Édition du 23 septembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Qui fait la guerre à l’Europe ?

Après l’incursion de 19 drones russes sur la Pologne, dont 4 détruits par l’OTAN, puis une opération similaire dans le ciel roumain, ce sont des avions de guerre qui ont survolé, le 19 septembre, l’Estonie et les eaux estoniennes du golfe de Finlande ; et depuis, on ne compte plus les signalements de drones sur une aire européenne de plus en plus vaste, touchant maintenant à l’Allemagne, à la France et au Royaume-Uni, avec une concentration particulière sur le Danemark qui produit la fermeture récurrente des aéroports civils et militaires. A l’heure où sont écrites des lignes, un accident aérien a failli se produire au-dessus d’Amsterdam en raison de ces drones.

Dans les trois pays baltes, Lituanie, Lettonie et Estonie, la fabrique des drones est devenue une activité sociale massive, avec le conseil des Ukrainiens.

On peut, certes, s’amuser à se raconter, et, plus grave, à répéter dans le mouvement ouvrier, que la menace russe est, au choix, une invention de Macron, un thème de propagande ukrainienne, un épouvantail pour justifier le réarmement européen, voire, comme le développe le PTB en Belgique, un argument belliciste européen car Trump aurait missionné l’Europe pour prolonger la guerre en Ukraine et pouvoir s’occuper de la Chine, etc.

Il n’empêche que ces faits sont réels et interrogent – la Russie réagissant cyniquement à sa désignation comme auteur évident de ces provocations en les traitant de mensonges dont elle fait un motif supplémentaire d’agressivité …

En fait, depuis l’investiture de Trump, la « paix en Ukraine » puis le « cessez-le-feu » visant à livrer toute l’Ukraine si possible, et au moins tout le Donbass, à Poutine, préludaient clairement, à qui voulait bien comprendre les menées impérialistes réelles, à une offensive russe visant probablement la Baltique, la menace trumpienne et étasunienne s’accentuant dans le même temps sur le Canada et le Groenland.

Trump a échoué et, derrière lui, le projet étatsunien d’entente avec la Russie contre la Chine avec livraison de l’Ukraine à la Russie, a échoué, depuis plusieurs mois déjà.

D’une part, la domination économique chinoise sur la Russie a formé une sorte de « glue » dont la Russie ne sortira pas même si Trump lui livre la moitié de l’Europe.

D’autre part, l’Ukraine est invaincue, la « percée » russe opérée pour le communiqué à la veille du sommet d’Anchorage a été liquidée et écrasée, et surtout les opérations ukrainiennes contre les sites énergétiques russes et en mer Noire affaiblissent très réellement la Russie, lui barrant notamment la route en mer Noire et rouvrant même les rumeurs sur un projet de reconquête de la Crimée, ce qui semble utopique à court terme, mais pas si invraisemblable dans la durée.

Les mouvements de la jeunesse ukrainienne en défense de la séparation des pouvoirs à l’encontre de la présidence, qui ont obtenu des victoires rapides sans règlement sur le fond, s’inscrivent d’ailleurs comme un aspect de la combativité démocratique du peuple ukrainien, sur le front comme dans la rue.

Dans ce contexte, il ne faut pas accorder grande crédibilité au dernier en date des « revirements » de Trump sur l’Ukraine, prenant apparemment le parti de l’aider sérieusement : d’abord, ce n’est pas fait, et d’autre part, ceci participe de la crise interne aux Etats-Unis, sujet central sur lequel il nous faudra vite revenir, et probablement des inquiétudes de secteurs impérialistes à la suite du double échec de Trump – échec à décoller la Russie de la Chine, échec à livrer l’Ukraine à Poutine.

Accordons, cependant, toute sa signification au fait, étonnant à premier vue pour qui n’aurait pas saisi les évolutions rapides de l’année en cour, que le pays le plus harcelé par les opérations de drones russes et de « guerre hybride » se trouve être le Danemark. C’est, en effet, précisément le Danemark que, de l’autre côté (au plan géographique), Trump a pris pour cible en voulant annexer le Groenland. Nous avons là, en réalité, une des premières matérialisations directes de la possibilité de la guerre sur deux fronts, imposée à l’Europe par l’Axe néofasciste Trump/Poutine.

La double menace sur l’Europe est une réalité, et elle est au cœur, à Aplutsoc, de nos analyses sur la multipolarité impérialiste instable actuelle. Elle s’affirme de plus en plus fort ces derniers jours.

Cela ne veut pas dire que la guerre généralisée est imminente, mais bien qu’elle est possible. Et comprenons bien que la principale raison pour laquelle cela ne veut pas dire que la guerre généralisée est un risque à très court terme (mais à moyen terme, certainement), vient du fait que l’Ukraine est invaincue, et aussi que les mouvements sociaux sont là, comme en France, mais aussi en Serbie, où se déroule le plus long et le plus important des mouvements de la jeunesse dans ce continent depuis des décennies : la résistance ukrainienne et les mouvements des peuples sont, en Europe orientale et centrale, subjectivement reliés, et ils le sont au moins objectivement en Europe occidentale.

La Russie peut donc difficilement mettre en œuvre ce que Poutine s’est mis à préparer activement dès la victoire de Trump, à savoir l’attaque sur la Baltique, car celle-ci aurait « dû » faire suite au « cessez-le-feu » soumettant l’Ukraine, et il n’en est rien. La pression baltique et européenne qu’elle exerce actuellement doit donc plutôt s’interpréter comme un substitut à cette guerre qui n’a pas encore eu lieu, et aussi comme une tentative d’équilibrer la défaite stratégique que la Russie est en train de subir en mer Noire. Des dérapages étant évidemment possible : le jeu avec la guerre peut toujours échapper à ceux qui se prennent pour les meneurs de jeu.

Crier « guerre à la guerre » sans dire d’où vient la guerre, ou, pire, en accusant l’Europe, devenue aux yeux des campistes bien plus atlantiste que les Etats-Unis, d’être la fauteuse de guerre, c’est en réalité pratiquer l’union sacrée avec Trump et Poutine et, en filigrane, avec l’extrême droite européenne.

Qui fait la guerre à l’Europe ? Trump et Poutine, ce dernier directement tout de suite. Dire ce qui est n’implique nul soutien aux impérialismes européens, déboussolés par cette situation et structurellement incapables de la surmonter. Le gouvernement danois, qui poursuit désespérément ses achats d’avions aux Etats-Unis, est d’ailleurs une illustration exemplaire de cette incapacité.

L’internationalisme passe par la nécessité d’assumer la question de la défense et de la préparation à la guerre, qui n’implique nul soutien, bien au contraire, aux lois de programmation militaire du type Macron/Lecornu en France ou Merz en Allemagne, car ce n’est pas en gavant les trusts industrialo-financiers de l’armement, ni en produisant en masse des armes et des vecteurs nucléaires, que les peuples seront protégés.

Leur protection passe, tout de suite, par l’armement massif de l’Ukraine en drones, artillerie anti-aérienne, avions non programmés aux Etats-Unis, renseignement, et par l’emploi de la force navale pour liquider immédiatement et totalement le blocus génocidaire de Gaza.

Et cela, ce n’est évidemment pas la politique de Macron : ce devrait être celle d’un gouvernement démocratique représentant la majorité et défendant ses besoins en matière de défense comme dans les questions sociales et écologiques.

Toute campagne contre le « militarisme européen » qui récuse par avance cette alternative n’est en réalité qu’une campagne conduisant à l’union sacrée avec Trump, Poutine et l’extrême droite.

VP, 27/09/25

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