Édition du 3 décembre 2024

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France

Pierre Khalfa : Retraites, des clefs pour comprendre

La question des retraites occupe aujourd’hui le débat public. Il est souvent difficile dans ce qui ressemble à un capharnaüm médiatique de s’y retrouver. Voici quelques développements permettant d’y voir plus clair.

Tiré du site Le fils des communs.

On ne finance jamais sa propre retraite

Les retraites à l’instant t sont toujours une part de la richesse produite au même instant. Cela apparaît clairement dans un régime par répartition. Les cotisations, qui sont une part de la masse salariale, sont immédiatement mutualisées, socialisées et servent à financer les pensions des retraité.es. La retraite par répartition procède d’un double partage de la richesse produite.

Le premier c’est le partage entre masse salariale et profit. C’est la formation des revenus primaires. Ce partage est conditionné d’un point de vue économique par le fait de savoir si l’évolution de la masse salariale suit, ou pas, celle des gains de productivité. Si c’est le cas, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée, la richesse créée dans la production, est stable. Cela a été le cas entre 1950 et 1970 en France. De 1970 à 1982, la masse salariale a évoluée de façon plus rapide que les gains de productivité. Par la suite, la masse salariale a évoluée moins vite que les gains de productivité, d’où l’augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée. C’est le schéma général, car il y a eu des phases de stabilisation et une petite phase en 2009 où la part salariale a augmenté. Mais il y a aussi un second partage, celui-là au sein de la masse salariale. Quelle est la part qui sera consacrée au salaire direct et celle consacrée au financement de la sécurité sociale ? Ce partage est à la racine de la solidarité intragénérationnelle et intergénérationnelle. Par exemple, si les gens pensent qu’eux-mêmes ne seront jamais malades, pourquoi accepteraient-ils qu’une part de leur salaire servent à soigner les malades ? De même, accepter qu’une part de son salaire serve à financer les pensions des retraité.es suppose que l’on pense qu’il en sera de même pour vous au moment où de partir en retraite.

La retraite par répartition repose sur un double contrat implicite. Le travail qui a été fourni par la génération partant à la retraite a produit des richesses pour l’ensemble de la société et donc bénéficie à la génération suivante qui, à son tour, prend en charge les retraité.es. Une part de la richesse créée par les actifs va donc aux retraités. La retraite par répartition repose sur la solidarité intergénérationnelle. Cette dernière a deux faces. Si les actifs paient les pensions des retraités, en contrepartie, les salariés âgés laissent leur place sur le marché du travail aux nouvelles générations. Cette exigence est d’autant plus forte que le chômage de masse perdure et que l’activité économique est atone. Vouloir faire travailler les salarié.es plus longtemps revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites et ce, alors même que les conditions de travail se dégradent et que l’apparition de nouvelles pathologies nécessiterait une réduction du temps passé au travail.

L’illusion de la capitalisation

La capitalisation est souvent présentée comme une solution au problème démographique. Mais contrairement aux idées reçues on ne finance pas non plus sa retraite dans le cas de la capitalisation. En épargnant, un salarié ne met pas de côté dans un « frigo économique » des repas, des billets de train… qu’il consommerait dans 40 ans. Il n’a qu’un à-valoir sur la production future de biens et de services, une créance pour l’avenir. Pour que cette créance soit honorée au moment où elle est présentée, il faut que soit produite la richesse correspondante. En capitalisation, comme en répartition, les revenus des retraité.es sont une partie de ce qui est produit au moment même de la retraite c’est-à-dire une ponction sur la richesse produite par les actifs. S’il y a, dans l’avenir, un problème démographique, c’est-à-dire un manque d’actifs pour produire la richesse nécessaire, répartition et capitalisation sont placées devant les mêmes difficultés.

La capitalisation présente deux défauts majeurs. Elle est d’abord aléatoire et revient à jouer sa retraite en Bourse. C’est d’ailleurs la ruine du système de retraite par capitalisation avec la crise des années 1930 qui avait amené à créer un système par répartition. La résurgence régulière des crises financières, qui est une des caractéristiques du capitalisme néolibéral, accentue encore le caractère hasardeux de la retraite par capitalisation. Elle aggrave ensuite considérablement les inégalités sociales. Ainsi aux États-Unis, 40% seulement des ménages détiennent des actions par l’intermédiaire des fonds de pension et 10% des ménages détiennent 90% des actions.

Enfin, il est totalement illusoire de croire que l’on pourra maintenir sur le long terme la coexistence entre répartition et capitalisation. Les revenus des deux systèmes ne s’additionnent pas. En effet, un bon rendement d’un fonds placé en obligations suppose des taux d’intérêt réels élevés ce qui est contraire à l’activité économique, donc à l’emploi. Dans le cas d’un fonds placé en actions, un bon rendement suppose de comprimer la masse salariale au maximum. Dans les deux cas, ce sont les ressources du système par répartition qui en seraient affectées. Le dépérissement du système par répartition serait ainsi programmé.

« On vit plus vieux, il faut travailler plus longtemps »

Apparemment de bon sens, cette rengaine est un des deux arguments avancés – l’autre portant sur l’impossibilité de financer les retraites -, pour justifier l’allongement de la durée de cotisation et le report de l’âge de départ à la retraite.

L’accroissement de l’espérance de vie ne date pas d’aujourd’hui

L’institut national d’études démographiques (INED) fait remonter l’accroissement de l’espérance de vie à 250 ans. Certes interrompue par les guerres, la progression de l’espérance de vie à la naissance est régulière. De 30 ans à la fin du 18e siècle, elle passe à 37 ans en 1810 pour atteindre 45 ans en 1900. Au 20e siècle, grâce au progrès de la médecine, à une politique de développement de l’hygiène, une nourriture mieux adaptée, qui entraînent notamment une forte chute de la mortalité infantile, elle dépasse 80 ans en 2004.

Cet accroissement de l’espérance de vie n’a pas empêché que le temps passé au travail non domestique diminue régulièrement : la durée hebdomadaire de travail a diminué, ainsi que le nombre d’heures passées au travail dans une vie. En France, du 19e siècle à la fin du 20e, le temps de travail annuel individuel a été divisé par deux pendant que le nombre d’emplois augmentait de trois quarts. Cela a été permis par un accroissement de la productivité horaire du travail supérieur à celui de la richesse produite. Ainsi, durant cette même période, la productivité horaire a été multipliée par environ 30, la production par 26 et l’emploi total par 1,75. L’indicateur « espérance apparente de vie professionnelle », qui fournit une estimation du nombre d’années travaillées, a ainsi baissé pour les hommes de 20 ans entre 1930 et 2000.

La conclusion à tirer de ces chiffres est sans ambiguïté : le partage de la richesse produite peut permettre que l’accroissement de l’espérance de vie s’accompagne d’une diminution du temps passé au travail. C’est ce que l’on appelle le progrès.

On vit plus longtemps… mais pas vraiment en bonne santé !

Mais il faut aussi tenir compte de l’espérance de vie sans incapacité c’est-à-dire sans être limité dans ses activités quotidiennes. Une étude récente de la Drees (1) (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) indique qu’en 2018, elle s’élève à 64,5 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes. Globalement stable pour les femmes depuis 10 ans, elle a très légèrement augmenté pour les hommes. De plus, la France n’est pas particulièrement bien placée en Europe. Selon les dernières statistiques Eurostat, portant sur l’année 2016, la France est sous la moyenne européenne dans ce domaine. L’écart est de presque dix ans avec la Suède (73,3 ans chez les femmes, 73 chez les hommes), alors que l’espérance de vie à la naissance est quasi équivalente dans les deux pays.

On voit donc que tout départ en retraite tardif obère de façon non négligeable le temps dont les salarié.es disposent pour jouir réellement de leur retraite. Si les retraités sont classés comme « inactifs » dans les calculs économiques, ils le sont de moins en moins dans la réalité et sont de plus en plus investis dans des activités socialement utiles. Ils produisent donc de la richesse, peut-être pas une richesse quantifiable monétairement, mais des « valeurs d’usage » dont l’utilité sociale est indéniable, comme, par exemple, s’intégrer dans la vie associative, culturelle, s’occuper d’éducation, des enfants… Le fait de partir en retraite en bonne santé, donc assez tôt, et avec un niveau de vie qui ne s’effondre pas, n’est donc pas simplement une juste reconnaissance pour des personnes ayant travaillé toute leur vie, mais aussi un bienfait pour la société dans son ensemble.

De plus, est-ce que travailler plus longtemps est une solution acceptable alors que les conditions de travail se détériorent, que la souffrance au travail se développe et que de nouvelles pathologies apparaissent ? Est-ce que le sort des êtres humains est de travailler jusqu’à n’en plus pouvoir pour permettre que les dividendes versés aux actionnaires continuent leur croissance faramineuse ? Veut-on refaire de la retraite une simple antichambre de la mort ?

Un discours hypocrite

Il y a une hypocrisie à vouloir faire travailler les salariés plus longtemps que ce soit en reportant l’âge de départ pour toucher une retraite à taux plein ou en augmentant la durée de cotisation. En effet, l’âge de liquidation de la retraite – le moment où le retraité touche sa première pension – ne correspond pas pour une bonne partie des salarié.es à l’âge de fin de l’emploi. Plus de la moitié des salarié.es sont hors emploi (chômage, invalidité, inactivité ou dispensé de recherche d’emploi) au moment de liquider leur retraite.

Ainsi, très souvent, les salarié.es ayant eu une carrière courte et heurtée, en particulier les femmes, attendent l’âge d’annulation de la décote pour liquider leur retraite de manière à pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, alors même qu’ils sont déjà hors du marché du travail. Selon la Drees (2), « en 2015, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans résidant en France métropolitaine, soit 11% des personnes de cette tranche d’âge, ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite ». La Drees note qu’il s’agit en majorité de femmes. Durcir les conditions pour avoir une retraite à taux plein ne peut avoir que deux conséquences : soit accroître encore le nombre de personnes se trouvant dans une situation d’entre-deux entre emploi et retraite et vivant donc dans la précarité ; soit partir en retraite avec une pension diminuée.

Un déficit imaginaire

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) vient de rendre public un nouveau rapport qui lui avait été commandé par le gouvernement. Pourquoi un nouveau rapport alors même que le précédent daté du mois de juin 2019 ? Que s’est-il passé en moins de six mois qui justifie un nouveau rapport ?

Évidemment rien, si ce n’est que le gouvernement avait besoin d’un rapport mettant en évidence que les régimes actuels étaient en déficit pour justifier ainsi les mesures destinées à travailler plus longtemps (3).

Ce rapport prévoit un déficit des régimes de retraites allant de 0,3% à 0,7% de PIB. Ces chiffres sont en réalité similaires à ceux contenus dans le rapport de juin 2019. Ce rapport n’apporte aucun élément nouveau susceptible de justifier de nouvelles mesures régressives. Il apparaît comme une stricte opération de communication. Ce déficit est tout d’abord construit de toutes pièces. Le COR lui-même souligne que « le solde financier du système de retraite […] dépend de manière cruciale de la convention [comptable] retenue ». Il acte ainsi que « la part des ressources consacrées au système de retraite dans le PIB diminue sur la période de projection ». A partir de ce postulat, il n’est pas difficile de mettre en scène un déficit pour présenter des scénarios permettant, par divers moyens, d’augmenter l’âge effectif de départ en retraite et/ou de baisser le niveau des pensions. Alors que le gouvernement prétendait épargner les générations antérieures à 1963, il apparaît désormais qu’elles seront touchées, au même titre que les autres, par des baisses du niveau des pensions présentées dans le rapport du COR.

Pourtant le COR note que les réserves du système de retraite sont évaluées à 5,6% PIB, largement suffisantes donc pour passer le cap de 2025. De plus, le COR est bien obligé de reconnaître que l’équilibre financier pourrait facilement être atteint par une hausse modeste des cotisations : en moyenne, 1 point de cotisation supplémentaire à l’horizon 2025, soit 0,2 point par an. Enfin, en 2025, la dette sociale serait remboursée, ce sont donc 1 milliards, utilisés actuellement pour rembourser les marchés financiers, qui seront disponibles. Même en se basant sur les évaluations de déficit du rapport, la situation, on le voit, n’a rien de dramatique.

L’arnaque du régime par points

Dans un régime par points, on accumule des points en cotisant tout au long de sa vie active, les cotisations achetant des points. Au moment de la retraite, les points sont convertis en pension. Il n’y pas de taux de remplacement (rapport entre la pension et le salaire) fixé à l’avance, à la différence d’un régime par annuités qui définit un taux plein que l’on obtient moyennant certaines conditions (durée de cotisation, âge de départ). Un régime par annuités est « à prestations définies », un régime par points est « à cotisations définies » : on connaît le niveau de ses cotisations, mais comme il n’y a aucune notion de taux plein, on n’a pas de visibilité sur sa future pension. L’exemple des régimes par points Agirc et Arrco n’est pas enviable : entre 1990 et 2009, le taux de remplacement a baissé de plus de 30% dans chacun d’eux (4), ce qui est une baisse beaucoup plus sévère que dans le régime de base.

Le régime par points est basé sur une logique purement contributive, c’est-à-dire qu’il vise à ce que les pensions perçues par une personne pendant sa retraite se rapproche au plus près de la somme actualisée des cotisations versées au cours de sa carrière. La pension reflète ainsi l’ensemble des salaires perçus, et non plus les 25 meilleures années de salaires comme dans le régime par annuités. Dans la situation actuelle, caractérisée par des carrières de femmes en moyenne plus courtes, assorties de salaires plus faibles et de périodes de temps partiel, les inégalités de pension entre les sexes ne pourraient alors qu’en être encore accentuées par rapport au régime par annuités.

Le prix du point à l’achat, la valeur du point lors de la conversion en pension (dite valeur de service) ainsi que d’autres paramètres sont réglés chaque année de manière à équilibrer les finances des caisses de retraite. Ce sont des mesures soit disant techniques d’ajustement qui sont décidées au niveau des gestionnaires de caisse. Il n’y a pas de notion de carrière complète, il n’y a pas de taux de remplacement garanti donc pas de taux plein. Et pas de visibilité sur la pension future. Est ainsi escamoté tout débat public sur l’évolution des retraites et le partage de la richesse produite, d’une part au sein de la masse salariale entre salarié.es et retraité.es, d’autre part en amont, entre masse salariale et profits. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé que la part du PIB consacré aux retraites restera au maximum à ce qu’elle est aujourd’hui (13,8%) et alors même que le nombre de retraités va augmenter dans l’avenir.

Notes

(1) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1127.pdf

(2) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1079.pdf

(3) Les lignes qui suivent reprennent pour l’essentiel le communiqué de presse du Réseau retraites (Attac, CGT, Économistes atterrés, Fondation Copernic, FSU, Collectif citoyen nos retraites, Solidaires, Unef) auquel l’auteur de ces lignes a contribué.

(4) « Retraites complémentaires, la régression continue », Christiane Marty, http://www.fondation-copernic.org/index.php/2015/10/18/retraites-complementaires-la-regression-continue-octobre-2015/

Pierre Khalfa

co-président de la fondation Copernic

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