Édition du 16 avril 2024

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International

Intensification des activités minières canadiennes

Pour une responsabilité sociale des entreprises !

Avez-vous entendu parler des activités minières canadiennes de par le monde et plus particulièrement en Amérique latine ? Savez-vous le rôle que ces jouent ces grandes compagnies, les positions qu’elles prennent vis-à-vis des populations locales, les libertés qu’elles se donnent quant à l’environnement ? Plusieurs —ici au Canada— ont commencé à s’inquiéter, à s’interroger. Isable Orellana, professeure à l’UQÀM, en fait partie !

Comme beaucoup d’autres acteurs sociaux, intervenants et chercheurs, je suis préoccupée et profondément alarmée par la tendance dominante d’intensification des activités commerciales dans ce qui apparaît comme une escalade globale de croissance sans fin (qualifiée de croissance de « sans âme » par Pérez de Cuellar, 1996). Le déploiement accéléré de l’industrie extractive canadienne à travers le monde, son installation dans diverses régions pour extraire les richesses naturelles, soulève en ce sens des questions fondamentales. Les études et les recherches sont de plus en plus nombreuses et éloquentes quant aux impacts socio environnementaux et en matière de droits humains des activités de ce type d’entreprise, révélant une situation critique qui interpelle avec urgence les divers acteurs sociaux, dont en particulier, les décideurs politiques et les entreprises, par la responsabilité qui les concerne. Rappelons que le Canada détient non pas seulement 41% des grandes compagnies minières à l’échelle mondiale et deux tiers de celles de moyenne et petite taille dont le siège social et sur son territoire (Mines Alerte Canada, 2005), mais aussi, il est le premier explorateur de minéraux au monde. Ceci démontre l’étendue de la responsabilité que lui revient. Or, actuellement, aucune réglementation ni instrument légal régit ces activités sur le plan international.

Bilan très lourd

Le bilan du passage de diverses compagnies est très lourd, dont d’INCO en Indonésie, d’Alcan en Inde, de TVI Pacific aux Philippines, d’Anvil Mining au Congo, de Manhattan Minerals Corporation au Pérou, de Metallica Ressources au Mexique, d’Ascendant Copper Corporation S.A en Équateur, de Glamis Gold au Guatemala, de Barrick Gold Corporation en Tanzanie, Australie, Pérou (OLCA, 2006) entre autres, (et actuellement, à la frontière chilienne-argentine avec le mega-projet Pascua Lama-Veladero) Le parcours de ces compagnies laisse une trace douloureuse au sein des populations locales et dans le milieu de vie. La liste des impacts actuels, des effets négatifs et des risques à moyen et à long terme est alarmante au plus haut point : déplacements forcés de population, problèmes de santé dus à la présence de toxines (les niveaux de métaux lourds, de cyanure, d’arsenic, etc. dépassent les taux maximaux à risque établis par l’OMC) issues des activités minières, dans l’eau, dans le sol, dans l’air et donc dans la chaîne alimentaire ; conditions de travail inacceptables, indignes, qui ne respectent pas les codes de l’OIT, violation de terres ancestrales, perturbations majeures au mode de vie autochtone et aux activités productives traditionnelles, un environnement dégradé, contaminé, détruit, des écosystèmes dévastés, la biodiversité menacée. Au nom du progrès et du développement, les milieux naturels sont systématiquement détruits, les cultures bouleversées.

Les points à considérer

Le Canada jouit d’une vaste expérience dans le règlement de situations difficiles, notamment par plus de 30 ans de négociation sur les revendications et l’autonomie gouvernementale avec les peuples autochtones, de litiges sur les droits et les titres ancestraux, d’examens environnementaux de grands projets et de relations avec les communautés autochtones. Le Canada est doté d’une législation en matière de droits humains et d’environnement qui constitue pour beaucoup de pays un exemple. Enrichi de ces expériences et de ces acquis, il s’impose donc de repenser les choix en matière d’expansion commerciale pour développer les bases vers une entreprise de nouveau type, éthiquement responsable. En ce sens, le Canada devrait prendre une place d’honneur en contribuant au projet de normes de l’ONU sur les responsabilités de transnationales et autres sociétés commerciales au regard des droits humains. Le Canada doit s’aligner sur des valeurs de solidarité, de justice, de respect et d’harmonie.

Aussi, plus spécifiquement , les points suivants seraient à considérer :

∑ Le respect des principes et des engagements de la législation canadienne en matière d’environnement et de droits humains dans les régions où les projets des entreprises canadiennes ont lieu ;

∑ La formation des cadres et du personnel des entreprises ainsi que des décideurs politiques en matière d’environnement, de droits humains et de développement responsable tout comme de législation internationale et locale dans ces domaines ;

∑ Lorsque de sites d’intérêt d’exploitation sont détectés, il s’impose de prendre en compte les choix locaux de développement et les intérêts des populations locales dont le mode de vie est affecté par les projets de l’entreprise extractive.

∑ La reconnaissance des organisations communautaires et des groupes locaux (nationaux et régionaux) qui œuvrent dans le domaine de l’environnement, des droits sociaux et humains dans les régions concernées par les développements industriels canadiens, en tant qu’interlocuteurs valables pour discuter et négocier les projets de développement envisagés ;

∑ La création de conditions (ressources, temps, contexte, etc.) pour contribuer à rompre la situation de déséquilibre (information, pouvoir, ressources) entre les parties en négociation, afin que les populations régionales et locales des zones convoitées pour l’exploitation puissent s’exprimer et faire respecter leur voix ;

∑ L’application des principes du Consentement préalable accordé librement et en pleine connaissance de cause (Free, Prior and Informed Consent - FPIC) avec les communautés locales, c’est-à-dire, qui implique d’assurer l’accès à une information appropriée et complète sur les intentions de développement industriel, les cadres juridiques nationaux et internationaux concernés et les répercussions à moyen et long terme pour la région ;

∑ L’engagement à un réinvestissement des profits, à moyen et long terme, dans la région, lorsque les projets négociés en connaissance de cause sont adoptés et acceptés par la population. Le respect des décisions des communautés locales sur l’objet de ces investissements.

Conséquences

L’intégration de ces considérations pourrait non pas seulement avoir de conséquences financières importantes pour l’entreprise et un impact sur la rentabilité du projet, mais aussi, elle pourrait ouvrir la voie à une nouvelle forme d’investissement, inscrit dans un pacte social, sensible au bien être des populations, au respect des cultures et du milieu de vie. Le Canada a le défi de contribuer au rêve de développement d’une entreprise de nouveau type, responsable et soucieuse des dimensions humaines, sociales, culturelles et environnementales concernées par les déploiements industriels. Il doit favoriser l’émergence d’un juste équilibre, d’un « nouveau contrat » (Groupe de Lisbonne, 1995), pour donner un autre sens au développement Le Canada fait face au défi de bâtir une éthique de la vie, pour la vie !

Références
Elizalde, A. (2003). Desarrollo humano y ética para la sustentabilidad. Santiago (Chili) : Lom Ediciones Ltda.
Groupe de Lisbonne (1995). Limites à la compétitivité. Vers un nouveau contrat mondial. Montréal : Les Éditions du Boréal.
Max-Neef, A. ; Elizalde, A. et Hoppenhayn, M (2005). Desarrollo a escala humana. (En ligne) http://www.ecoportal.net
Mines Alerte Canada (2005). Rapport annuel 2005. Mining Watch Canada.
OLCA-Observatorio Latinoamericano de Conflictos Ambientales (2006). Área de seguimiento a las actividades mineras. (En ligne) http://www.olca.cl/oca/index.htm
Pérez de Cuellar, J. (1996). « Notre diversité créatrice ». Le Courrier de l’UNESCO, septembre 1996, Paris : UNESCO, p. 4-7.
Petrella, R. (2004). Désir d’humanité. Le droit de rêver. Montréal : Éditions Écosociété.

L’auteur de cet article, Isabel Orellana, est professeur au Département d’éducation et pédagogie, Université du Québec à Montréal. Elle est aussi
chercheure associée à la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement et au Réseau québécois d’échanges sur les questions autochtones - DIALOG.

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