Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Récit de la journée de grève générale à Oakland, Californie, le 2 novembre dernier

Les policiers ont procédé à de multiples arrestations et il y a eu encore un peu plus de destructions en réponse. Mais le titre de USA Today, « Le port d’Oakland rouvert après des actes violents de protestation » passe à côté de l’essentiel comme l’ont fait la plupart des principaux médias.

The Nation, 3 novembre 2011
Traduction, Alexandra Cyr

Après avoir couvert la grande manifestation pacifique de Occupy Oakland hier, ce matin j’ai cherché les informations sur les arrestations, les gaz lacrymogènes et le vandalisme. Oui, certaines propriétés ont été vandilasiées. J’ai vu un groupe de gens vêtus de noir défonçant les vitrines d’une succursale de la Chase Manhattan Bank et d’une épicerie Whole Foods. Plus tard centainNEs des protestataires ont investit un bâtiment abandonné qui a déjà été le siège d’un groupe de défense des itinérants et qui a été fermé après des coupes dans son financement. À un moment donné quelqu’unE a allumé un feu de joie.

Il y a beaucoup à dire à propos de la grève générale d’hier à Oakland : des milliers de personnes ont fermé les banques et le cinquième plus grand port du pays. Ce qui était le plus frappant dans cette action, c’était le message d’une extrême discipline. Habituellement, nous associons la discipline aux campagnes politiques et la volonté explicite d’y répéter les messages. Cette fois ce que j’ai pu observer, c’est une autre forme de discipline, plus intégrée. Les participants parlaient des mêmes problèmes sans plan préparé, mais parce que leur expérience concrète est commune.

Les travailleurs et travailleuses de la municipalité se plaignaient des coupes de leurs salaires ; les parents protestaient contre les annonces récentes de fermetures de plusieurs écoles dans la ville ; les enseignantEs dénonçaient les difficultés que leur posaient les réductions de matériel pédagogique. Tous et toutes s’en prenaient aux grandes banques et aux pouvoirs des grandes entreprises au pays. Au fur et à mesure que le cortège avançait vers le centre ville, les manifestantEs étaient animéEs également de colère et de joie : la colère contre les banques et la joie d’ainsi rendre publiques leurs frustrations.

« Ma maison est sous saisie en ce moment même et la Chase veut me faire partir en pleine semaine de l’Action de Grâceii, » a déclaré Brenda Reed aux manifestantEs devant les bureaux de la Chase. « Mais je ne bougerai pas ! »

À sa demande, des centaines de personnes ont sorti leurs téléphones pour appeler Jaime Dimon, président de la Chase pour protester. Pendant que d’autres installaient les marques d’une de scène de crime autour de son bâtiment. Sachant qu’elle était visée par la manif. elle avait fermé ses bureaux. Quelqu’unE a crié : « On retire notre argent ! » en visant ATM et une grande bannière a été déroulée sur laquelle était inscrit : « Occupons les banques ! »

Le cortège de milliers de personnes, s’est dirigé vers la succursale de Bank of America qui était ouverte. Pendant quelques minutes les employéEs ont tenté de continuer leur travail comme si de rien n’était. Mais le slogan Fermez ! Fermez ! hurlé en masse à fait fuir les clients. En après-midi, toutes les grandes banques, Citibank, Wells Fargo, et les autres dans le centre ville d’Oakland avaient fermé. Il n’y a pas eu d’action contre les banques locales comme Community Bank of the Bay ; elles ont pu poursuivre leurs opérations.

Sur la place Frank Ogawa c’était la fête : spectacles musicaux à la queue leu leu, des douzaines de participants distribuant de l’information, des écrits, et offrant toutes sortes d’actions d’appui. La foule était extrêmement diversifiée : des bébés aux centenaires, des instituteurs-trices aux travailleurs de la construction en passant par les étudiantEs du secondaire et une flopée de chômeurs-euses.

Une des organisations encourageait les gens à partager leur histoire de membres du 99%. Il y avait des douzaines de personnes en train d’écrire sur ça (récits d’évacuation de leur maison, de factures de soins de santé qui les ont mené à la faillite. etc.), et d’expliquer ce qui les avaient motivéEs à joindre le mouvement. Tout ça était affiché sur les tentes. Ces souffrances ont été vécues et ressenties par tellement de monde mais en privé ; de les partager publiquement avec des milliers d’autres met un peu de baume sur la plaie.

Pour ceux et celles qui espéraient une journée totalement pacifique les choses ont très mal tournées en après-midi. Une manif « anti-capitaliste » est passée devant mêmes banques qu’en avant-midi. J’étais près de la Chase Manhattan quand quelqu’un s’est précipité hors d’un groupe vêtu de noir et s’est mis à défoncer les vitrines. La marche a continué ainsi pendant une heure environ cassant les vitrines au passage et scandant : « Nous sommes le prolétariat ! »
Bien sûr les médias se sont jetés sur ça alors que beaucoup dans le cortège appelaient à la non-violence. Plus tard le groupe violent s’est mis à lancer des chaises dans les vitrines de Whole Foods, une entreprise ouvertement anti-syndicale jusqu’à ce que d’autres manifestantEs les chassent de la manifestation.

Il faut le répéter : les partisanEs de la destruction des propriétés étaient une infime minorité ; leurs actions ont enragé les autres participantEs membres du dit prolétariat.

« On nous a dit de rester dans le cortège », déclarait une institutrice syndiquée, « Mais j’enseigne en 4ième année et je leur dis de s’en aller si quelque chose de condamnable se passe ! » Elle a fini par aller rejoindre la centaine de personnes qui ont quitté le cortège original pour mener leur propre marche pacifique. Plus tard à la Chase Manhattan ont avait affiché : « Nous sommes meilleurEs que ça ! »

En après-midi, une centaine de membres de Critical Mass Cyclists ont entraîné une vague de gens ver le Port d’Oakland. Il s’agissait de constituer un groupe suffisant pour fermer le port. À 17.30hres c’était fait. L’objectif le plus important de la journée était accompli : plus de trafic ni d’activité de ce côté. À peine si on pouvait s’y déplacer à pied ! Au bout de dix minutes l’annonce de la fermeture du port était officialisée.

Donc la grève générale avait atteint ses buts. La majorité des grandes banques et le port d’Oakland étaient fermés. Des milliers de personnes ont ainsi rejoint le mouvement. (Les estimations de la foule ne sont pas fiables, bien entendu. LA Times parlait d’au moins 7,000 marcheurs-euses. De mon côté j’ai remonté bicyclette une section serrée du cortège pendant 15 minutes…). Mais le plus important c’est que des gens ordinaires, ceux et celles qui ont les grandes banques, les too big to fail, sur le dos, ont pu les sortir de leurs affaires normales, ont pu les fermer.

Qu’est-ce qui viendra par la suite ? À chacunE sont appréciation. Mais la réconciliation entre les deux groupes, les casseurs-euses minoritaires, qui prônent la destruction des propriétés, et la vaste majorité qui s’oppose au vandalisme, continuera à provoquer des tensions. Pour le moment, les militantEs pacifiques de « Occupy Oakland » espèrent que leur exemple suscitera d’autres occupations. Pour ce qui est de l’action à Oakland même, de nouvelles réunions sont prévues, parce que comme ils-elles le croient, ce que vous faites le lendemain d’une action est aussi important que l’action elle-même.

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