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Planète

Pertes et préjudices : des dommages climatiques aux quatre coins du monde

Inondations, ouragans, feux de forêts, sécheresses… Les catastrophes climatiques deviennent plus fréquentes et plus intenses. Les pertes et préjudices subis par les victimes du climat aux quatre coins du monde sont un enjeu politique majeur à la veille de la COP27.

10 octobre 2022 | tiré de mediapart.fr

Partout sur la planète, on observe actuellement des catastrophes climatiques pour lesquelles il n’est pas possible de mettre en place des stratégies d’adaptation, soit pour des raisons techniques, soit pour des raisons budgétaires. L’adaptation au dérèglement climatique montre ses limites. Ainsi, au Népal, la fonte des glaciers de l’Himalaya provoque des inondations catastrophiques, pouvant balayer des villages entiers1. Par ailleurs, dans les villes, des moussons de plus en plus puissantes inondent les maisons et les commerces. Toutes ces conséquences perturbent les vies, exacerbent les inégalités et contribuent à l’instabilité sociale. Le Népal est à la pointe en termes d’élaboration et de mise en œuvre de plans d’adaptation, mais cela reste insuffisant face à la violence et la fréquence des changements climatiques.

Autre exemple, la lente désertification à l’œuvre dans le Sahel, en particulier dans la région du Fouta, au Sénéga2. Dans cette région extrêmement aride du pays, de nombreuses familles vivent de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, tirant leurs ressources du fleuve Sénégal. La combinaison de sécheresses prolongées et du phénomène de désertification à l’œuvre depuis des décennies rend cette région de moins en moins habitable alors qu’elle était auparavant fertile. Du côté de l’élevage, les troupeaux sont affaiblis et malnutris, ils peinent par exemple à donner du lait de qualité à leurs propriétaires, ce qui les oblige à devoir en acheter en supplément. Du côté de l’agriculture, des céréales traditionnelles disparaissent (telles que mil, le sorgho ou le niébé) et sont remplacées progressivement par des rizières. Cependant, ces nouvelles cultures sont énergivores et très coûteuses, obligeant les agriculteurs à s’endetter pour pouvoir cultiver et se nourrir.

Ces catastrophes climatiques, qu’il n’est plus possible d’éviter, provoquent ce qu’on appelle des « pertes et préjudices » (« Loss and Damage » en anglais). Les pertes et préjudices désignent donc les conséquences climatiques auxquelles il n’est plus possible de s’adapter. Le GIEC, dans son dernier rapport publié fin février 2022, parle aussi de "limites de l’adaptation"1. Ce même rapport explique ainsi que de pour de nombreuses personnes et écosystèmes, les limites de l’adaptation ont été atteintes et que déjà une série de conséquences du réchauffement sont irréversibles. Selon les scientifiques, entre 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des contextes hautement vulnérables aux catastrophes climatiques. En outre, il est important d’avoir conscience du fait que même si nous parvenons à maintenir le réchauffement planétaire sous la barre de 1,5°C, certaines catastrophes ne pourront plus être évitées. Pire  : elles iront en croissant à mesure du retard accumulé dans l’atteinte de nos objectifs climatiques et de l’adoption de politiques ambitieuses. Les pertes et préjudices font donc désormais partie intégrante de la réalité climatique. Pourtant, il n’existe pas à ce stade de définition officielle de ce que recouvre ce concept et cela mène à de nombreuses difficultés, notamment en termes d’assistance concrète et de financements.

Des pertes multiples, variées et croissantes

On le voit clairement dans les exemples susmentionnés, les pertes et préjudices recouvrent une multitude de situations, propres à des contextes bien spécifiques et intimement liés à d’autres problématiques. On peut distinguer les pertes et préjudices en deux catégories : économiques (pouvant être compris comme la perte de ressources, de biens et de services qui sont généralement commercialisés) et non-économiques (ce qui n’est pas commercialisé, comme les pertes de biodiversité et de systèmes écosystémiques, de patrimoine culturel, les atteintes à la santé mentale, les connaissances autochtones et locales, etc.). Ces derniers sont bien sûr beaucoup plus difficiles à évaluer et à chiffrer4. On parle aussi de pertes « tangibles » ou « intangibles ». On distingue aussi les pertes et préjudices issus de catastrophes violentes et spontanées (telles qu’un ouragan ou une de graves inondations) des événements climatiques plus lents et pernicieux (tels que l’élévation du niveau des mers ou la désertification).

Ces différents effets sont bien sûr visibles partout sur la planète, au Nord comme au Sud. Cependant, les pays riches sont sensiblement plus résilients face aux aléas climatiques grâce aux différents mécanismes d’assurance et de protection étatiques qui existent (tels que la sécurité sociale ou les fonds des calamités par exemple). Ces systèmes sont beaucoup moins fréquents voire quasiment inexistants dans les pays à faibles revenus, qui sont par ailleurs très exposés à ces événements extrêmes. Cette réalité découle d’une injustice profonde  : ce sont les pays qui sont le moins responsables de la crise climatique qui en subissent le plus fort les conséquences. Elle appelle à des solutions solidaires et équitables.

Une reconnaissance du problème…

Au niveau des négociations climatiques, cette problématique est portée depuis de longues années par les pays en développement, petits Etats insulaires en tête. Cependant, elle a longtemps été considérée comme «  annexe  » aux discussions. En effet, il a fallu attendre la COP13 de 2007, à Bali, pour reconnaître pour la première fois le concept de pertes et préjudices dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Il a ensuite été formellement reconnu comme l’un des trois piliers de l’Accord de Paris, aux côtés de l’adaptation et l’atténuation4.

Les instruments principaux concernant les pertes et préjudices dans l’enceinte de la CCNUCC sont le Mécanisme international de Varsovie (établi lors de la COP19 en 2013). Ce dernier comprend également un groupe de travail spécifique sur les déplacés climatiques5. L’autre outil clé est le Réseau de Santiago pour les pertes et dommages (adopté lors de la COP25 à Madrid), qui est en cours d’opérationnalisation et vise à devenir le bras technique et opérationnel du mécanisme de Varsovie.

… mais aucune assistance financière pour les victimes climatiques

Si une série d’instruments ont été mis en place au fur et à mesure des différentes COP, aucun mécanisme de financement spécifique pour les pertes et préjudices n’a été à ce jour reconnu. Ce constat a été largement dénoncé lors de la COP26, qui s’est déroulée à Glasgow en novembre 2021. A cette occasion, l’ensemble des pays en développement (G77 et la Chine) se sont mis d’accord pour demander un mécanisme de financement additionnel et spécifique pour les pertes et préjudices6. Cette demande a été refusée, la décision finale actant à la place la mise en œuvre d’un dialogue de deux ans, appelé le Dialogue de Glasgow (ou «  Glasgow Dialogue  » en anglais). Celui-ci a démarré en juin 2022 lors de l’intersession de Bonn (SB56). Ce compromis est toutefois loin de satisfaire les attentes des pays en développement, qui voient dans cette option de dialogue une énième tentative de la part des pays développés de postposer la discussion cruciale du financement des pertes et préjudices, et donc en filigrane de celle-ci, de traiter de la question plus sensible des responsabilités et de la compensation pour les dommages encourus et à venir.

La demande d’un mécanisme de financement reste toutefois une priorité pour les pays en développement et sera sans aucune doute à nouveau au cœur des discussions lors de la COP27. Le réseau international Climate Action Network a publié un rapport technique dans lequel sont détaillés les principes, modalités et mandat du futur mécanisme de financement pour les pertes et préjudices7.

Un enjeu qui vit aussi en dehors des COP

Parallèlement aux demandes d’établissement d’un mécanisme d’assistance spécifique pour les pertes et préjudices, on constate également des initiatives spontanées de différents acteurs. Ainsi, lors de la COP26, l’Ecosse et la Wallonie ont respectivement mis 2 millions de livres et 1 million d’euros sur la table pour les pertes et préjudices, aux côtés de plusieurs organisations philanthropiques. Ces annonces ont été suivies en septembre 2022 par le Danemark, qui devient ainsi le premier pays au monde à s’engager financièrement sur le dossier8.

La question brûlante de l’assistance pour les victimes climatiques a par ailleurs été reprise dans d’autres forums internationaux, comme le G7 ou l’Assemblée générale de Nations Unies de septembre 2022. Le Pakistan, qui vient de vivre des inondations sans précédent, mettant un tiers du pays sous eau, s’est particulièrement fait entendre sur l’urgence de l’établissement d’un mécanisme financier spécifique9. Sherry Rehman, la ministre pakistanaise en charge des politiques climatiques, a ainsi interrogé : « Pourquoi devrions-nous, au Pakistan, payer pour des inondations catastrophiques que nous n’avons pas contribué à provoquer ?10 ». Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a quant à lui insisté pour l’adoption urgente d’une taxe sur les surprofits des entreprises pétrolières et gazières afin de dégager des nouvelles ressources financières pour aider les victimes des catastrophes climatiques11.

La justice climatique comme pilier de la diplomatie internationale

Il est désormais certain que le dossier des pertes et préjudices restera en haut de l’agenda politique international et ce, tant qu’une solution équitable n’aura pas été proposée, incluant le volet financier. Autour de cet enjeu se cristallisent les fondements de la diplomatie climatique internationale, à savoir comment assurer que la lutte contre le réchauffement planétaire soit non seulement ambitieuse mais aussi juste  ? Comment assurer que les principaux responsables du réchauffement soient aussi les premiers contributeurs pour dédommager les victimes ? A l’inverse, comment veiller à ce que ceux qui ont le moins contribué au problème ne soit pas injustement grevés du fardeau de ces conséquences dramatiques  ?

Se borner à éviter ces questions centrales ne ferait que creuser un fossé déjà bien trop profond entre les pays du «  Nord  » et du «  Sud  ». Se borner à comprendre l’action climatique sans sa dimension globale et solidaire ne fera que ralentir les efforts collectifs et donc accélérer dangereusement notre trajectoire vers une planète inhabitable. Il est donc urgent de changer de logiciel.

Rebecca Thissen

Notes
[1] https://www.iied.org/new-animation-shows-how-climate-related-loss-damage-impacting-people-nepal
[2] Voir le reportage de S. Frères (2022), « Une catastrophe silencieuse débrousse le Sahel ». Imagine Demain le Monde.
[3] Voir notre analyse sur le sujet : R. THISSEN (2022), « Nouveau rapport du GIEC : les limites de l’adaptation sous pression ». Disponible sur : https://www.cncd.be/Nouveau-rapport-du-GIEC-l
[4] La vulnérabilité est comprise comme la propension de personnes ou d’écosystèmes à être affectés négativement par les impacts climatiques. Cette notion englobe aussi la question des limites de la capacité d’adaptation aux risques identifiés et donc la susceptibilité de connaître des dommages irréversibles.
[5] L’article 8 de l’Accord de Paris stipule ainsi que « les Parties reconnaissent la nécessité d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes et les phénomènes qui se manifestent lentement, de les réduire au minimum et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et préjudices. »
[6] https://unfccc.int/wim-excom/areas-of-work/migration-displacement-and-human-mobility
[7] Voir notre analyse à ce sujet : R. THISSEN (2021), « Bilan COP26 : les plus vulnérables à nouveau sur le banc des oubliés ».
[8] Climate Action Network International (2022) : « A Loss & Damage finance facility : Why and how. Discussion paper »
[9] https://www.euronews.com/green/2022/09/21/denmark-becomes-first-country-to-pay-for-loss-and-damage-from-climate-change
[10] https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/sep/21/pakistan-floods-big-oil-gas-bill
[11] https://news.un.org/en/story/2022/10/1129127

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