Édition du 16 avril 2024

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Politique canadienne

Les services publics canadiens pris d’assaut

À travers le Canada, on s’attaque aux services publics et aux emplois des travailleuses et travailleurs qui livrent ces services. Cet assaut provient de tous les niveaux de gouvernements et de tous les partis politiques, peu importe que les Conservateurs, les Libéraux ou le NPD soient au pouvoir. Les employeurs du secteur public – les services sociaux, les services de la santé, les bibliothèques et le milieu de l’éducation dans son ensemble – participent à cette attaque.

Tout cela n’a rien nouveau – nous l’observons depuis bien des années. Ce qu’il y a de nouveau, c’est l’amplification de son intensité. Je vais souligner quelques batailles récentes dans cette guerre contre les services publics.
Le gouvernement Harper a annoncé que, dorénavant, l’âge auquel nous pourrons retirer les prestations de la sécurité de la vieillesse passera de 65 à 67 ans. Cette mesure frappera donc les jeunes travailleuses et travailleurs et aussi les moins jeunes.

Un grand nombre des personnes plus âgés – surtout ceux et celles qui sont les moins bien rémunérés – seront obligés de travailler deux ans de plus parce qu’ils ne pourront pas se permettre de prendre leur retraite avant de pouvoir retirer leurs prestations. Puisque les femmes et les personnes racisées sont surreprésentés dans les catégories d’emplois à faible rémunération, ils seront encore plus durement touchés par cette initiative. Repousser l’âge de la retraite est donc sexiste et raciste.

Également, cette mesure fait mal aux jeunes travailleuses et travailleurs. Comme certains travailleurs et travailleuses plus âgés se verront dans l’obligation de repousser leur retraite, cela veut dire moins d’ouvertures d’emplois.

L’assurance-emploi est aussi victime d’une offensive. Bien que tous les salariés contribuent à financer l’assurance-emploi, seulement 40 % des chômeurs et chômeuses peuvent retirer des prestations. C’est déjà une situation lamentable. Mais beaucoup de chômeuses et chômeurs sont présentement obligés d’attendre plus longtemps avant de recevoir leur premier chèque. Pourquoi ? Parce que le gouvernement fédéral a coupé des postes à Services Canada. Il y a donc moins d’agents pour traiter les demandes.

L’assurance maladie est également attaquée – une attaque sournoise. Le gouvernement fédéral sait qu’il ne peut pas se déclarer ouvertement en faveur d’un système de santé privé de style américain, car trop de gens appuient le système de santé public. Plutôt que d’attaquer ouvertement le système de santé public, le gouvernement le mine indirectement. Les Conservateurs refusent de s’engager à long terme dans le financement de l’Accord des Soins de Santé de 2014 qui permettrait aux provinces de financer adéquatement leur système de santé public. Le gouvernement fédéral a plutôt signalé qu’ils n’empêcheraient pas les gouvernements provinciaux d’augmenter la participation du secteur privé dans le secteur de la santé. C’est clairement un feu vert aux provinces qui veulent accroître le rôle des entreprises motivées par le profit au sein du système de santé.
Lorsque le gouvernement n’assure pas un financement adéquat du système de santé, les gestionnaires des hôpitaux font des coupures. Ils sous-traitent aux entreprises privées des tâches essentielles comme le contrôle des maladies infectieuses. Les employés et employées de ces entreprises, souvent sous-rémunérés et surchargés, peuvent difficilement faire un aussi bon travail que les travailleurs et travailleuses du système de santé public. Quand le contrôle des maladies infectieuses est donné en sous-traitance, le nombre de patients et patientes qui meurent de maladies contractées à l’hôpital augmente, comme l’a rapporté un récent reportage de la CBC. C’est aussi simple que ça.

À travers le Canada, les gouvernements provinciaux s’attaquent au système d’éducation. Récemment, en Colombie-Britannique, les Libéraux ont adopté le projet de loi 22 qui s’attaque à la qualité de l’éducation. Cette loi élimine presque la notion du « nombre maximal » d’élèves ainsi que la limite du nombre d’enfants « à besoins particuliers » qu’on peut intégrer dans une classe.

Certaines municipalités participent aussi activement à la guerre contre les services publics. Cela vaut la peine de s’attarder au cas de la ville de Toronto parce que son maire a fait monter les hostilités à un autre niveau. Il a tenté de couper massivement dans les services municipaux. Heureusement, les membres de la communauté et les militantes et militants syndicaux se sont mobilisés pour contrer ces coupures et ils ont réussi à bloquer la plupart d’entre elles. Le nettoyage des rues et certains autres programmes ont été réduits et plus de mille travailleurs et travailleuses municipaux perdront leur emploi.

Évidemment, lorsqu’on coupe des emplois dans le secteur des services publics, les services publics en souffrent. On peut le voir avec les pertes d’emplois qui découlent du plus récent budget fédéral.
À titre d’exemple, près de 100 inspecteurs et inspectrices de l’Agence canadienne d’inspection des aliments ont été mis à pied alors qu’ils n’étaient déjà pas en nombre suffisant. Cette agence est responsable d’assurer que les aliments que nous consommons soient sécuritaires.
On peut voir que les attaques envers les services publics génèrent de graves conséquences et amènent une détérioration de la qualité de vie du « monde ordinaire », de la classe ouvrière.

Mais ce n’est pas tout. Avec la détérioration des services publics, de plus en plus de gens auront tendance à croire que les services publics sont sans importance, que le secteur privé est meilleur, plus efficace. De plus en plus de personnes vont adhérer à l’idée que nous devons cesser d’envoyer nos enfants à l’école publique, que nous devons arrêter de recourir au système de santé public pour nous soigner. Toujours plus de gens vont accepter l’idée que nous ne méritons pas les services publics. En d’autres mots, quand le gouvernement affaiblit les services publics, cela laisse croire à la population que nous devrions tous nous tourner vers les entreprises à but lucratif pour nos soins médicaux, pour notre éducation et pour voir à notre sécurité.
C’est exactement ce que les forces politiques de la droite, celles qui dirigent ces attaques, voudraient nous faire croire. Les politiciens de droite, les organisations patronales comme le Conseil canadien des chefs d’entreprise et les capitalistes servent tous les mêmes intérêts : ils veulent affaiblir les services publics et miner leurs appuis.

Pourquoi ? Pour trois raisons. Premièrement, ils veulent ouvrir le secteur public à l’entreprise privée. Ils veulent qu’un plus grand nombre d’entreprises puisse faire des profits en offrant des services qui étaient auparavant dispensés par le secteur public. Ils recherchent donc plus de privatisation et de sous-traitance.
Deuxièmement, par principe, ils n’aiment pas les services publics parce qu’ils sont convaincus que les individus devraient payer de leur poche tous les biens et services qu’ils consomment. Ils n’apprécient pas que n’importe qui puisse avoir accès à des soins de santé ou une éducation de qualité, peu importe son revenu.

Troisièmement, ils n‘aiment pas non plus que les travailleuses et travailleurs du secteur public soient majoritairement syndiqués. Ils savent très bien que les syndicats du secteur public constituent un obstacle à leur programme visant l’affaiblissement des services publics et l’accroissement des profits et du pouvoir des corporations, qui ont déjà trop de pouvoir dans notre société.

Il n’est donc pas surprenant de constater que les attaques envers les syndicats du secteur public au Canada sont en progression. Voici trois exemples pertinents :

En 2011, le gouvernement libéral de l’Ontario a retiré le droit de grève aux mécaniciens, chauffeurs et autres employés de la Société de transport de Toronto à la demande du « très à droite » maire Ford. Il s’agit là d’une attaque significative.

Toujours, l’année dernière, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes, d’abord mis en lock-out, a été frappé d’une loi forçant le retour au travail par le gouvernement fédéral. Cette législation a imposé un règlement salarial en deçà de la dernière offre de l’employeur ! Cette loi a été rédigée de manière à s’assurer que le médiateur favorisera un règlement à l’avantage de l’employeur sur plusieurs autres sujets à négocier.

En Colombie Britannique, la loi 22, que j’ai mentionnée plus tôt, n’attaque pas seulement la qualité de l’éducation. Elle constitue aussi une frappe directe envers le syndicat des enseignantes et enseignants de cette province. On y a suspendu le droit à la négociation collective. Cette loi empêche toute augmentation de salaire et toute augmentation dans le coût des avantages sociaux. Elle impose des concessions importantes vis-à-vis les droits d’ancienneté et certains reculs en regard d’autres droits syndicaux.

Au sujet de cette guerre contre les syndicats du secteur public au Canada, c’est aussi nécessaire de noter qu’il y a une campagne majeure de salissage à l’endroit des gens qui y travaillent. Les organisations patronales, les politiciens de droite et les médias travaillent fort pour dépeindre les travailleuses et travailleurs du secteur public comme des êtres paresseux, surpayés, avides de gains monétaires et bénéficiant de droits et d’avantages qu’ils ne méritent pas. Cette campagne de salissage sert, entre autres, à opposer les travailleurs et travailleuses du secteur privé à ceux du secteur public. L’objectif est de faciliter la tâche aux gouvernements et aux patrons qui veulent couper dans les services publics, dévaloriser et rendre plus difficiles les emplois de ce secteur et affaiblir les syndicats du secteur public qui forment une majorité dans le mouvement syndical.

En terminant, quelques mots au sujet de la résistance qui s’organise face à ces attaques envers les services publics. Il y a certainement de l’opposition devant ce qui se passe.

À Toronto, la campagne « Stoppons les coupures » a mobilisé un grand nombre de gens de plusieurs quartiers dans un mouvement populaire contre les coupures imposées aux services municipaux et aux emplois par le maire Ford. Ce mouvement demandait l’annulation des coupures et, au contraire, l’augmentation des services et des taxes aux entreprises en plus d’un contrôle plus strict du « stratosphérique budget du service de police ». Plusieurs autres organisations torontoises se sont aussi opposées aux coupures. Cette mobilisation énergique a eu de l’impact auprès du conseil municipal de Toronto : la majorité des propositions visant les coupures ont été abandonnées, du moins pour l’instant.

Après que l’Ontario eut retiré le droit de grève aux travailleurs et travailleuses de la Société de transport de Toronto, Gord Wilson, ex-président de la Fédération du travail d’Ontario, a écrit ces sages conseils.
« L’assaut mené envers les travailleurs et travailleuses par les entreprises et les puissants ne se terminera pas en une nuit. Et notre réponse non plus ! Nous devons nous préparer à un conflit long et difficile, et nous devons commencer dès maintenant. »

Malheureusement, à vrai dire, la résistance face cet assaut envers le secteur public a été beaucoup moins importante que ce qui aurait été nécessaire pour qu’on puisse le ralentir et encore moins l’arrêter. Trop souvent, les gens ont fait l’erreur de penser que les arguments logiques qui vantent les mérites des services publics seront à eux seuls suffisants pour stopper cet assaut. Les meilleurs arguments du monde ne convaincront ni les politiciens de droite ni les capitalistes qui bénéficient de l’affaiblissement des services publics.
Mais, la défense des services publics nécessitera davantage que quelques journées de manifestations. Pour repousser cet assaut, les syndicats et les organismes communautaires devront s’unir et organiser des campagnes de résistance militante.

L’extraordinaire détermination et la solidarité que nous avons observées chez les étudiantes et étudiants québécois dans leur lutte pour défendre l’accessibilité aux études universitaires et contre la loi 78 inspireront peut-être les gens du Canada lors des batailles à venir,je l’espère.

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