Édition du 10 juin 2025

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Le Monde

Les limites de la force brute

Deux conflits majeurs retiennent l’attention internationale en ce moment : la guerre russo-ukrainienne laquelle a débuté par l’invasion ordonnée par Vladimir Poutine le 24 février 2022 afin d’annexer l’Ukraine d’une part, et d’autre part celui opposant Gaza et l’État hébreu provoqué par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 à l’intérieur d’Israël, près de la frontière gazaouie.
Ces deux conflits présentent des ressemblances frappantes : alors que le Kremlin au départ croyait que son attaque contre l’Ukraine se résumerait à une simple promenade militaire couronnée par la prise facile de Kiev, à Tel-Aviv, on pensait que la riposte à l’attaque du Hamas écraserait rapidement la résistance des Gazaouis, ce qui ne fut pas le cas. Elle dure encore.
Dans les deux cas, on s’est trompé. Russie et Israël se sont heurtés à une résistance farouche de la part des Ukrainiens et Ukrainiennes d’un côté, et des Gazaouis et Gazaouies de l’autre, si bien que ces deux conflits s’éternisent. Dans le premier cas, la Russie est l’agresseur, dans le second, le Hamas. Celui-ci visait selon toute vraisemblance à remettre "sur la carte" tout le problème de la dépossession des Palestiniens et Palestiniennes, lequel ne fait que s’aggraver de jour en jour, une question épineuse que la plupart des classes politiques occidentales ont le plus souvent tenté d’éluder, en particulier l’américaine, indéfectible alliée d’Israël. La tactique du Hamas commence à donner des résultats, encore timides mais peut-être prometteurs. En effet, trois soutiens solides d’Israël menacent d’adopter des mesures de rétorsion si le gouvernement Netanyahou continue à massacrer la population gazaouie. Le Canada, la France et la Grande-Bretagne s’impatientent devant l’arrogance du gouvernement d’extrême-droite en poste à Tel-Aviv. Il devient de plus en plus gênant de continuer à appuyer un gouvernement se livrant à une guerre qui prend chaque jour davantage les allures d’une entreprise d’extermination. Il se peut que le mouvement d’opposition à ce conflit prenne de l’ampleur et aboutisse enfin à une coordination plus large des mesures de rétorsion. Il s’agirait alors d’un changement majeur dans la politique des pays occidentaux à l’égard du conflit israélo-palestinien.

De plus, on observe un basculement progressif des opinions publiques occidentales en faveur des Palestiniens. Non que ceux-ci n’aient bénéficié jusqu’au déclenchement de la guerre d’aucune sympathie parmi elles, mais celle-ci s’élargit de jour en jour. On observe un divorce croissant entre les populations et leurs dirigeants sur cette question, même en Israël dans une certaine mesure.

Compte tenu de la taille minuscule de Gaza et de la concentration de sa population dans cet espace réduit, les Gazaouis se trouvent beaucoup plus vulnérables face aux actions militaires israéliennes que ne l’est le peuple ukrainien qui, lui au moins, dispose d’un territoire bien plus vaste. Les pertes ukrainiennes (militaires et civiles) sont considérables, la brutalité de Moscou est intolérable et devrait entraîner des pressions plus fortes que celles actuellement en vigueur. En Europe, la Russie est vue comme un "ennemi traditionnel" mais sa proximité géographique rend ses voisins prudents et sa puissance militaire en impose. Une certaine retenue découle donc de cet état de fait. Le nouveau président américain, Donald Trump, admire le président russe Vladimir Poutine et a diminué notablement les pressions en vigueur sous Biden.

Au contraire, Israël est l’enfant chéri des classes politiques occidentales dans l’ensemble et il a toujours bénéficié jusqu’à maintenant d’un traitement de faveur de leur part. Netanyahou parle maintenant ouvertement d’occuper à nouveau Gaza, évacué par les Israéliens en 2005. Ses intentions là-dessus sont encore un peu vagues, mais au moins on en connaît les grandes lignes.

Dans le cas de l’Ukraine, Poutine a vraisemblablement renoncé à l’annexer en entier et surtout à s’emparer de sa capitale, Kiev. Il profite de la complaisance de l’administration Trump à son endroit pour maintenir la pression sur Zelensky. De quelle portion du territoire ukrainien serait-il prêt à se contenter ? À coup sûr, au minimum des zones à majorité russophone. On peut toutefois croire que les Ukrainiens conserveraient une part assez importante de leur territoire.
Pour ce qui est de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, la situation s’avère différente. Dans les deux premiers cas, la colonisation israélienne s’y déploie sans vergogne et le territoire où se concentre une majorité de Palestiniens se réduit comme peau de chagrin. Cet état de fait met bien en relief l’aveuglement et la témérité d’une bonne partie des décideurs israéliens. Dans le cas de Gaza, ce petit territoire, bien avant l’éclatement de l’actuel conflit était qualifié par nombre d’observateurs de prison à ciel ouvert et la population y subsistait dans un état de grande pauvreté en raison du relatif blocus qu’Israël lui infligeait (déjà !). On y trouvait aussi des camps de réfugiés remontant à 1947-1948. Il a été le théâtre de cinq affrontements majeurs avec Israël (2009, 2012, 2014 et 2021) avant le déclenchement de la guerre du 7 octobre 2023. Le conflit présent n’a fait que décupler la misère ambiante.

De façon plus large, l’aboutissement du conflit israélo-palestinien va dépendre en bonne partie d’une éventuelle évolution de la position américaine. Il n’y a rien à attendre des trumpistes. Toutefois, la situation au Proche-Orient évolue rapidement, de manière chaotique et le conflit actuel exige une solution, laquelle ne peut résider dans l’écrasement de la résistance palestinienne. Rien ne pourra remplacer des négociations honnêtes entre Israël et la Palestine. Les principaux acteurs de la tragédie devraient méditer ce vieux dicton :

"En Orient, la victoire n’est complète que si d’un vaincu on peut faire un allié".
J’ajouterais qu’il s’applique aussi à l’Ukraine.

Jean-François Delisle

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