Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Opinion

Nos jeunes réactionnaires

Il est de plus en plus clair que les idées progressistes prônées par les mouvements sociaux au Québec trouvent de moins en moins d’appui auprès des jeunes étudiants. Plus que jamais, il m’arrive de faire face au mépris profond de ces derniers envers les enjeux sociaux et envers ceux qui font progresser ces luttes. « Je m’en fous, j’ai de l’argent, ça ne me concerne pas ! », ces quelques mots sont devenus le moto par excellence de certains étudiants. Il faut bien se rendre à l’évidence, la relève qui s’instruit sur nos bancs d’école est loin de partager les idées progressistes de plusieurs d’entre nous qui cherchons à faire changer les choses.

Les jeunes semblent avoir gobé comme une masse spongieuse l’impératif de rectitude de pensée dicté par les néo-libéraux. La contestation, ce n’est plus « in » comme on aurait pu le dire dans les années 60. Ce qui marche aujourd’hui, c’est la vision soi-disant responsable du jeune futur diplômé prêt à entrer dans le calcul du capital humain. Ainsi, les étudiants en 2009 sortent de l’école avec en tête l’idée de rejoindre les modèles de réussite proposés par nos élites néo-libérales. Parler de démocratie participative, d’économie verte ou encore même de solidarité internationale semble totalement inutile pour eux. « Que de belles idées qui n’ont rien de réel » vous diront les jeunes réactionnaires. Car, si leur opinion n’est basée sur aucune étude ni aucun document sérieux, comme ceux qu’ils chérissent tant dans le cadre de leurs cours pour donner une légitimité à leurs recherches, leur certitude concernant l’impossibilité de rendre concrète les idées progressistes de gauche est totale.

On peut analyser cette prédominance des jeunes étudiants au réactionnarisme sous plusieurs plans. Une première hypothèse serait tout simplement que la fonction et mission de socialisation qui incombe à notre école ne se fasse que dans l’intérêt du maintien de la ligne de pensée actuelle. Le modèle éducatif québécois à toujours axé sa manière d’enseigner de sorte à favoriser l’intégration de compétences de manière aveugle bien plus que d’encourager la naissance de l’esprit critique, et ce, particulièrement dans les matières liées aux sciences humaines. On peut, par exemple, constater cette tendance dans la façon dont l’histoire est enseignée. L’enseignement de l’histoire au Québec se fait principalement en partant d’une perspective nationale (centrée sur le Québec et le Canada) avec tous les biais que cela peut inclure et en refusant une grande possibilité de remise en question des soi-disant « vérités historiques ».

En économie, même chose. Jusqu’à la présente réforme de l’éducation, la mission de notre école en la matière était définie comme suit : « Faire de l’éducation économique, c’est permettre à l’élève non seulement d’acquérir des connaissances et des habiletés intellectuelles et techniques, mais aussi d’adopter des attitudes et tout un ensemble de valeurs. » On voit ici aussi l’intention claire d’instruire l’élève à se conformer aux valeurs de nature typiquement bourgeoises qui sont véhiculées dans les textes des théoriciens de l’économie classique. Bien loin s’encourager un esprit critique, le cours a comme mission de faire l’éloge du système capitaliste en apprenant aux étudiants comment exploiter ses bons côtés, sans leur parler des contradictions intrinsèques et des conséquences néfastes d’une telle structure économique et sociale. Ainsi, l’école en tant que lieu principal de socialisation des jeunes adolescents pose vite les bases d’une pensée réactionnaire... à savoir, un manque total d’esprit critique.

Mais les étudiants aux propos réactionnaires sont loin d’êtres tous des êtres irréfléchis. De plus, blâmer uniquement les programmes ministériels pour la propension qu’ont les jeunes à s’opposer aux mouvements de gauche au Québec semble quelque peu farfelu. Avant toute chose, l’attitude réactionnaire des jeunes découle des idées de droite qui ont des penseurs bien réels et très actifs. On parle ici de supposés réalistes qui, même si ils ne veulent pas l’avouer en public, basent leur argumentaire sur d’idées prônant l’inégalitarisme. Le réalisme des penseurs capitalistes modernes est tout simplement un moyen de faire valoir la pensée selon laquelle les inégalités naturelles entre les hommes justifient une hiérarchie sociale et les rapports de domination. Ces idées ont souvent une emprise bien plus grande qu’on peut le croire sur les jeunes. Ceux qui sont issus de classes privilégiées de la société et dont la situation socioéconomique est avantageuse auront la fâcheuse tendance à défendre ces idées réactionnaires du mieux qu’ils le peuvent. Dans bien des cas, ce n’est pas tant la justesse des propos entendus par les jeunes adhérant aux idées de la droite qui fait en sorte qu’ils appuient et propagent ces idées, mais bien le fait que la ligne idéologique réactionnaire de la droite politique est la seule qui leur assure de conserver leur place privilégiée dans les rapports de domination. Ils s’inscrivent, consciemment ou non, dans un phénomène de lutte de classes et d’intérêts perpétuels en œuvrant à leur manière, activement ou non, à détruire les mouvements progressistes et engagés.

Il faut aussi savoir que les étudiants n’ont généralement que mépris pour les structures qui existent autour d’eux pour les représenter. Les propos du milieu politique visant à salir les associations étudiantes ainsi que les troubles internes qui ont souvent existé au sein des syndicats étudiants ont été des facteurs très nocifs à l’élaboration d’un attachement des étudiants à la lutte sociale. Cette distanciation des associations étudiantes et l’incapacité de ces structures de démocratie directe à rejoindre la population étudiante encouragent un cynisme profonds face à la lutte étudiante et, par extension, face aux revendications sociales qui sont au centre de cette lutte. Ainsi, une infime minorité d’individus engagés activement se retrouveront dans une situation où il sera possible pour eux de débattre de leurs idées et de participer activement à une implication politique et sociale.

La nature même de la perception qu’ont les jeunes de l’éducation post-secondaire engendre aussi une propension grandissante à refuser toute remise en question de l’ordre économique et social établis. Nous avons malheureusement commencé durant les dernières années à considérer de plus en plus l’éducation post-secondaire comme un bien monnayable. Les cégeps et universités ne sont plus des lieux de recherche de savoir, mais bien des machines à produire des diplômés. Cette marchandisation de l’éducation supérieure ayant comme objectif la promotion de l’étudiant comme client et produit, affecte grandement la perception qu’ont les étudiants d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent. L’étudiant ne se perçoit plus comme travailleur intellectuel, il devient un objet dans un processus de production. L’école n’est plus pour lui un endroit de connaissance, de débats d’idées et de progrès mais bien un lieu de stagnation... un mal nécessaire pour l’obtention de son diplôme. Ainsi, l’étudiant n’est plus membre de la société civile, il délaisse son droit d’acteur social pour devenir le produit d’un système. Le statut d’étudiant deviendra donc du même coup indice de réactionnarisme. L’étudiant ne désirera plus que ce qu’on lui propose, à savoir, s’insérer dans le moule socialement préétablis du jeune diplômé qualifié à être non pas citoyen et travailleur mais bien capital humain.

En bout de ligne, le jeune réactionnaire est façonné de manière bien complexe. Dénudé de son sens critique par l’enseignement qu’il a reçu durant son adolescence, il progresse dans ses études en se refusant une remise en question des réalités actuelles. Influencé fortement par les idéologues de droite et le dictat du faux réalisme, il devient profondément aliéné dans les buts qu’il recherche et prendra la défense par lui-même d’un système qui perpétue et encourage les rapports de domination. Rebuté d’avance par les structures associatives qui pourraient le sensibiliser à l’importance des luttes sociales, il préfère les mépriser (parfois avec raison) et développe du même coup de nombreux préjugés face aux acteurs sociaux du milieu intellectuel, communautaire et syndical. Finalement, s’inscrivant dans une mouvance de marchandisation du savoir et de clientélisation de l’éducation, le jeune réactionnaire en vient à considérer son passage à l’école comme simple formalité menant à l’obtention de son diplôme, coupant court à l’échange d’idées et de réflexion. Il en viendra donc à désirer avec un simplicité alarmante un système qui reproduira ce schéma et le délestera de ses devoirs de citoyen, histoire de lui faciliter la vie.

Au Québec, que peut donc faire une gauche affaiblie face à un tel problème ? Peu de choses malheureusement. Le principal point de socialisation des jeunes étant l’école, le rôle des professeurs dans la formation d’un esprit critique et engagé reste prépondérant. Ils sont les premiers à être capable d’inculquer les notions nécessaires à la construction d’une critique de la société et d’une recherche d’alternatives politiques. Vient ensuite l’impact possible des médias alternatifs comme Presse-toi à Gauche. Allant à contre-courant des grandes corporations médiatiques, les médias alternatifs et leur popularisation occupent un rôle prépondérant dans la capacité des idées de gauches à rejoindre les jeunes. Sans une capacité d’obtenir une plus grande population de lecteurs, les articles engagés profondément opposés à la rectitude actuelle des idées n’auront que peu ou pas d’impact sur un possible renversement du climat réactionnaire actuel. En conclusion, vaincre la mouvance réactionnaire dépend aussi de la capacité des étudiants engagés à encourager le débat d’idées dans leurs cercles sociaux respectifs. Les jeunes conscientisés doivent continuer de promouvoir leur point de vue par-delà les critiques auxquelles ils doivent souvent faire face. Sans cette volonté d’un retour du partage de la connaissance, le rôle qui incombe à la jeunesse, celui de se révolter, sera bien vite oublié et s’effacera lentement dans les années à venir.

Mots-clés : Opinion
Julien Royal

Julien Royal est présentement étudiant au collégial en sciences humaines et s’implique activement dans le mouvement étudiant. Il a milité pour Québec solidaire durant la dernière campagne électorale

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