Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Quelques éléments sur la conjoncture et les défis de la gauche sociale et politique

Quelques réflexions sur l’offensive actuelle de la classe dominante dans l’État canadien et sur les défis auxquels sont confrontés les mouvements de résistance populaire.

"L’utopie du mouvement social ne consiste plus à changer le système, mais à se convaincre que celui-ci peut s’accommoder du maintien de l’État-providence. Cette position défensive appelle une objection difficile à réfuter : si nous demeurons dans les clous du système capitaliste mondialisé, nous n’avons pas d’autre option que d’accepter les sacrifices imposés aux travailleurs, aux étudiants et aux retraités." (Slavoj Zizek, L’indigence de la gauche européenne, in Penser est un sport de combat, Le monde diplomatique, 137, octobre-novembre 2014)

La politique canadienne : militarisme, extractivisme, austérité et démocratie restreinte

Le gouvernement Harper a jusqu’ici développé une politique militariste et un suivisme conséquent par rapport aux aventures guerrières du gouvernement de Washington. Le budget militaire n’a pas cessé d’augmenter pour le plus grand profit des marchands de guerre. Douze ans d’intervention en Afghanistan a semé la destruction et n’a pas fait reculer significativement la misère. La corruption des autorités afghanes que le gouvernement canadien soutenait est de notoriété publique. Le gouvernement Harper s’engage maintenant dans des frappes aériennes en Irak et en Syrie contre l’État islamique se faisant ainsi l’allié objectif de Bachar el Assad. Ces frappes aériennes (sans déploiement d’armées au sol) et la mise sur pied d’une coalition ne cherchent qu’à créer les conditions d’une acceptabilité sociale d’une intervention plus massive et plus prolongée afin de consolider la domination des puissances occidentales sur la région et la recolonisation de cette partie du monde dans leurs intérêts. La couverture humanitaire de cette intervention impérialiste est presque inexistante. Cette intervention conduira à la détérioration de la paix dans le monde, au renforcement de l’insécurité, augmentera les risques de restrictions des droits démocratiques et de développement de l’islamophobie. Le soutien à la construction d’un mouvement antiguerre massif est la condition de la défense des droits démocratiques de la majorité populaire.

Le gouvernement canadien a fait du développement des énergies fossiles à partir des sables bitumineux le moyen de positionner Canada comme puissance économique de premier plan à ce niveau. Son objectif stratégique est de faire du pétrole le vecteur essentiel de sa politique énergétique. Cela l’a conduit à rejeter tous les efforts conséquents pour la réduction du gaz à effet de serre. Le gouvernement Harper soutient financièrement la volonté des entreprises pétrolières de couvrir le continent d’oléoducs pour pouvoir exporter un pétrole sale.

L’exploitation pétrolière et gazière dans l’Arctique est à l’ordre du jour. Les gouvernements québécois (tant celui de Pauline Marois que de Philippe Couillard) se sont fait les complices de ces objectifs de la bourgeoisie canadienne. Les grandes entreprises comme TransCanada rappellent, sans honte, que c’est le fédéral qui peut décider du passage du pétrole sur le territoire québécois et que le Québec et son gouvernement n’ont pas droit au dernier mot à ce propos. Le peuple québécois se voit réduit au silence sur des décisions qui conditionnent son avenir.

La marche forcée des Conservateurs vers une démocratie restreinte doit être soulignée, et particulièrement au niveau de la restriction des droits démocratiques du mouvement syndical qui est une des cibles privilégiées du gouvernement Harper. Le gouvernement conservateur cherche à affaiblir le mouvement syndical : multiplication des lois obligeant le retour au travail, lois restreignant les possibilités de syndicalisation, loi pour limiter l’autonomie et l’indépendance des syndicats. Le remise en question de la formule Rand est dans la mire de ce gouvernement. À cela s’ajoute une politique de plus en plus répressive contre la population immigrée, sans parler de l’odieuse politique contre les communautés autochtones. Cette politique de restriction des droits démocratique s’habille du conservatisme moral et, en ce domaine, ce sont les femmes qui sont les principales visées.

Aux dernières élections fédérales, une partie importante de la population québécoise a utilisé le vote NPD pour s’opposer aux politiques conservatrices du gouvernement Harper. Pour ce qui est du Bloc, son recul reflétait le fait qu’il n’offrait aucune possibilité de remplacer ou même de faire reculer le gouvernement conservateur. Sa politique de défense des intérêts du Québec était un fonds de commerce incapable de livrer la marchandise. L’usure du Bloc québécois aux yeux d’une partie substantielle de la population du Québec reflétait le rejet de cette une impuissance politique désormais constatée largement. Mario Beaulieu, le nouveau chef élu du Bloc québécois, tente de se distancier du discours traditionnel du Bloc québécois dirigé par Gilles Duceppe. Mais il reste engoncé dans la logique pédagogique « du sortir, parler, convaincre le peuple de l’indépendance ». Mais il n’avance aucune stratégie pour lutter contre les politiques néolibérales des partis libéraux et conservateurs. Il ne suggère aucune initiative pour en finir avec le gouvernement Harper et pour en finir avec une politique de régression sociale, démocratique et environnementale d’Ottawa qui touche le Québec de plein fouet. Il ne développe aucune politique vis-à-vis des mouvements sociaux canadiens qui pourraient être gagnés à la défense du droit à l’autodétermination du Québec.

Le Bloc est-il solidaire sur le plan social et national de la démarche du Parti québécois ? Partage-t-il la même orientation sur la question des énergies fossiles ? Fait-il sien le soutien au libre-échange nord-américain et Canada-Europe ? Partage-t-il la même orientation sur la politique d’austérité que celle mise de l’avant dans le budget Marceau ? On pourrait poser au Nouveau Parti Démocratique, le même type de questions sur les enjeux majeurs auxquels fait face la majorité populaire au Québec. Une alternative indépendantiste réelle ne peut être une alternative sans qualité, qui refuse de se positionner sur ces enjeux. Des néo-démocrates québécois et canadiens qui se taisent sur ces enjeux et sur le droit du Québec à l’autodétermination doivent être confrontés aux besoins les plus fondamentaux du peuple québécois. Et cette bataille politique face au NPD et au Bloc québécois peut être menée dans les mois qui viennent maintenant sans que la question de la consigne de vote doive d’être posée.

PLQ - agent de la fraction fédéraliste de la bourgeoisie canadienne

Le Parti libéral du Québec est le représentant de cette fraction fédéraliste inconditionnelle de la bourgeoisie canadienne et de ses associés québécois. Il combine une politique néolibérale conséquente à un projet de dénationalisation de la société québécoise.

Le PLQ veut systématiser les politiques d’austérité. Au nom de la poursuite du déficit zéro, comme le gouvernement péquiste avant lui, il s’attaque aux services publics par les compressions dans les dépenses et la tarification des services. Il évalue par une série de ballons d’essai les points de moindre résistance dans l’implantation de ses contre-réformes. Il veut ainsi créer une insuffisance des services publics pour justifier leur privatisation. Il cherche à détruire les mécanismes de représentation citoyenne dans les institutions de l’État. Le projet de réforme du système de santé du ministre Barrette en est la plus récente illustration. Il participe de l’accaparement des richesses vers les sommets de la société en refusant de remettre en question la fiscalité et en refusant de s’attaquer aux échappatoires fiscales de tout genre. Au contraire, sous prétexte de rendre la fiscalité plus concurrentielle, il s’apprête à la rendre encore plus inéquitable. L’attaque contre le projet de loi sur les retraites des employéEs municipaux participe de ces attaques contre une répartition plus juste des richesses.

En soutenant l’impossibilité de tout amendement à la constitution canadienne, en dédramatisant les menaces sur la langue française comme langue commune, en soutenant les entreprises guerrières d’Ottawa, en reprenant la politique des conservateurs sur le registre des armes à feu, les politiques du premier ministre Couillard s’inscrivent dans les politiques conservatrices visant à apporter sa contribution à la stratégie de nation building canadien du gouvernement Harper.

Relance du Plan Nord et dans sa suite, investissements dans Gaz Métro, construction d’infrastructures pour les minières, le gouvernement Couillard inscrit sa politique économique dans une logique extractiviste. Cette politique est la mise en oeuvre de la promotion des intérêts du capital financier et pétrolier qui vise à faire du Canada une puissance de première importance au niveau des exportations des énergies fossiles et cela avec le soutien de Washington.

La politique économique du gouvernement Couillard concrétise l’alliance de la bourgeoisie canadienne et québécoise autour de cette perspective. La vaste majorité de la bourgeoisie québécoise n’a pas de projet économique ou politique propre. C’est pourquoi, on peut dire qu,elle est apatride. Cette alliance implique également, non seulement le secteur fédéraliste, majoritaire de la bourgeoisie québécoise, mais également son secteur nationaliste. Il suffit de se rappeler les politiques mises de l’avant à ce niveau par le gouvernement Marois à cet égard et réaffirmées récemment par Pierre-Karl Péladeau : choix d’un développement marginal des énergies renouvelables qu’on laisse d’ailleurs aux mains du secteur privé.

Le glissement de l’ensemble du champ politique à droite résulte de l’offensive actuelle de l’ensemble de la classe capitaliste qui la considère comme la voie de sortie de crise.

Le capitalisme est en crise. La classe dominante est à l’offensive. Poser les possibilités de réformes à froid capables de s’imposer sans essayer de bloquer les projets de la classe dominante est une stratégie sans aucune crédibilité. Le glissement de la social-démocratie européenne comme de la social-démocratie canadienne sur une orientation ouvertement néolibérale une fois au pouvoir - dans l’opposition elle peut se payer le luxe d’une rhétorique sociale libérale - en est la claire expression.

Cela signifie qu’un projet économique, politique et social alternatif qui s’assume doit poser la nécessité d’en finir avec le projet de la classe dominante qui est de renforcer la concentration de la richesse, de justifier le renforcement des inégalités, et affaiblir durablement les organisations syndicales, populaires, féministes et jeunes qui résistent à leur projet antisocial. Un projet de réelle transformation sociale est un projet de rupture avec la logique économique que nous impose la crise capitaliste actuelle et les réponses que donne la classe dominante à cette crise...

Quelle politique énergétique ? Quelle politique industrielle ? Quelle politique fiscale ? Quelles politiques pour un Québec indépendant... qui n’accepte pas de construire son discours dans le cadre d’un État provincial ? Un projet alternatif doit donner des réponses claires qui vont dans le sens des intérêts de la majorité populaire. Il ne peut se contenter de mettre de l’avant des petits projets éclatés sans vision d’ensemble.

Le Parti québécois manifeste une incapacité organique à confronter la bourgeoisie canadienne et son État

La politique concrète du gouvernement péquiste s’est alignée complètement sur les intérêts de l’oligarchie régnante au Québec et sur une collaboration ouverte avec les projets de la bourgeoisie canadienne... Le gouvernement Marois a, encore une fois, démontré la politique pro-capitaliste des gouvernements péquistes comme cela a été le cas entre 1994 et 2003. La charte des valeurs démontrait un repli identitaire du PQ qui a eu pour effet de diviser la société québécoise sur une base ethnique ce qui a permis au PLQ de renforcer sa base électorale dans des communautés culturelles.

PKP est l’aspirant le plus sérieux à la chefferie du PQ. Le ralliement enthousiaste de nombre d’indépendantistes péquistes, y compris celui de syndicalistes ou ex-syndicalistes, à ce nouveau chef, est l’illustration d’une conception élitiste de la société et du mouvement indépendantiste. Le PQ est à la recherche d’un nouveau sauveur qui pourrait apporter l’indépendance au peuple sur un plateau d’argent. Tout le contraire d’une approche démocratique. Pas étonnant, que la berlusconisation du PQ, soit sa transformation en un parti dirigé par un grand magnat de la presse, devienne une question importante pour l’avenir du PQ. Son arrivée probable à la chefferie du PQ indique également la fausseté de leur prétention à remettre à plus tard le projet de société porté par le Parti québécois. PKP, par sa pratique, sa place et son rôle dans l’oligarchie au Québec, est un porteur d’un avenir politique précis pour le PQ. Si nombre de militant-E-s péquistes croient encore que le PQ doit être social libéral dans l’opposition, d’autres, particulièrement dans les sphères dirigeantes pensent qu’il est plus productif en termes électoraux, de courtiser la base de la CAQ et d’avancer les politiques pertinentes à cette fin.

Le secteur nationaliste de la bourgeoisie québécoise a toujours reculé aux moments cruciaux face à la rupture avec l’État canadien et elle est moins décidée que jamais, à faire un tel saut... C’est pourquoi l’écart entre les prétentions indépendantistes et les stratégies mises de l’avant par le PQ risque d’être particulièrement abyssal et déchirant... C’est pourquoi, nous entrons dans une période où le défi principal c’est de construire un nouveau bloc indépendantiste autour d’un projet de société égalitaire et autour d’un processus radicalement démocratique d’accession à l’indépendance par l’éllection d’une assemblée constituante. La majorité sociale, formée par les classes ouvrières et populaires, peut et doit devenir la majorité politique porteuse de ce nouveau projet d’émancipation sociale et nationale.

Cette perte d’hégémonie du Parti québécois sur le mouvement indépendantiste n’a donc pas fini de rebondir. La volonté de nombre d’indépendantistes de construire un mouvement de citoyen pour l’indépendance en l’illustration la plus parlante. Si l’on peut et doit appuyer le développement d’un mouvement citoyen pour l’indépendance, ce dernier, comme les autres mouvements sociaux, va s’orienter et fixer des objectifs à partir des débats politiques qui vont traverser les partis politiques. Cela pose des défis importants pour que ce mouvement citoyen ne soit pas inféodé aux Parti québécois et à ces orientations politiques.

Les mouvements sociaux et la résistance populaire à l’offensive de la classe dominante

Les mouvements sociaux ne pourront résister à l’offensive actuelle de la classe dominante que dans la mesure où ils sauront dépasser leur dispersion et leur division. Avec les prochaines négociations dans le secteur public, le mouvement syndical fait face à défi essentiel : convaincre la majorité de la population, à commencer par ses membres, de l’importance de ses revendications et la légitimité de l’action collective pour contrer les politiques gouvernementales, pour défendre les services publics et pour protéger les conditions de travail et de vie des employéEs des services publics ? Si le gouvernement parvient à ses fins, ce sont les femmes et les secteurs populaires les plus vulnérables qui vont en faire les frais... Dans la santé, le mouvement syndical fait face à la précarisation des conditions d’emploi, à la privatisation,à l’augmentation de la charge de travail... Dans l’éducation, les syndicats et le mouvement étudiant font face à des attaques similaires.

Les différents mouvements se voient poser des défis importants dont le premier est la possibilité d’agir collectivement autour d’une plate-forme commune. Toute une série de questions qui sont autant de défis doit trouver une réponse : comment construire l’unité populaire pour résister aux plans d’austérité du gouvernement Couillard ? Quels types d’actions seront nécessaires pour faire reculer le gouvernement et l’amener à renoncer à ses plans ? Qu’est-ce qui a empêché l’unité jusqu’ici et comment dépasser ces obstacles ? Comment lutter pour l’autonomie des organisations de la société civile face aux politiques d’intégration de l’État québécois ? Pour répondre à ces questions, collectivement, il faut pouvoir connaître, partager les expériences de lutte qui se développent dans différents mouvements.

Sans la construction d’un rapport de force en faveur des mouvements ouvrier et populaire et des autres mouvements sociaux, le projet politique de transformation sociale d’un parti politique de gauche ne pourra se réaliser. Construire un parti de gauche, c’est donc aussi contribuer à renforcer et à unifier les luttes concrètes contre les projets régressifs de la classe dominante et de ses alliés.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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