Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Chili

Une assemblée constituante démocratique et participative

Nous présentons ici un texte qui nous présente une conception de constituante dans le contexte chilien qui peut nous apprendre beaucoup sur les conditions de réussite d’une démarche constituante. (NDLR - Presse-toi à gauche)

Traduction : Presse-toi à gauche !

1. Une histoire de violence et de fraude

Tout au long de son histoire, les classes dirigeantes de ce pays ont légitimé leur pouvoir grâce à des mécanismes juridiques qui n’ont fait que perpétuer l’exploitation, l’abus de pouvoir, la dilapidation de nos ressources naturelles au profit des capitaux étrangers et la répression du mouvement populaire.

Maintes et maintes fois, ces mécanismes ont été mis en place par des coups de force, par des coups d’État ou des guerres civiles, au moyen de la répression des forces progressistes par les Forces armées. Chaque fois, cependant, les historiens officiels et les médias ont maquillé les faits et les ont présentés comme des produits d’un « consensus », comme le produit d’un processus « démocratique » .

On nous a présenté pendant plus de deux cents ans, les constructions oligarchiques et antipopulaires successives qui ont résulté de ces processus comme une « tradition démocratique », fruits de l’ensemble de la nation, dans un récit officiel qui cache et ne tient pas compte de l’extermination et de la répression contre les peuples aborigènes, de la servilité envers les capitaux étrangers, de la dure répression à laquelle ont été soumises toutes les manifestations de la majorité qui cherchait à construire un pays qui serait vraiment fait pour tout le monde.

Dans tous ces processus, les solutions juridiques mises de l’avant ont été proposées par une couche de fonctionnaires et par des politiciens serviles, par des représentants directs de l’oligarchie et des secteurs prêts à défendre leurs intérêts. La « politique nationale » n’a été qu’une longue série de tentatives de participation populaire réprimées d’une part, et d’accommodements et de trahisons des oligarques et des « politiques » d’autre part.

La « politique » actuelle, appuyée sur l’énorme pouvoir des nouveaux médias de masse a ajouté à cette tradition de violence une capacité renouvelée d’hypocrisie qui leur permet de se présenter comme « progressiste » alors qu’ils ne servent que les intérêts des puissants, et comme « modérée » alors qu’ils ne font qu’accepter et prolonger l’état de fait mis en place par la dictature militaire.

 [1]

Nous sommes aujourd’hui devant une conséquence naturelle de cette hypocrisie traditionnelle : de nombreuses voix se font entendre pour demander une nouvelle constitution, recueillant les revendications du mouvement social, les présentant comme si elles étaient leurs propres drapeaux, mais se gardant bien de préciser les mécanismes qui pourraient conduire à un tel résultat.

Appelée à se prononcer de manière plus concrète, la Concertation s’est transformée en une « Nouvelle majorité », responsable de prolonger, de soutenir et d’améliorer la Constitution de Pinochet, précisant que ce grand changement se ferait « par les voies institutionnelles. »

Pour tout chilien conscient, cependant, il est très clair que le cadre institutionnel actuel contient toutes les entraves sur les « voies institutionnelles » conduisant à un processus constituant véritable. Dans la mesure où le quorum de la supramajorité manque, le plus probable c’est que le nouveau gouvernement doive se conformer strictement aux réformes constitutionnelles que la droite voudra bien accepter, se conformer strictement aux intérêts oligarchiques. Il ne serait pas surprenant, compte tenu des pratiques gouvernementales de ces vingt dernières années, que la Coalition de la « nouvelle majorité » nomme ce processus frauduleux fait dans le dos de vaste majorité de la nation, une « nouvelle constitution ». C’est ainsi que se répétera la fraude commise lors du changement de la loi constitutionnelle sur l’éducation (LOCE ) par la loi générale de l’éducation (LEGE ), sans en altérer le moins du monde son contenu profondément commercial. Il s’agit de la « Nouvelle politique », « modérée » et « responsable » : changer « tout » , dans un grand discours tonitruant, sans opérer de changement vraiment significatif, sans même aborder la substance : les intérêts oligarchiques transnationaux qu’ils ont pris l’habitude de protéger.

2. La lutte pour une perspective démocratique

Nous ne devons pas permettre que l’histoire se répète encore une fois. Nous ne pouvons pas admettre que la demande pour une nouvelle constitution reste dans les mains d’un comité d’experts nommés à partir de l’actuel consensus politique. Nous ne pouvons pas accepter que le « pouvoir constituant » soit confié l’actuel Congrès national, élu par le système bipartisan, qui est l’une des institutions les plus critiquées par la plupart des citoyens. Nous ne pouvons pas permettre qu’une fois de plus, on nous impose de nouvelles institutions par en haut, sans remettre en cause les injustices profondes qui traversent notre vie nationale.

Seul un long combat citoyen, très ample, dans lequel convergeront les secteurs idéologiques les plus divers pourra affirmer que l’essentiel ne peut être que le droit de l’ensemble du peuple, d’actualiser directement sa souveraineté.

Pour cela, la seule façon acceptable est qu’une nouvelle constitution pour le Chili soit discutée et proposée par une Assemblée constituante et qu’elle soit ratifiée par un plébiscite véritablement démocratique par tous les citoyens.

Demander la formation d’une Assemblée constituante, cependant, ne suffit pas. Beaucoup de grandes assemblées et d’importantes commissions de divers types et origines pourraient se multiplier, en particulier par la magie d’une propagande massive intéressée à présenter un nouvel accord oligarchique comme le résultat de la volonté populaire.

Il est nécessaire de spécifier précisément quel type de Constituante peut être considérée véritablement comme démocratique . Définir clairement les conditions qui doivent régir sa formation, ses délibérations et ses résultats. Sans cela, nous ne pourrons que répéter le spectacle « politique » démagogique et de servile auquel nous avons assisté au cours des trente dernières années.

Pour cela :

a. Nous avons besoin, d’abord, d’une grande assemblée constituante, élue notamment dans cet objectif, à la proportionnelle, de telle sorte que tous les secteurs de la société (y compris les Chiliens résidant à l’étranger ) soient représentés. Pour cela, sera inacceptable tout mécanisme ne passant pas par des élections ouvertes, ou qui comporteront des restrictions comme le système bipartisan, ou ces possibles avatars. De même, il est inacceptable qu’un tel caractère soit attribué au Congrès national, ou à des conseils municipaux issus de l’élection précédente ou suivante. Ceci implique une représentation spéciale des zones excentriques du pays et des peuples autochtones, en plus d’élection de constituants ayant les moyens de garantir leur indépendance, dotés des budgets et de l’infrastructure nécessaire à la réalisation de leur travail.

b . Il est nécessaire que les délibérations de l’Assemblée constituante ne se limitent pas à approuver ou à rejeter des alternatives et des propositions constitutionnelles faites par des commissions d’« experts ». Il n’est pas acceptable que sous le couvert de « l’expertise » soit escamotée une authentique capacité de proposition et de délibération des représentants directs des citoyens. Il faut préciser que la constituante doit fonctionner dans les limites précédemment définies pour se conformer à son mandat.

c . Nous avons besoin d’une Assemblée constituante participative, qui est en mesure de convoquer d’amples consultations partielles dans toutes les instances de participation citoyenne intermédiaire. Elle pourra ainsi mener à bien un processus consultatif et éducatif complet : dans les syndicats, les universités, les organisations de genre, les écoles et les collèges, les municipalités, les organisations sociales, chez les peuples autochtones, et les associations d’entrepreneurs. L’Assemblée devrait organiser un vaste processus constituant où toutes les voix pourront être entendues et où tous et toutes se sentiront accueillis. Actuellement, il existe des moyens technologiques efficaces grâce auxquels il est possible d’encourager et d’organiser cette participation. Il est nécessaire de fournir à l’Assemblée constituante ces outils, en particulier l’Internet, afin de mener des enquêtes et des consultations partielles, de générer des forums et des prises de parole, de recevoir des propositions et des objections et de rendre publiques et complètement transparentes toutes ces délibérations.

d. Pour que ce processus constitutionnel débouche sur un résultat véritablement démocratique, nous devons éviter à tout prix les processus de négociation entre les élites politiques installés à l’Assemblée et les pouvoirs de facto, qui en toute sécurité, l’entoureront. Une façon de se prémunir contre cette réalité qui a été celle de toute l’histoire du Chili, c’est d’exiger que le maximum de sujets particuliers soient soumis à un référendum, c’est-à-dire, qu’ils soient tranchés par l’ensemble des citoyennes et des citoyens. La façon d’y parvenir est d’ exiger que l’Assemblée ne puisse adopter que les propositions pour lesquelles elle pourra réunir l’accord des deux tiers de ses composants effectifs. Justement, pour obtenir que toutes les questions critiques jusqu’à leur acceptation ou à leur rejet par la majorité du peuple tout entier, nous devons utiliser le critère d’un quorum surmajoritaire, qui jusqu’à présent a seulement été une ressource de l’oligarchie pour protéger ses intérêts.

e . Cette exigence majoritaire doit déboucher sur un plébiscite dans lequel les citoyens et citoyennes se prononceront sur les alternatives constitutionnelles. Nous ne pouvons pas nous permettre qu’on nous présente un plébiscite où nous aurons qu’à dire oui ou non à ce que les élites politiques seront parvenues à négocier à l’Assemblée. Le maximum de questions, en particulier les plus pertinentes, doit être soumis directement à la volonté populaire.

f . C’est seulement après cette consultation populaire présentant des alternatives qu’il sera acceptable qu’une constitution soit rédigée dans le strict respect de son mandat et elle devra elle-même être approuvée par plébiscite.

3. L’Assemblée constituante n’est qu’un moyen

Seule une Assemblée constituante élue à la proportionnelle, délibérative, participative, opérant à travers le quorum supramajoritaire, qui produit et soumet à un référendum les alternatives constitutionnelles pourra offrir des garanties pour la rédaction d’une nouvelle constitution véritablement démocratique.

C’est une grande tâche politique. Jamais dans notre pays un processus d’une telle importance n’a eu lieu. C’est une excellente occasion de tester la capacité politique du mouvement populaire chilien de contester de manière substantielle les pouvoirs oligarchiques qui nous ont dominés et les élites politiques qui se sont pliées à cette domination. Il est certain que les grands processus de transformation sociale ne passent pas seulement des changements à l’appareil juridique d’un pays. Toutefois, sans ce changement, ils ne sont pas vraiment possibles. Il est vrai que, placées face à un moment historique menant au rapetissement de ses privilèges centenaires, les classes dirigeantes pourront recourir une fois de plus, comme elles l’ont souvent fait, à la force brutale. Mais il y a quelque chose de pire que l’oppression continue et la répression éventuelle : c’est de ne pas se battre et de ne pas se donner la possibilité de les vaincre.

L’Assemblée constituante n’est qu’un moyen. Mais elle peut être un moyen de nous mettre de nouveau sur la voie de notre libération.

Forum pour l’Assemblée constituante

Santiago, 15 janvier 2014

Courriel : foroporlaasembleaconstituyente@gmail

Twitter : @foroporlaAC

Facebook : https://www.facebook.com/convergenciaconstituyente

Page Web : http://www.convergenciaconstituyente.cl


[1Le membre de notre forum, Felipe Portales, a exprimé son désaccord quant à l’exactitude et à la nature des recommandations explicites présentées dans ce document. Sa position sur ce point est la suivante : « Comme notre Forum pour l’Assemblée constituante est, à la différence des partis politiques chiliens actuels une organisation pleinement démocratique et respectueuse des opinions dissidentes , je tiens à exprimer mon désaccord avec le document ci-dessus. Plus qu’un désaccord sur le contenu précis de ce document, je pense qu’il est préférable à une suggestion spécifique d’Assemblée constituante de renforcer les possibilités démocratiques alternatives d’ une Assemblée qui pourrait avoir dans sa composition et sa méthodologie pour mériter un tel nom. De cette façon, je crois que cela améliorerait l’exercice démocratique auquel nous appelons la société chilienne . "

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