sur l’environnement et encore moins de consulter les peuples autochtones. Ces entreprises, soutenues par des partenaires nationaux, ont imposé un modèle de pillage et de pollution qui génère d’énormes impacts environnementaux et pour la popula­tion. Elles déploient des millions de mensonges, n’hésitant pas à se faire valoir comme des moteurs du développe­ment des régions où elles s’installent. En pillant et pol­luant les ressources naturelles, leurs activités affectent les conditions de vie, non seulement des populations actuel­les, mais aussi des générations futures.

Nous ne sommes pas les seuls à nous élever contre cela. Un nombre incalculable de personnes, de législa­teurs, d’assemblées sont en état d’alerte. Cependant, ceux qui veulent à tout prix faire du gain font la sourde oreille. Le capitalisme, c’est comme ça ! Le fait que des peuples n’aient pas accès à l’eau dans un pays où pléthore de fleu­ves et de glaciers existent et sont généreusement répartis sur tout le territoire, est un manque de sensibilité de la part de ceux qui nous gouvernent, que ce soit à l’échelle nationale ou provinciale. Les peuples affectés, leurs lieux de vie, leurs morts et leurs maladies sont, comme dans le cas des bombardements lors de la guerre pour le pétrole, des « effets collatéraux ».

Il est nécessaire de désarmer les structures de l’injustice, celles d’un monde harcelé par le pillage des grandes sociétés transnationales, qui polluent les ressour­ces vitales pour la vie. Il est nécessaire de changer de pa­radigme. De cela dépend le monde que nous laisserons à nos enfants et petits enfants. Ce qui se passe avec l’industrie pétrolière est un des exemples les plus frappants. Cela fait des décennies que cette dernière provoque des conflits environnementaux en Patagonie et qui concernent particulièrement le peuple mapuche. Les pro­blèmes innombrables de la progression de ce conflit dans les nouveaux territoires à partir de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels sont relatés tout au long de ce livre.

Le cas le plus emblématique est celui de Chevron, une multinationale qui a « travaillé » pendant trente ans en Équateur. Elle s’est retirée du pays en laissant derrière elle mort et destruction et a contribué au déplacement de mil­liers de peuples autochtones et de paysans. Les commu­nautés indigènes ont alors déposé plainte contre cette entreprise. Après vingt ans de luttes, elles ont gagné. Chevron a été reconnu coupable d’avoir dévasté inten­tionnellement 500 000 hectares de l’Amazonie. Cependant Chevron s’est retiré de ce pays, devenant en quelque sorte un fugitif international. Les populations affectées ont ainsi dû mettre en route des actions juridiques dans d’autres parties du monde. Chevron viole les conventions concer­nant les droits des peuples autochtones, mais aussi les droits humains, comme la Convention 169 de l’Organisa­tion internationale du travail (OIT), qui oblige à organiser une consultation avec les communautés avant d’établir un projet sur leur territoire.

Le gisement d’hydrocarbures non conventionnels de Vaca Muerta couvre 30 000 km2 et s’entend sur quatre provinces argentines. Il concerne donc également de nom­breuses communautés mapuche. Dans notre pays, Chevron a signé un accord avec l’entreprise semi-étatique argentine YPF.

Au-delà des dommages irréparables, la plainte sus­mentionnée contre Chevron est parvenue aux tribunaux argentins. La justice civile a saisi la filiale locale de Chevron avec l’appui unanime de la Cour d’appel. C’était la première occasion pour contraindre Chevron à respec­ter la condamnation à laquelle l’entreprise refuse de se soumettre. Cependant, malheureusement pour les victi­mes de Chevron en Équateur, notre Cour suprême de justice a levé l’embargo sur les biens de Chevron en Amérique latine pour une valeur de 19 milliards de dollars étatsuniens. De cette manière, la justice a accordé l’impunité à une des entreprises pétrolières les plus sus­pectes en matière de violations de droits humains, collec­tifs et environnementaux dans le monde.

D’autre part, Chevron a le « mérite » d’avoir introduit, pour la première fois dans notre pays, les techniques d’extraction des hydrocarbures non conventionnels pour les exploiter. Ces méthodes, connues sous le nom de frac­king ou fracturation hydraulique, nécessitent l’injection de milliers de m3 d’eau qui libèrent le gaz prisonnier dans les roches. Utilisation intensive et pollution de l’eau consti­tuent les impacts les plus graves dont les premières victi­mes sont les populations des alentours. Malgré tout cela, les communautés mapuche, accompagnées de défenseurs de l’environnement, d’organisations sociales et solidaires, résistent et se mobilisent dans la région et ailleurs, no­tamment à Buenos Aires. Aujourd’hui, le mot de fracking est connu dans toute la société. Il fait écho à la dévastation et la mort. Cette issue fatale, jour après jour, mine un peu plus la santé de ceux qui avaient pourtant cohabité en harmonie avec la Terre mère et ruine l’économie de sub­sistance. C’est pour cela que nous valorisons le travail de différentes organisations, ainsi que celui de personnalités politiques et d’intellectuels, qui mettent en lumière les impacts des activités extractives sur les droits humains. Nous considérons que pour que nos sociétés puissent mener un débat démocratique sur des thèmes aussi im­portants que l’énergie et le développement, il est fonda­mental d’avoir des informations claires et documentées. En effet, cette discussion ne doit pas être réservée à quel­ques « experts ». Tel est l’objectif du présent livre. Nous espérons que cette publication et les efforts qui sont réali­sés sur le terrain serviront à équilibrer le débat pour une société plus juste et harmonieuse, où les politiques de développement prendront en compte les droits humains de tous les collectifs de notre société.

Adolfo Pérez Esquivel1

Ouvrage collectif : La passion du schiste.

Démocratie, capitalisme, environnement en Argentine

Préface d’Adolfo Pérez Esquivel (Prix Nobel de la Paix)

Avec les contributions d’OPSur, de Grégory Lassalle et de Vincent Espagne

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