Édition du 23 avril 2024

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Immigration

Nouvelle loi française sur l’immigration et l’intégration

Une loi de stigmatisation ethnique

Une fois de plus, la droite française agite le spectre de l’immigration qui selon elle hante la France. La nouvelle « loi sur l’immigration et l’intégration » du gouvernement semble faite sur mesure pour stigmatiser les immigrants en provenance de pays du Tiers monde, pour ainsi renforcer leur statut de citoyens de seconde zone.

Elle reflète en ce sens le ralliement de la droite UMP aux idées du Front national sur l’immigration. Face à cette décadence politique des représentants de la bourgeoisie, seul un mouvement de résistance populaire et socialiste offre une alternative à la hauteur des intérêts des classes populaires.

Une loi de stigmatisation ethnique

Nicolas Sarkozy en avait fait un thème majeur de sa campagne présidentielle : sa promesse aux Français était de faire de « l’immigration subie » une « immigration choisie ». Derrière le jeu de mots se profilait déjà l’idée que les immigrés en France sont un « problème » et non pas un atout pour la communauté nationale.

Cette sélection est au cœur du « projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile » du gouvernement. Elle se traduit par une série de barrières administratives au regroupement familial. Les principaux articles du projet de loi (articles 1 à 5) concernent donc l’immigration pour motifs familiaux, c’est-à-dire le regroupement familial. Pour qu’un candidat au séjour prolongé reçoive son visa par les autorités, il devra en vertu de cette loi attester dans son pays d’origine d’une connaissance suffisante du français (art. 4) et des valeurs républicaines (art. 5), dispositions faisant l’objet d’un suivi au moyen d’un « contrat d’accueil et d’intégration » conclu avec l’Etat français (art. 3).

De plus, les candidats au regroupement familial devront attester de ressources financières (du chef de famille) s’élevant au salaire minimum (Smic), soit un minimum d’environ 1200 euros par mois (art. 2). Par conséquent, un travailleur étranger travaillant au noir (travail au noir souvent imposé) ou en chômage temporaire ne pourra pas faire venir les siens. L’article 2 souligne également que les ressources financières devront être à la hauteur de la taille de sa famille. En d’autres termes, familles nombreuses s’abstenir. D’autre part, les dispositions de la loi entretiennent un flou évident quant au niveau requis de la connaissance du français et des valeurs républicaines, ce qui risque de se traduire par une politique arbitraire de refus au séjour en France.

En revanche, la loi Hortefeux (ministre de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale) prévoit de faciliter la mobilité des cadres d’entreprises multinationales.

L’article 12 de la loi relatif aux « salariés en mission » leur donne en effet carte blanche en stipulant qu’aucune évaluation de leur français et de leur républicanisme ne sera exercée par l’état.

Enfin, le 12 septembre dernier un amendement parlementaire au projet de loi prévoit la « vérification de filiation biologique » au moyen de tests ADN pour les « cas de doute sérieux sur l’authenticité de l’acte d’état civile » des candidats au regroupement familial. Ces tests seraient par ailleurs aux frais des demandeurs de titres de séjour : 300 euros en moyenne.

Proposé par le député UMP du Vaucluse Thiery Mariani, cet amendement soulève des problèmes juridiques car la filiation ne repose sur aucune base biologique dans le droit français. De fait, la pratique ouverte de tests ADN est formellement interdite en France, sanctionnée par une amande de 15 000 euros et un an d’emprisonnement (loi de bioéthique de 2004).

On pourrait penser que l’amendement Mariani est une bourde de certains réactionnaires de l’UMP. Mais les faits contredisent une telle interprétation. François Fillon, premier ministre du gouvernement a en ce sens souligné le 7 octobre lors du conseil national de l’UMP que les tests ADN n’étaient qu’ « un détail masquant l’essentiel ». selon le chef du gouvernement, le projet de loi, l’amendement Mariani y compris, ne doit pas faire rougir ni la majorité parlementaire ni les Français ayant mandaté la droite au pouvoir. Au-delà des prétentions gouvernementales, cette loi vise directement les immigrés issus de pays du Tiers monde, notamment ceux en provenance de l’Afrique. En institutionnalisant dans la loi un climat de suspicion permanente à l’égard des immigrés, le gouvernement met en place rien de moins qu’une stigmatisation ethnique, contraire aux principes républicains qu’il prétend défendre. Et précisément en cela, ce dossier a un enjeu politique pour l’ensemble du peuple travailleur. La signalisation des immigrés n’a d’autre but que de renforcer leur statut marginalisé, accroître leur exploitation et aussi pacifier les secteurs rebelles de la société française au moyen d’une campagne démagogique qui détourne l’attention publique de dossiers plus épineux.

Des gouvernements aux idées réactionnaires

Cette stratégie gouvernementale du bouc émissaire que traduit la loi Hortefeux s’enracine par ailleurs dans une idéologie ouvertement réactionnaire calquée sur une partie du programme du Front national. Dès le lendemain de la victoire de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles, le Ministère de l’Immigration est devenu aussi de « l’Intégration de l’Identité Nationale et du co-développement ». Comme si l’identité des français était unique et juridiquement définissable. En parallèle à cette thématique, la droite réclame depuis longtemps la « fin de la repentance » au sujet des crimes et des responsabilités de l’impérialisme français. La loi de février 2003 prônait en ce sens l’enseignement des aspects positifs de la colonisation aux élèves des écoles françaises. Puis, dans son discours de Dakar, Sarkosy a réitéré sa vision colonialiste des pays anciennement colonisés par la France, parlant de l’ « homme africain », lui prisonnier d’une histoire immobile et incapable de progrès historique.

En parallèle, le gouvernement Sarkozy-Fillon n’a pas cessé depuis le mois de mai de faire la classe aux sans-papiers. Brice Hortefeux a surnommé dernièrement les préfets pour que ceux-ci atteignent les quotas fixés par les autorités dans les reconduites aux frontières.
On peut s’imaginer des abus qu’entraîne en pratique cette course aux résultats prônée par le gouvernement. La preuve en a été donnée cet été lors d’une intervention de la police au domicile d’une famille russe. Le père s’est enfui par le balcon, mais son fils, Ivan, est tombé en tentant de faire de même du quatrième étage. Il est sorti du coma après quelques semaines.

Plus tragique encore, l’histoire de Chulan Liu. Cette chinoise de 51 ans en situation irrégulière s’est défenestrée le 20 septembre dernier à la vue des policiers dans son immeuble. « Autrefois, c’était les ratonnades, puis les descentes dans les foyers de Maliens, les boucs émissaires, ce sont les chinois » explique un vieux Kabyle cité dans L’Humanité (22 sept. 2007, p.4).

Le gouvernement avait même prévu de mettre sur pied une base de données, baptisée « Base Élèves », dont les informations sur les élèves des établissements scolaires comprenaient la date d’entrée sur le territoire national, le pays d’origine et les références culturelles. Puis finalement, face à l’opposition rencontrée de la part de plusieurs directeurs d’école, les autorités ont décidé d’abandonner ce projet. Dans le même registre, au Ministère de l’Intérieur, le contrôle au faciès (racial profiling) est de plus en plus une pratique admise par la police nationale. Au total, il s’avère difficile de distinguer la différence entre l’action gouvernementale de Sarkozy-Fillon-Hortefeux et le programme de l’extrême droite. Que ce soit dans le dossier de l’immigration ou celui des sans-papiers, la classe dirigeante fait preuve d’une idéologie empreinte du poison de la haine raciale et ethnique.

Une seule alternative : la résistance populaire

La droite et l’extrême droite croient résoudre ainsi l’insécurité, la délinquance et le chômage. Pourtant, ce qui importe de souligner c’est que les « immigrés » ne sont devenus un « problème » que depuis la crise capitaliste des années 1970. Le vrai problème n’est donc pas l’immigré fraudeur, délinquant, peu intéressé à s’intégrer et abusant de la générosité française. C’est plutôt la précarité sociale causée par un système qui est en panne depuis trois décennies. L’histoire de tous les pays capitalistes démontre en effet que les périodes marquées par la xénophobie sont aussi celles des difficultés économiques et sociales.

Or le chauvinisme ambiant sur lequel s’appuie le gouvernement doit être combattu au sein même des classes populaires. Reconquérir les électeurs populaires du Front national sur des bases socialistes doit faire partie de cette perspective politique. C’est seulement en expliquant l’effet anesthésiant de la stratégie du gouvernement sur le mouvement social que l’on peut faire ressortir l’intérêt à s’opposer à la loi sur l’immigration et les autres mesures similaires. Les classes populaires n’ont en effet aucun intérêt à se ranger derrière la stigmatisation ethnique de la classe dirigeante. Au contraire, elles ont un intérêt vital à renforcer leur solidarité de classe avec leurs frères et sœurs étrangers.

L’opposition à la loi sur l’immigration dépasse de loin les seules formations politiques de l’extrême gauche. Même certains membres du gouvernement – Fadela Amara – se sont prononcés contre. De même, des députés UMP remettent en question les fondements juridiques de l’amendement Mariani. Le PS quant à lui s’oppose seulement à l’amendement Mariani, et accepte le principe de la maîtrise des « flux migratoires ». De même pour les centristes autour de François Bayrou et les Verts. La Ligue des droits de l’homme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP) s’opposent cependant à l’intégralité de la loi, soulignant que la capacité de vivre avec sa famille fait partie des droits de l’homme. Néanmoins, seule l’extrême gauche offre une perspective politique de classe sur ces questions qui dépassent les limites de l’indignation morale et des plaidoyers des droits de l’homme.

En ce sens, la meilleure et peut-être la seule véritable opposition au gouvernement au sujet de l’immigration ne peut s’appuyer que sur une plateforme de quatre demandes : l’abrogation de la loi Hortefeux, la régularisation des sans-papiers, l’octroi du droit de vote aux immigrés résidents permanents en France, et l’ouverture des frontières. Ces demandes peuvent apparaître à plus d’un comme une utopie. Elles n’en demeurent pas moins très « pratiques » et réalisables. Ne disait-on pas avant que le droit de vote ne soit accordé aux femmes que c’était une utopie dangereuse ? Quant à l’ouverture des frontières n’est-elle pas déjà une réalité pour les pays d l’Union européenne des Quinze ? Puis, l’abrogation d’une loi est chose qui s’est déjà faite pour d’autres lois, tout comme il existe des exemples étrangers de régularisation massive des sans-papiers (Espagne, Italie). A condition de bien comprendre que ces mesures s’inscrivent dans une perspective de transformation sociale et non pas de régression conservatrice.

Quelles que soient leurs demandes précises, une chose est certaine. Les forces de gauche doivent se prémunir du poison du chauvinisme et de la haine ethnique. Car les perdants à ce jeu ne sont pas seulement les immigrés : ce sont aussi les mouvements sociaux puisqu’en place et lieu de la conscience de classe on trouve l’alignement derrière le chauvinisme gouvernemental. Nul besoin de souligner l’effet stérilisant qu’une telle position peut avoir pour le mouvement ouvrier. Ce dernier doit donc combattre la dernière loi sur l’immigration du gouvernement Sarkozy – Fillon afin de chercher à réaliser la plus grande unité entre Français et non-Français autour des enjeux politiques et sociaux qui les concernent tous.

Mots-clés : France Immigration

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