Édition du 13 mai 2025

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Europe

Entretien avec Li Andersson

Europe : Déception des gouvernements de droite et montée de la gauche radicale nordique

Li Andersson, l’une des personnalités politiques les plus populaires de Finlande, a dirigé son parti de 2016 à 2024, s’est présentée comme candidate à la présidence et a occupé le poste de ministre de l’Éducation de 2019 à 2023. Elle préside maintenant la commission du Parlement européen chargée des droits sociaux et du travail.

7 mai 2025 | tiré d’Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74889

Andersson a été la voix de la solidarité avec l’Ukraine parmi les forces socialistes démocratiques européennes, plaidant pour un soutien global et une annulation de la dette pour le pays, ainsi que pour des sanctions plus sévères contre la Russie en tant qu’État agresseur, y compris des mesures ciblant la « flotte fantôme » de la Russie.

Denys Pilash : Au sein du groupe de gauche du Parlement européen, ce sont les partis écosocialistes nordiques qui prennent la position la plus claire en faveur de l’Ukraine. Et ce sont eux qui se sont le plus renforcés lors des dernières élections européennes. En particulier, votre Alliance de gauche a triplé son score pour atteindre 17,3 %, et vous avez personnellement établi un record national du nombre de voix obtenues en tant que députée européenne. Comment expliquez-vous ça ? Quel est votre secret ?

Li Andersson  : Je pense qu’il est important de souligner que la gauche française et la gauche portugaise ont aussi voté en faveur de l’Ukraine, même sur la question des armes, donc ça ne concerne pas seulement les partis de gauche nordiques. On en parle moins dans les pays nordiques et on a aussi voté pour que des armes à longue portée ou des missiles puissent être utilisés par l’Ukraine sur le territoire russe. Ça a clairement divisé le reste de la gauche.

Si tu regardes les pays nordiques, ce ne sont pas des superpuissances. Les gens essaient de faire de la géopolitique uniquement en termes d’équilibre entre superpuissances, donc tout tourne autour des États-Unis et de la Russie. On ne peut pas vraiment intégrer d’autres pays dans ce genre de contexte ou de façon d’analyser le monde, on ne donne pas vraiment d’importance à ce que veulent les Ukrainiens ou les citoyens baltes et les États baltes. Venant de petits pays nordiques, on a la même analyse que la gauche ukrainienne sur ce qu’est l’impérialisme russe et sur l’importance de soutenir ceux qui doivent le combattre de les pires conditions qui soient. On travaille aussi beaucoup ensemble, et cette coopération est bénéfique. Dès le début de l’invasion, alors que de nombreux partis discutaient de la position à adopter sur ces questions, notre position a été soutenue par la coopération étroite qu’on a établie.

Certains militants de gauche sont coincés dans une sorte de dogmatisme issu de leur propre tradition. On entend beaucoup ce genre de discours pacifiste au sein de la gauche européenne, que les gens répètent simplement parce qu’ils ont l’impression que ce discours a toujours existé, qu’il fait partie de leur identité de parler et de penser d’une certaine manière. Et le danger, dans le cas de l’Ukraine, c’est que ça mène à une conclusion politique qui ne tient pas compte de la réalité de l’Ukraine et de la lutte contre l’impérialisme russe. Je sais que je simplifie à l’extrême, mais on voit sans cesse ce genre de logique : « les armes, c’est mal, donc on s’y oppose », ou « on ne veut pas d’une guerre plus grande, donc on s’oppose aux armes pour qu’il n’y ait pas d’escalade ». Les partis rouges-verts nordiques ont fait un gros boulot pour se moderniser, dépasser ce dogmatisme, et maintenant on a une analyse rouge-verte moderne du monde et des sociétés. C’est plus facile pour nous de ne pas rester coincés dans une certaine tradition dogmatique, au moins dans ce cas-là.

Il y a deux raisons pour lesquelles on a de bons résultats aux élections : l’une est liée au boulot qu’on a fait, et l’autre est liée à la mauvaise qualité du boulot de l’extrême droite. La gauche dans les pays nordiques a beaucoup profité d’une ligne très logique et cohérente en matière de droit international et de droits humains. Tous ces partis se sont donc exprimés très clairement sur les violations du droit international par Israël, ont clairement soutenu le peuple palestinien et ils se sont aussi clairement prononcés contre les violations du droit international par la Russie, tout en affirmant clairement leur solidarité avec l’Ukraine. Et c’est logique. C’est un raisonnement tout à fait logique si on se dit en faveur du droit international et des droits de l’homme, et je pense que c’est le cas des électeurs. De plus, ils ont approuvé notre analyse et notre position sur ce sujet. Et on voit bien que la droite dans les pays nordiques est, bien sûr, très anti-russe et condamne les violations du droit international par la Russie. Mais quand il s’agit d’Israël, elle ne fait pas de même. Son raisonnement n’est pas logique. Et puis, on voit certaines parties de la gauche qui sont très claires sur Israël, mais pas très claires sur la Russie ou l’Ukraine. La gauche nordique a fait du bon boulot là-dessus.

Et bien sûr, dans les élections européennes, on parle aussi beaucoup du changement climatique, des droits des travailleurs, d’un programme qui combine les thèmes traditionnels de la gauche en matière de marché du travail, de droits sociaux et de services sociaux, avec une ligne ambitieuse en matière de politique climatique et environnementale.

Les résultats des élections européennes en Europe du Nord ont-ils aussi été influencés par la déception des électeurs face aux gouvernements de droite qui ont mené des politiques antisociales ?

Oui, l’autre raison était, comme je l’ai dit, qu’au moment des élections, la Finlande et l’Italie étaient les seuls pays de l’UE où l’extrême droite était au pouvoir. En Suède, elle n’est pas au gouvernement, mais elle soutient le parti au pouvoir. Elle est donc presque au gouvernement car elle dispose même de bureaux dans les bâtiments gouvernementaux. Elle vote les budgets, mais elle n’a pas obtenu de postes ministériels. En Finlande et en Suède, les gens ont vu quel genre de politique ces partis mènent lorsqu’ils sont au pouvoir. Donc, d’une manière triste, on est en quelque sorte en avance sur l’évolution de l’Europe. Parce qu’en France, en Allemagne, en Autriche, en Espagne, même au Portugal, etc., on voit les partis d’extrême droite se développer partout, mais, nous, on a déjà vu ça, et maintenant on voit ce qu’ils font réellement lorsqu’ils arrivent au pouvoir.

Dans le contexte finlandais, ça a donné les pires politiques d’austérité que ce pays ait connues dans son histoire moderne. J’ai été chef de parti pendant huit ans, j’ai donc mené de nombreuses campagnes électorales, et je n’ai jamais vu autant de gens en larmes que pendant la campagne pour les élections européennes, parce qu’ils étaient très inquiets pour l’avenir de notre pays, et certains s’inquiétaient simplement de savoir comment ils allaient joindre les deux bouts, car les aides sociales ont été sévèrement réduites, en particulier pour les travailleurs à faibles revenus, les familles pauvres et les chômeurs. En plus de ça, ils ont aussi fait passer des réformes du marché du travail. Je les qualifie de « thatchériennes ». Je pense que le thatchérisme décrit très bien l’extrême droite en Finlande. Ils ont donc restreint le droit de grève. Ils vont faciliter le licenciement des travailleurs. Ils poussent à des réformes qui vont réduire la couverture des conventions collectives. Ils poussent aussi pour des réformes qui plafonneront les augmentations salariales des travailleurs du secteur public. À long terme, ce genre de mesures entraînera une transformation structurelle du marché du travail finlandais, qui nuira vraiment à la capacité des syndicats à défendre les travailleurs, mais aussi à la croissance réelle des salaires.

En Suède aussi, le système de santé est en crise. Le gouvernement est plus intéressé par les allégements fiscaux pour les riches que par l’octroi de ressources suffisantes à un système de santé en crise. On voit beaucoup de choses similaires, à l’exception des politiques du marché du travail, car les syndicats et les employeurs gardent ça pour eux ; mais on observe beaucoup d’attaques similaires contre le secteur public, combinées bien sûr à des restrictions en matière d’immigration, à des attaques contre les services publics et à plein d’autres choses. En Finlande, ils ont adopté une loi sur l’asile qui est contraire au droit international et au droit européen.

Notre message principal lors des élections européennes était d’empêcher que le même type de glissement vers l’extrême droite ne se produise au niveau européen, parce qu’on a déjà vu ce que ça veut dire en Finlande. L’Europe ne l’a pas vu. Ce message a été très bien reçu. Malheureusement, même si les pays nordiques ont obtenu de bons résultats, le reste de la gauche européenne n’a pas été aussi performant.

On assiste donc maintenant à un glissement du pouvoir vers l’extrême droite. Au début, il semblait qu’elle n’aurait pas d’influence sur la politique, au Parlement européen. Mais ces deux derniers mois, on a vu que ce n’était pas le cas. Le PPE, qui représente la droite traditionnelle, est prêt à former des majorités avec l’extrême droite et la droite radicale. Quand ça leur convient, ils sont prêts à utiliser cette majorité pour faire passer des lois au niveau national. À gauche, on n’était pas surpris que la droite fasse ça. Mais je pense que les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux sont choqués. Et maintenant, la grande question au niveau européen est de savoir si ces groupes seront prêts à élaborer une stratégie pour contrer cette montée de la droite et lui couper l’herbe sous le pied. Sont-ils prêts à travailler avec les groupes politiques européens pro-démocratiques qui soutiennent l’Ukraine, ou sont-ils en fait prêts à gouverner avec le soutien de Meloni et Le Pen ?

Oui, en gros, ces gouvernements de droite ont mis en place les mêmes politiques sociales que notre bloc économique au sein de notre propre gouvernement. Tu présides maintenant la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen. Que peux-tu dire sur les moyens d’améliorer la situation des droits du travail dans l’UE et en Ukraine ?

Je sais qu’il y a une grande différence dans les pays nordiques. Si on regarde le Danemark et la Suède, le modèle traditionnel nordique du marché du travail fonctionne toujours, ce qui veut dire que le gouvernement n’intervient pas vraiment, mais laisse les acteurs du marché du travail décider eux-mêmes, négocier, etc. En Finlande, ce système est déjà cassé. Dans la plupart des pays européens, on n’a pas ce modèle nordique du marché du travail, donc c’est plus dirigé par le gouvernement. Les syndicats finlandais disaient que l’UE était la meilleure amie des travailleurs parce que, jusqu’à présent, de leur point de vue, la législation qui venait de l’UE était meilleure que celle des gouvernements nationaux, les gouvernements de droite. Ils ne diraient pas ça en Suède ou au Danemark, parce qu’ils ont encore le pouvoir là-bas.

Mais je pense que tous les autres pays devraient y réfléchir, car cela signifie pour moi qu’il y a encore de la place dans la politique européenne pour des politiques progressistes en matière de droits des travailleurs. Je venais de cette terrible situation de gouvernement de droite en Finlande. Quand j’ai étudié au Parlement européen, au sein de la commission, j’ai été très agréablement surpris de voir à quel point la commission écrivait de manière positive sur les négociations collectives. Même les groupes de droite au sein de la commission y sont plutôt favorables. Je pense donc qu’en tant que gauche, on devrait faire pression au niveau européen pour obtenir une politique du marché du travail aussi progressiste que possible. Je pense que c’est un domaine où l’extrême droite aurait du mal à s’imposer.

Et on devrait aussi bosser avec les syndicats et les mouvements sociaux ukrainiens. Parce que pour moi, je sais pas ce que tu en penses, mais pour moi, tout ce débat et cette perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’UE sont quelque chose qu’on devrait utiliser pour pousser à l’amélioration de la législation sur le marché du travail, en utilisant cet argument de l’UE selon lequel pour que l’adhésion de l’Ukraine à l’UE devienne une réalité, il faut adopter une législation du travail qui garantisse une couverture aussi large que possible des négociations collectives. L’UE fait aussi beaucoup pour la santé et la sécurité des travailleurs, les substances dangereuses, la réglementation des quantités, etc. Je pense donc qu’il pourrait y avoir beaucoup de coopération sur ce thème entre la gauche au Parlement européen et les mouvements sociaux et syndicaux ukrainiens.

Li Andersson

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P.-S.
Réseau Bastille

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Entretien avec Li Andersson par Denys Pilash

Traduction Deepl revue ML

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