Édition du 16 avril 2024

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Mouvement des Gilets jaunes : à propos du RIC et de la représentation

La revendication du Référendum d’initiative citoyenne a fait irruption dans le débat politique, suscitant de nombreuses discussions. Beaucoup de responsables politiques s’y sont vite accrochés, l’utilisant comme un miroir aux alouettes pour détourner le mouvement de la lutte sociale vers un débat institutionnel. Une façon d’essayer de l’ensabler, de le mettre sur un terrain plus favorable aux experts et aux notables, terrifiés par la mobilisation populaire et les méthodes d’action directe des Gilets jaunes.

tiré de l’Hebdo anticapitaliste - journal du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA)

Exigences démocratiques

Du côté de ces derniers, le RIC vise profondément à contester le pouvoir de ceux d’en haut qui, non contents de confisquer les richesses, confisquent aussi la parole politique. Cela s’est accompagné de toute une série d’exigences démocratiques apparues dans le mouvement, comme la suppression du Sénat, la proportionnelle intégrale, le fait de payer les députés au salaire médian…

C’est donc d’abord un mouvement pour l’exigence de plus de droits démocratiques pour les classes populaires rendues muettes par la représentation. C’est le rejet d’un système où on demande à des électeurEs muets, tous les 5 ou 6 ans, d’élire des représentantEs sans aucun contrôle sur leur action et leurs décisions. Le RIC représente la recherche d’outils capables de remédier à cette confiscation. Cela n’a rien de révolutionnaire, mais cela n’est en rien réactionnaire en soi. La France insoumise l’avait dans son programme en 2017 tout autant que le FN ou DLF.

C’est l’idée d’obtenir un droit nouveau, de faire respecter à un moment donné une exigence populaire, tout comme des référendums locaux, des référendums de destitution des éluEs. Cela va dans le même sens que la proportionnelle intégrale, le non-cumul des mandats, le fait de payer les éluEs au salaire médian, toutes choses qui étaient présentes dans la campagne du NPA en 2017.

Une représentation politique plus fidèle à la réalité sociale ne remet pas en cause l’exploitation capitaliste et la nature de classe de l’État, structuré pour maintenir cette exploitation. Mais le combat du mouvement ouvrier a toujours été à juste titre de se battre pour une série d’exigences, pour imposer des droits démocratiques pour les exploitéEs et les oppriméEs.

Pour certains, le RIC serait une revendication populiste et même la porte ouverte à la dictature, à des choix forcément réactionnaires. Cela fait écho à la campagne peignant le mouvement des Gilets jaunes comme des séditieux d’extrême droite. Derrière cela, il y a la peur de la mobilisation populaire et même de l’expression populaire directe.

C’est souvent au nom de la défense des « valeurs de la République » que des droits démocratiques sont combattus : ce fut pendant des dizaines d’années l’argument avancé contre le droit de vote des femmes « soumises aux idées cléricales » ou celui des immigréEs qui « remettent en cause la représentation nationale », contre la proportionnelle intégrale pour « ne pas favoriser le FN », etc.

C’est aussi le vieux fantasme du peuple frustre, manipulable et violent lorsqu’il brise son aliénation et s’en prend aux institutions où il est représenté par des gens « éduqués et intelligents ». La démocratie est une chose trop sérieuse pour être mise dans les mains du peuple ! C’est la peur des mouvements et des insurrections populaires qui cherchent à abattre un système d’exploitation et d’oppression.

Corriger un système antidémocratique ?

On peut par contre s’interroger sur l’efficacité du RIC lorsqu’il est présenté comme la panacée, l’outil permettant de changer les choses. Présenté comme la correction d’un système antidémocratique, il lui sert alors de béquille sans le remettre en cause. Sur ce point, Jean-Luc Mélenchon n’est pas le dernier à respecter profondément les mécanismes des institutions bourgeoises.

À côté de la France, pays ultra­réactionnaire sur le plan institutionnel, avec un système présidentiel monarchique, n’appliquant même pas la proportionnelle, existent dans une majorité de pays européens des systèmes de référendums à l’initiative d’un certain nombre de signataires. L’Italie prévoit cette possibilité sur toutes les questions constitutionnelles et Mattéo Renzi a été démis pour cela en décembre 2016. L’Irlande a une assemblée citoyenne tirée au sort qui a ces dernières années impulsé le droit au mariage pour tous et celui à l’avortement. Au Portugal, au Luxembourg, aux Pays-Bas, entre autres, peut être lancé un référendum.

Le « meilleur » exemple des limites de l’efficacité des référendums est bien sûr celui du Traité constitutionnel européen (TCE), rejeté majoritairement en 2005 et réintroduit par la fenêtre du Traité de Lisbonne. Dans un autre registre, on peut penser au référendum sur NDDL dont le cadre et l’interprétation restaient totalement aux mains des institutions existantes. Cela pose évidemment la question de qui détient le pouvoir au-delà d’une consultation éphémère.

S’organiser démocratiquement pour agir

Cela démontre surtout l’exigence d’aller plus loin sur la question des droits démocratiques et aussi d’exiger la mise à bas de la Constitution gaulliste issue du coup d’État de 1958. Sans régler les questions sociales, tout cela vise à l’obtention de droits démocratiques.

Sinon le RIC, en tant que tel, comme il existe en Suisse, n’empêche pas le maintien du pouvoir institutionnel. Tout au plus peut-il donner plus de visibilité à des exigences populaires et des moyens de campagne aux mouvements qui veulent les mettre en avant. Cela peut donc être un outil, parmi d’autres, mais en aucun cas la panacée.

Le débat sur le RIC peut être l’occasion de mettre en avant la nécessité, en dehors des structures institutionnelles du système, de s’organiser démocratiquement pour agir, débattre, faire entendre les exigences populaires et se mobiliser, de contrôler et de remettre en cause les institutions et le pouvoir capitaliste en créant un réel rapport de forces.

Cela va dans le même sens que la mise sur pied d’assemblées populaires, à l’échelle locale, prenant en charge ces tâches, sans déléguer à une représentation permanente.

C’est aussi dans ce sens qu’il faut répondre à la mascarade de consultation lancée par le gouvernement : donner vie aux assemblées populaires locales autour des Gilets jaunes, permettant que leur parole ne soit pas confisquée par des représentants auto-proclamés et permettant aussi de présenter les réels « cahiers de doléances », pas ceux remplis gentiment dans des cahiers de mairie ou dans une concertation bidon, mais ceux portés par des structures de mobilisation. Les deux appels des Gilets jaunes de Commercy décrivent le chemin à suivre et méritent d’être largement popularisés.

Léon Crémieux

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