Édition du 16 avril 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Rôle déterminant des femmes dans les changements sociaux : Vive la révolution soudanaise !

Aux Rencontres de la photographie d’Arles, une exposition retrace la révolution soudanaise de 2019. Le rôle des femmes y fut déterminant. C’est particulièrement intéressant à la lumière des changements actuels en Afghanistan.

Tiré du blogue de l’auteure.

En quelques minutes d’une vidéo virale, elle est devenue l’icône de la révolution soudanaise de 2019 : les images de la jeune Alaa Salah chantant un poème à la gloire de ce mouvement de fond contre la dictature militaire islamiste, vêtue d’une longue tunique blanche, avec ses chaussures à talons et ses immenses boucles d’oreille dorées, ont fait le tour du monde. Autour d’elle, la foule la filmait avec des centaines de smartphones en scandant : "Thawra !", "révolution".

Une exposition très visitée, "Thawra - révolution ! Histoire d’un soulèvement", est consacrée à ce grand moment de la contestation aux Rencontres photographiques d’Arles (jusqu’au 26 septembre). Si vous avez l’occasion de la voir, ne la ratez pas ! Cette révolution a été l’un des rares succès politiques - sans doute même le seul - parmi tous les bouleversements qui ont agité le monde musulman depuis les "printemps arabes" de 2011. Elle a abouti, non seulement à la chute du dictateur Omar Al Bachir, mais à un gouvernement de compromis mêlant civils et militaires, qui s’efforce de sortir le pays d’une crise économique aussi profonde qu’invalidante, aggravée par la pandémie.

Depuis deux ans, le désenchantement a certes douché les enthousiasmes ("On est libre de penser, mais pas de manger" constatait amèrement un militant interrogé il y a quelques mois par Le Monde à Atbara, berceau du syndicalisme soudanais), l’inflation est terrible : elle frôle 200%, contre 70% en 2019, beaucoup ont faim et certains en viennent à regretter l’ancien régime où "au moins on avait du pain". Pris à la gorge et poussé par l’administration Trump, le Soudan s’est résolu à se rapprocher d’Israël en échange d’une aide financière américaine qui lui permet de solder une partie de sa trop lourde dette et de retrouver le droit à des emprunts internationaux.

Un moment jubilatoire

Il n’empêche : la "Thawra" de 2019 demeure un moment jubilatoire, un sommet de l’émancipation collective, et il est particulièrement intéressant de voir aujourd’hui cette exposition, montée par la photographe Juliette Agnel avec sa collègue soudanaise Duna Mohammed qui figure aussi parmi les exposants, à la lumière des récents événements en Afghanistan.

À cause de la place prépondérante qu’y occupent d’emblée les femmes, très mobilisées parce ce sont elles qui souffraient le plus du régime imposé par les islamistes. "Elles n’avaient rien à perdre" résume Juliette Agnel, qui s’était rendue d’abord au Soudan pour un projet personnel du temps du régime Al Bachir, avant d’être happée par les événements. "Leur détermination était folle" raconte-t-elle, encore impressionnée par ce gigantesque sit-in au centre de Khartoum, point de ralliement pendant des semaines de tous les mécontents, qui décident de camper à "Al Qiyadah" (le "commandement") juste devant le siège du pouvoir militaire. On le sait, ils ne se sont pas laissés intimider par la terrible répression du 3 juin 2019, lorsque les forces spéciales ont dispersé avec une très grande brutalité les protestataires, laissant sur le carreau une centaine de morts, sur quelque 177 victimes au total.

Approvisionnement en eau et en électricité, WC, nourriture et thé préparés sous des tentes, centres médicaux - ces problèmes quotidiens sont promptement résolus par des gens habitués de longue date à un ordinaire spartiate, pour laisser toute la place à l’extraordinaire, à cette acmé du vivre-ensemble : concerts improvisés, bouillonnement de créativité, débats jour et nuit sur tous les aspects de l’existence, les rapports hommes-femmes comme la démocratie ou la place de la religion. Très organisés, ils se soucient vite de documenter le plus possible ce qui arrive et de collationner le maximum d’archives, qui seront sans nul doute un trésor pour le futur.

Voilée mais le verbe haut

On a un aperçu saisissant de cette explosion collective grâce au film (encore inachevé) de la cinéaste Hind Meddeb, d’ascendance tunisienne et algéro-marocaine, dont le long-métrage "Paris Stalingrad" (avec Thim Naccache), consacré aux migrants rejetés par le système français, est sorti au printemps sur les écrans. Un personnage central est en effet Souleymane, un réfugié du Darfour, une région de l’ouest du Soudan minée par un conflit armé. C’est lui qui l’a incitée à se rendre à Khartoum et à capter les séquences qui sont projetées dans l’exposition, à côté du travail de huit photographes soudanais, dont Ahmed Ano, Soha Barakat, Saad Eltinay, Eythar Gubara, Metche Jaafar, Ula Osman et Mohammed Salah.

Le plus frappant sans doute est de voir dans ce film comment parlent des femmes qui arborent toutes les variantes du foulard islamique (Juliette Agnel a constaté au fur et à mesure de ses trois voyages combien d’entre elles décidaient de "tomber le voile" pour aller tête nue), ce qui ne les empêche nullement de réclamer avec vigueur leurs droits. En particulier une jeune femme, le visage étroitement encadré par un hijab mais le verbe haut, qui s’occupe des nombreux enfants des rues, souvent des orphelins de guerre abandonnés à eux-mêmes, accueillis dans des ateliers où on leur permet d’apprendre, et où l’on écoute leurs propositions.

"On ne veut pas juste changer de dictateur, on veut changer le monde" proclamait une participante de la "Thawra". Et une autre soulignait : "On voit comment est le monde grâce aux réseaux sociaux, on voit comment vivent les femmes dans le monde entier".

Cette transparence accrue qui permet des comparaisons vaut aussi, aujourd’hui, pour l’Afghanistan : 70% de ses habitants ont accès à un téléphone cellulaire et environ un tiers de sa population fréquente les réseaux sociaux, rappelle dans le New York Times Richard Stengel, un ancien diplomate d’Obama. Si rétrogrades qu’ils soient, si acharnés qu’ils se veuillent à restreindre la liberté du "sexe faible", les talibans seront aussi confrontés à cette réalité-là.

Joëlle Stolz

Mexique puis de nouveau en Europe centrale - pour le compte de RFI, de Libération et, pendant 25 ans, du Monde -, je vis aujourd’hui à Vienne, dans une région souvent mal connue du public francophone alors qu’elle a beaucoup compté dans l’histoire de notre continent. Ce blog est l’occasion d’éclairer par des analyses, des billets d’humeur ou des portraits cette autre Europe que je fréquente depuis bientôt quatre décennies.

https://blogs.mediapart.fr/joelle-stolz

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