Ce changement d’opinion est d’autant plus surprenant qu’il survient au moment où la réforme du mode de scrutin a été un des principaux thèmes de la récente campagne électorale et qu’un consensus s’est enfin établi au sein de la population pour qu’elle survienne d’ici les prochaines élections. Quatre partis (CAQ, QS, PQ, Parti vert) se sont d’ailleurs engagés, en mai dernier, à remplacer le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour actuel par un scrutin à finalité proportionnelle appelé scrutin mixte avec compensation régionale. Le premier ministre élu, François Legault, a déclaré que son gouvernement respecterait son engagement et présenterait un projet de loi en 2019 même si l’opposition libérale s’y est opposée jusqu’ici.
Roméo Bouchard, qui a longtemps été mon compagnon de route dans les luttes en faveur de la représentation proportionnelle, rejette maintenant le principe « un électeur, un vote » sur lequel repose cette dernière. « Il n’est pas si juste qu’on veut le faire croire », ajoute-t-il. On sait que le scrutin proportionnel fait en sorte que tous les votes comptent et que les partis politiques sont représentés équitablement au Parlement en fonction de l’appui populaire qu’ils reçoivent.
Par contre, M. Bouchard « ne trouve pas bête » le scrutin majoritaire uninominal à un tour, issu du parlementarisme britannique, dont nous sommes dotés depuis 1791. Ce mode de scrutin cause des distorsions aberrantes entre la volonté populaire exprimée par les votes exprimés et la représentation parlementaire parce que les seuls votes qui comptent sont ceux enregistrés en faveur du candidat-e qui s’est classé-e premier -ère dans la circonscription et qui est ainsi élu-e. On estime que d’une élection à l’autre, les votes de plus de 50% des électeurs-trices ne comptent pas. L’élection du 1er octobre a fourni une nouvelle illustration de ce vice démocratique alors que la CAQ, qui n’a obtenu que 37% de suffrages, a fait élire 59% des député-e-s, soit un écart positif de 22%. Par contre, QS et le PQ n’ont fait élire ensemble que 15% des député-e-s même si deux formations ont récolté 33% des votes, soit un écart négatif de 18%. Quant au Parti libéral il a légèrement été favorisé par le système ayant fait élire 25,6% des député-e-s avec un peu moins de 25% des votes.
À l’instar du premier ministre Justin Trudeau, la préférence de M. Bouchard va à une autre forme de scrutin majoritaire, le scrutin préférentiel parce que, selon lui, ce dernier « priorise le ou la candidat-e plutôt que le parti ». Ce qu’il ne démontre pas. Par contre, les travaux du Comité parlementaire sur la réforme électorale, effectués en 2016 à la Chambre des communes, ont démontré que le vote préférentiel crée des distorsions encore plus grandes entre la volonté populaire et la représentation parlementaire que le vote majoritaire à un tour actuel.
Dans sa diatribe. M. Bouchard fait une autre affirmation gratuite en qualifiant de « système bâtard qui ne règle rien » celui proposé conjointement par la CAQ, le PQ, QS et le Parti vert sous les auspices du Mouvement pour une démocratie nouvelle. Selon ce dernier, 60% des député-e-s seraient élu-e-s au majoritaire dans des circonscriptions locales. De plus, 40% le seraient au scrutin proportionnel sur une base régionale, ce qui permettrait de corriger les distorsions de représentation inhérentes au scrutin majoritaire. Ce système s’inspire de celui utilisé en Écosse notamment.
Bizarrement, il favorise un système où tous les député-e-s – non 40%- seraient élu-e-s à la proportionnelle sur une base régionale comme l’avait proposé le premier ministre Lévesque au début des années 1980. Idéalement, je préfèrerais moi aussi ce genre de système qui permettrait une véritable décentralisation régionale. Mais réalistement il est préférable de proposer un système où les citoyen-ne-s ne seraient pas trop dépaysé-e-s tout en conservant les avantages de la proportionnalité.
Quant à Roméo Bouchard il devrait mettre de l’ordre dans ses concepts car, tour à tour, il favorise deux modes de scrutin majoritaires différents (uninominal à un tour et préférentiel) puis, surprise, un système établissant une proportionnelle intégrale dont il a pourtant rejeté le principe au début de son texte.
Paul Cliche,
Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : la proportionnelle
Montréal, 5 octobre 2018
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