Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections 2018

Victoire de la CAQ, recomposition du champ politique et les défis de la nouvelle période.

La CAQ est un parti fédéraliste et néolibéral. Il va former un gouvernement majoritaire. Il pourra compter sur une opposition officielle fédéraliste et néolibérale comme lui. Il a recruté ses cadres et ses dirigeants parmi les financiers, les entrepreneurs et les gestionnaires. S’il devra composer avec les engagements démagogiques qu’il a faits durant la campagne électorale, son programme de gouvernement ne saurait être soumis à ces derniers. Ce parti se fera le défenseur des intérêts de l’élite économique et visera à affaiblir la majorité populaire. Les politiques qu’il mettra de l’avant découlent de ces objectifs essentiels.

L’apparition d’une alternance des partis fédéralistes à Québec

Dans son premier discours devant les médias, François Legault a souligné que c’était la première fois depuis cinquante ans qu’un parti fédéraliste succédait à un autre parti fédéraliste. Le Québec a heureusement dépassé, a-t-il souligné, l’alternance entre un parti fédéraliste (le PLQ) et un parti souverainiste (le PQ).

C’est d’ailleurs cet objectif que les Legault, Bouchard, Charles Sirois et le clan Desmarais poursuivaient avec la fondation de la Coalition Avenir Québec en 2011. Le bloc fédéraliste était empêtré dans un jeu dans lequel il y avait un seul parti fédéraliste de gouvernement. L’usure politique provoquée par l’exercice du pouvoir particulièrement en une période de gestion néolibérale n’offrait comme alternance qu’un parti souverainiste, en l’occurrence le PQ. Cela empêchait d’en finir avec la perspective possible et perpétuelle de remise en question de l’intégrité de l’État canadien.

La politique de la CAQ était de contribuer à la marginalisation du PQ et de l’option souverainiste en proposant un parti dont l’offre politique serait basé sur un nationalisme identitaire et régressif n’hésitant pas à user de la xénophobie et de la peur de l’immigration. Sa proposition de réduire l’immigration de 20% (de 50 000 à 40 000) et d’imposer un test des valeurs et un test de français visait à dresser de nouveaux obstacles à l’intégration à la société québécoise, tout cela au nom d’une meilleure intégration.

L’apparition de la CAQ a été le fruit d’un repositionnement des secteurs nationalistes de l’élite économique québécoise.

Les directions successives du PQ (Bouchard, Landry, Boisclair, Marois, Péladeau, Lisée) ont quitté le navire après avoir refusé de placer au centre de la politique péquiste la lutte pour l’indépendance du Québec. Ces différentes directions ont toujours accordé la priorité à la lutte pour le pouvoir provincial.

Elles ont toujours remis au lendemain la question de l’accession à l’indépendance et l’éclaircissement des voies pour y parvenir. Au fondement de ce choix, c’est le repositionnement de l’élite économique québécoise depuis 1995. [1].

Leur volonté de repousser les combats les plus essentiels au lendemain ou au surlendemain, leur refus de définir une voie claire d’accession à la souveraineté et leur peur de mobiliser la majorité populaire pour ce faire, reposent sur le refus de l’affrontement avec les fédéralistes québécois et canadiens. Les directions péquistes depuis 95 se sont mises au diapason de l’élite économique qui a alors pris le bateau de la mondialisation capitaliste et a rompu radicalement avec l’orientation visant à « faire sortir l’économie québécoise des ornières de la dépendance à l’égard des métropoles étrangères. » [2]. Depuis lors, les directions péquistes partagent les croyances économiques et sociales de la majorité de la bourgeoisie québécoise : soutien au libre-échange, soutien à la privatisation du bien commun, à la tarification des services publics, à une fiscalité qui favorise les riches, à l’exploitation des énergies fossiles, à la concentration de la presse. Pour l’élite économique québécoise, il n’est désormais plus question de se laisser guider par une orientation marquée par une volonté d’indépendance quelconque, car elle ne cherche qu’à faire sa place dans le cadre de la mondialisation tout en instrumentant les gouvernements fédéral et québécois pour cet objectif. C’est là la base matérielle de l’incapacité des élites nationalistes de mener une lutte conséquente pour la souveraineté du Québec. François Legault, homme d’affaires et ancien ministre péquiste, n’a fait que s’aligner sur le fédéralisme de la vaste majorité de la bourgeoisie québécoise. Les directions péquistes qui se sont succédées depuis la défaite de 95 n’ont fait que s’enfoncer dans l’incohérence et la non-pertinence politique. Elles ont ainsi été les organisatrices d’un désastre prévisible.

Le plan de gouvernement de la CAQ, dictée directement par les intérêts de la classe dominante

a. Privatisation des services publics

Comme représentant de la classe dominante et des couches technocratiques et professionnelles (la classe de l’encadrement), la CAQ, défend la privatisation des services d’éducation et de santé, car elle soutient les personnes qui en sont les agent-e-s et qui en profitent. La multiplication des cliniques privées est saluée par ces personnes. La privatisation sera donc à l’agenda du gouvernement Legault et la lutte contre cette dernière sera un axe de la lutte populaire pour la justice sociale.

b. Renforcement des politiques inégalitaires dans la distribution des richesses.

Les entrepreneurs s’opposent à accorder un salaire de 15$ de l’heure au nom de la défense de la prospérité économique (en fait, des profits de cette classe). La CAQ a déjà rejeté la hausse du salaire minimum et le gouvernement Legault poursuivra sur cette ligne. Et pour ce qui est d’une véritable réforme de la fiscalité permettant une redistribution de la richesse vers la majorité populaire, la CAQ a promis exactement le contraire soit de réduire les impôts des entreprises et de maintenir une fiscalité inéquitable qui favorise l’enrichissement des plus riches.

c. Soutien au développement des hydrocarbures et refus de tout plan de transition réelle

L’ensemble des organisations patronales au Québec ont soutenu la Loi sur les hydrocarbures qui permet l’exploitation pétrolière et gazière partout au Québec. Ces organisations ont soutenu également le projet de construction du pipeline d’Energie Est. Pour une fois, la CAQ n’a pas caché ses intentions durant la campagne électorale. Un gouvernement de la CAQ favorisera l’exploration et l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, car il y voit une source d’enrichissement collectif pour le Québec (sic).

d. La politique identitaire pour se construire une base en jouant la carte d’un nationalisme régressif.

La CAQ a utilisé (et le gouvernement de la CAQ) va utiliser le thème de l’immigration pour se faire du capital politique. Que ce soient la baisse des seuils d’immigration, le test des valeurs communes ou celui sur la langue française, il s’agit de jouer sur certaines peurs, pour présenter les personnes migrantes comme un danger et le gouvernement de la CAQ, comme un protecteur. Une des premières mesures annoncées par la CAQ au pouvoir c’est une loi pour interdire le port de signes religieux pour tous les employé-e-s de l’État en position d’autorité. Ces politiques vont semer la méfiance envers les personnes migrantes et contribuer à diviser la population du Québec.

d. La défense des droits démocratiques et l’exercice de la souveraineté populaire réduite à la portion congrue.

La CAQ a signé un accord avec d’autres partis politiques d’opposition (PQ, QS, Vert) pour la réforme du mode de scrutin pour introduire un scrutin proportionnel avec compensation régionale dans un premier mandat. Avec 74 député-e-s, la CAQ dispose de 59% des député-e-s avec 37,5% des suffrages exprimés. Pour un parti bien timide en ce qui concerne la défense des libertés civiles (on se rappellera son soutien à la répression du mouvement étudiant par le gouvernement Charest en 2012). Il serait bien naïf d’attendre les bras croisés une réforme du mode de scrutin de leur part. Seule une large mobilisation populaire permettra d’arracher le respect de la parole donnée.

e. La CAQ, désarmée face aux politiques de l’État canadien

François Legault prétend que la réforme du fédéralisme canadien n’exige que détermination et leadership. C’est encore une fois vouloir leurrer la population. Sa volonté de discréditer la souveraineté du peuple québécois comme une lubie sans importance démontre la servilité du personnage. Sur ce terrain particulièrement, le nationalisme de la CAQ, apparaît pour ce qu’elle est vraiment, une pure diversion.

Pas question de donner la chance au coureur quand on connaît les objectifs qu’il poursuit et les intérêts qu’il défend

Face à un tel gouvernement, la résistance doit s’organiser. Le pouvoir populaire est dans la rue et dans les luttes. Seules des mobilisations vastes, militantes et unitaires permettront de :

Bloquer le développement des entreprises pétrolières et gazières. Il est nécessaire de s’engager le plus rapidement possible dans une transition énergétique par des investissements publics massifs dans les énergies renouvelables sous contrôle des populations et des régions concernées pour s’attaquer concrètement et rapidement aux changements climatiques tout en créant massivement des emplois.

Éviter la privatisation des services publics que nous prépare un gouvernement de la CAQ. Il faut exiger un réinvestissement massif dans les services publics d’éducation et de santé pour défendre la qualité et l’accessibilité aux services et de meilleures conditions de travail pour le personnel.

Bloquer le développement du racisme et de la xénophobie et construire un Québec pluriel, égalitaire, antipatriarcal et solidaire. Il faudra s’organiser contre les politiques que nous préparent un gouvernement caquiste par la lutte contre les discriminations économiques, raciales et sexuelles et ses politiques de division du camp populaire.

En finir avec la poursuite du renforcement des inégalités dans la société québécoise, il faut assurer la redistribution des richesses par une réforme radicale de fiscalité et la hausse du salaire minimum à 15$ de l’heure.

Pour contrer la CAQ, il faut défendre un projet de société qui trouvera dans l’indépendance la voie de sa réalisation. Et cette dernière ne pourra se faire que dans une démarche de souveraineté populaire authentique par l’élection d’une assemblée constituante ayant pour mandat d’écrire une constitution d’un Québec indépendant et inclusif débouchant sur une république sociale visant l’amélioration des conditions d’existence de la majorité populaire, la protection de l’environnement et l’égalité sociale.

Ces luttes sont diverses, mais elles pointent toutes vers la réalisation d’une autre société qui exprime l’aspiration à un pouvoir de la majorité populaire… Le pouvoir en place ne répond pas aux besoins les plus criants de la population. Favoriser la construction d’une vaste coordination de ces combats multiples est une tâche essentielle d’un parti qui se veut populaire et solidaire.


[1Voir Le repositionnement de l’élite économique québécoise depuis 1995, François l’Italien, L’Action nationale - Du Québec inc. au Quebec Capital, février 2014

[2François l’Italien, ibid

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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