Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Une révolution au Québec en 2022 ?

tiré du blogue de Jonathan Durand Folco http://www.ekopolitica.info

Alea jacta est ! Les membres de Québec solidaire ont jeté les dés en décidant de refuser toute entente électorale avec le Parti québécois. Nous pouvions déjà anticiper les réactions spontanées : « QS a décidé de militer pour la réélection du PLQ. On s’y attendait », dixit Mathieu Bock-Côté ; Québec solitaire, parti bien pensant, dogmatique, sectaire, qui fait passer ses intérêts partisans au détriment de l’intérêt général. Une réaction normale, prévisible, qui fera sentir ses conséquences négatives au cours des prochaines semaines. Pour plusieurs, l’horizon semble bloqué, car les derniers sondages laissent planer la possibilité bien réelle d’une réélection du Parti libéral en 2018. Québec solidaire aurait-il fait un mauvais choix, en privilégiant la pureté morale et une vision à court terme ?

Bien au contraire, car il vient de jeter les bases d’un mouvement qui changera le visage du Québec dès 2022. Outre les considérations éthiques qui ont miné les pactes électoraux (notamment les divergences sur la question identitaire), les solidaires ont voté, peut-être inconsciemment, pour le meilleur choix stratégique. Après tout, la politique n’est pas d’abord une question de valeurs, bien que les convictions et les orientations politiques jouent un rôle primordial ; non, la politique est l’art des conséquences, la capacité à transformer le monde à travers les circonstances dynamiques de l’Histoire.

Donc, qu’est-ce qui nous attend à court et moyen terme ? Il faut rappeler ici la distinction cruciale entre la tactique et la stratégie ; un pacte électoral est une tactique, c’est-à-dire un moyen utilisé dans le cadre d’un combat (politique) pour atteindre un objectif déterminé, tandis que la stratégie désigne la conduite générale d’une guerre, ou plutôt l’organisation de multiples actions au sein d’un plan d’ensemble afin d’atteindre un but. En ce sens, Lisée est un habile tacticien, mais il est un piètre stratège, car la stratégie nécessite une vision. Pour que cette vision soit effective, elle doit être liée à l’anticipation des réactions de ses adversaires dans un contexte dynamique, car dans une partie chaque joueur doit prévoir plusieurs coups à l’avance. C’est pourquoi nous devons tirer les conséquences d’un refus des alliances entre les solidaires et péquistes.

Séquence 1 : la convergence PQ-CAQ

Après avoir fait porter le blâme de la non-convergence sur le dos des solidaires, le PQ devra faire un virage à 180 degrés. Le problème, c’est que Lisée n’est pas bien positionné pour battre les libéraux en 2018. Conséquence : il devra forcément faire une tentative de rapprochement du côté de la CAQ. Bien que plusieurs personnes restent sceptiques face à cette possibilité, le PQ n’a jamais été aussi près d’un tel scénario. D’une part, plusieurs personnes militent pour cette convergence nationaliste, dont Mathieu Bock-Côté ou encore Stéphane Gobeil (péquiste et ex-conseiller de Pauline Marois) qui a rejoint la CAQ il y a un an pour favoriser la concrétisation de ce rapprochement. D’autre part, les récents sondages indiquent qu’une alliance PQ-CAQ serait encore plus puissante qu’une convergence PQ-QS (46% pour la première option vs 39% pour la deuxième). Cela signifie que le PQ et la CAQ ont un intérêt objectif à s’allier pour battre le PLQ, car sans cette alliance ils seront incapables de prendre le pouvoir sur leur propre base.

Plusieurs soulèveront les obstacles à cette alliance qui semble contre-nature à première vue. Néanmoins, les apparences sont trompeuses ; le choix de Lisée de ne pas proposer de référendum dans un premier mandat et sa ligne identitaire de « concordance culturelle » sont tout à fait compatibles avec le virage nationaliste récemment opéré par la CAQ. Les deux partis convoitent exactement la même base électorale, et les obstacles programmatiques sont beaucoup moins importants que dans le cas du rapprochement avorté entre le PQ et QS. Autrement dit, une convergence de type « union nationale » est beaucoup plus « naturelle » pour le PQ qui a renoncé au projet d’indépendance à court terme et qui essaie d’épouser l’évolution de son électorat vieillissant.

Évidemment, une tentative de convergence ne signifie pas qu’il y aura effectivement une alliance. La récente montée de la CAQ dans les sondages pourrait amener Legault à snober son adversaire pour mieux le laisser couler. C’est une possibilité, mais il est fort probable que la résilience du PLQ et sa capacité à rester premier dans les intentions de vote obligera Lisée et Legault à négocier. Dans tous les cas, le PQ n’a pas le choix d’essayer un rapprochement s’il veut éviter la catastrophe en 2018 ; il pourrait donc proposer des pactes électoraux comme il l’a fait avec QS. Nous pourrions même envisager une alliance élargie, non pas une fusion, mais une sorte de plateforme commune pour les deux partis qui négocieraient plusieurs circonscriptions dans le but de former un gouvernement de coalition. Contrairement à la convergence progressiste qui était proposée à QS, le poids de la CAQ implique que les pactes électoraux ne seraient pas limités à un petit nombre de comtés.

Séquence 2 : Union nationale ou austérité libérale

Deux principaux scénarios se présentent pour 2018 : 1) la réussite d’une alliance PQ-CAQ pourrait mener à la formation d’un gouvernement de coalition nationaliste ; 2) l’échec d’une telle alliance mènerait à une réélection des libéraux, puis à une crise majeure du PQ et de la CAQ. Pour la gauche, les deux scénarios comportent leur lot de risques et d’opportunités, d’avantages et d’inconvénients. Dans le premier cas, une coalition PQ-CAQ libérerait un espace sur l’échiquier politique pour favoriser la croissance de Québec solidaire qui irait chercher une partie de péquistes déçus, frustrés ou désillusionnés par le rapprochement avec la CAQ. D’une certaine façon, le fait que QS ait refusé une alliance avec le PQ jette tout droit ce parti dans les bras de la CAQ. En contrepartie, l’inconvénient de ce scénario est de favoriser l’élection d’un gouvernement bock-côtiste, c’est-à-dire national-populiste et conservateur.

Dans le deuxième scénario, l’Union nationale ne triomphe pas, mais l’austérité libérale revient au galop pour quelques années encore. Il s’agit d’un scénario tout aussi problématique pour la population du Québec, et nul ne peut s’en réjouir. Par contre, la gauche peut encore bénéficier d’une certaine croissance, car la stratégie opportuniste du PQ aura échoué et ce parti sera alors en lambeaux. Cette situation ouvrirait donc la porte à une reconstruction du mouvement souverainiste, mais sous le leadership solidaire si la gauche réussit une percée en 2018. Et c’est de cette éventualité que naît la possibilité d’une transformation politique dès 2022.

Expliquons-nous davantage.

Tout d’abord, plusieurs croient que Québec solidaire sera encore confiné à Montréal lors des prochaines élections. Les sondages actuels prévoient entre 4 et 6 circonscriptions, ce qui est tout à fait possible, mais peu plausible compte tenu de la dynamique en cours. Il s’agit d’une projection fondée sur l’état actuel du parti, avec l’arrivée récente de Gabriel Nadeau-Dubois. Or, celui-ci a affirmé à de nombreuses reprises qu’il entendait présenter une « équipe du tonnerre » lors des prochaines élections, ce qui suppose que plusieurs figures publiques pourraient se joindre dans un avenir rapproché. Cela aurait un impact considérable et favoriserait une percée de la gauche dans différentes régions du Québec. Si le PQ se tourne du côté de la CAQ, cette nouvelle équipe de candidatures pourrait convaincre une partie de la population de se tourner vers le vrai vent fraîcheur, et non vers un parti moribond. Cela peut sembler bêtement électoraliste et basé sur un pur calcul médiatique, mais c’est bien à ce niveau que pourraient se jouer les prochaines élections. Disons que GND va chercher 4 ou 5 candidatures célèbres, que les nouveaux outils numériques de mobilisation sont mis en place, et que la montée de QS se consolide ; le parti pourrait facilement obtenir entre 7 et 12 sièges dès 2018.

Bien sûr, cela ne sera pas suffisant pour contrer une éventuelle Union nationale ou l’austérité libérale. Mais il n’en demeure pas moins que la scène politique sera profondément bousculée, et que la gauche indépendantiste sera une véritable force politique dès 2018. Dans cette importante reconfiguration, le retour d’une figure politique centrale pourrait jouer un rôle déterminant dans la reconstruction d’un mouvement qui pourrait prendre le pouvoir en 2022.

Le retour de Jean-Martin Aussant

Jean-Martin Aussant a affirmé à plusieurs reprises qu’il reviendrait un jour en politique active. La question n’est donc pas de savoir s’il reviendra, mais à quel moment. L’ancien chef d’Option nationale pourrait revenir avant 2018, ou après les prochaines élections. Dans le premier cas, si l’alliance voire la fusion entre QS et ON aboutit, JMA n’aura pas le choix de se joindre à la gauche indépendantiste. GND a discuté avec son collègue de Faut qu’on se parle d’une telle possibilité, et JMA ne pourrait jamais revenir au sein du PQ de Lisée qui a renoncé à un engagement indépendantiste ; il trahirait alors ses propres convictions et son ancienne formation politique. Le retour de JMA avant 2018 donnerait un élan certain à Québec solidaire qui pourrait alors effectuer sa percée hors de Montréal et rallier beaucoup plus large.

Mais JMA pourrait décider de revenir après 2018. Dans ce cas, il pourrait rejoindre les solidaires, mais il pourrait aussi opter pour le PQ qui serait en pleine déconfiture. L’échec de Lisée serait immédiatement suivi de son départ, et JMA pourrait être tenté de jouer le rôle de « sauveur » en ramenant le PQ sur le droit chemin, avec une ligne clairement progressiste et indépendantiste. Dans cette éventualité, ce serait peut-être une perte immédiate pour QS, mais il faudrait alors considérer la possibilité d’une véritable convergence progressiste et indépendantiste pour les élections de 2022. La montée de QS en 2018 aura donné un réel poids à ce parti afin qu’il puisse négocier une plate-forme politique commune, voire une alliance pour former un gouvernement de coalition (ce qui n’a jamais été le cas pour la convergence suggérée par Lisée). Il faut noter ici que les éléments conservateurs du PQ auraient été neutralisés, qu’ils auraient rejoint la CAQ ou une nouvelle formation national-populiste.

Or, ce scénario d’une convergence QS-PQ en 2022 ne pourrait pas se réaliser si l’alliance PQ-CAQ se concrétise d’ici 2018. Dans ce cas, JMA ne pourrait revenir au PQ et il serait obligé de joindre les rangs solidaires pour favoriser la construction d’une véritable force indépendantiste. Dans ce monde possible, il faut imaginer qu’il y a aura alors trois blocs politiques : l’union nationale-conservatrice, le bloc libéral et le bloc populaire-démocratique. Le PQ aurait alors décidé de rompre complètement avec le projet indépendantiste et ses bases progressistes pour assurer sa survie et prendre le pouvoir avec la CAQ. Les libéraux seraient alors affaiblis par l’échec de 2018, ce qui laisserait une marge de manœuvre pour une victoire potentielle des solidaires en 2022, lesquels auraient considérablement grossi leurs rangs. Dans le scénario inverse d’une réélection des libéraux, la CAQ serait affaiblie et le PQ pourrait entrer dans une convergence progressiste et indépendantiste avec les solidaires à condition d’être sous la direction de JMA. Une telle alliance QS-PQ, qui serait d’une nature très différente de la convergence progressiste suggérée par Lisée, serait définitivement susceptible de prendre le pouvoir en 2022.

Notons enfin un autre élément qui pourrait favoriser la fin du règne des libéraux : l’émergence d’une gauche fédéraliste crédible, que ce soit par une éventuelle alliance du Parti vert du Québec et du NPD-Québec, ou encore la création d’un nouveau parti politique de centre-gauche avec quelques figures importantes. Si la probabilité d’un tel scénario en 2018 est plutôt faible, l’espace politique pour une telle formation existe, et celle-ci pourrait gruger une partie de la base électorale du PLQ qui continue de voter pour ce parti par défaut d’une alternative progressiste non-souverainiste. Bref, pour lutter contre le PLQ il ne suffit pas de créer une coalition antilibérale ; il faut encore fissurer le bloc libéral.

Une révolution à l’horizon ?

Les scénarios esquissés ici peuvent certes paraître incertains, mais il s’agit des configurations possibles qui s’offrent à nous à court, moyen et long terme. Une certitude est que QS continuera sa montée, laquelle pourrait être plus ou moins rapide, timide ou explosive. Une autre certitude est que le PQ et la CAQ tenteront un rapprochement, sans qu’il soit possible d’en prévoir l’issue pour l’instant. Il faut rappeler que la négociation de pactes électoraux ou d’une alliance serait beaucoup plus facile à opérer qu’avec les solidaires, que ce soit par opportunisme, parce que les deux partis n’ont pas les mêmes contraintes démocratiques, ou par le simple impératif de survie qui pèse sur le PQ et la CAQ qui ne peuvent pas se permettre de perdre les prochaines élections.

Ce qui s’annonce pour 2018 est donc plutôt sombre, mais l’horizon s’ouvre dès lors que nous pensons à l’après-2018. Tout dépendra alors de la réussite d’une alliance QS-ON, d’une percée de la gauche hors de Montréal et du retour possible de JMA. Ces réflexions stratégiques peuvent sembler se limiter à de simples calculs électoraux, mais elles cachent néanmoins une mutation plus profonde : nous devons saisir les implications sociales, politiques, économiques et culturelles de l’éventuelle élection d’un gouvernement de gauche indépendantiste. Qu’est-ce que cela signifie ?

Tout d’abord, une majorité de la population aura accepté l’idée que la sortie du blocage politique suppose une transformation sociale et l’élection d’une alternative politique digne de ce nom, celle-ci impliquant des réformes sociales importantes et la refondation des institutions par la mise en place d’une assemblée constituante. Une partie non négligeable de la société sera prête à se poser à nouveau la question de l’indépendance, qui sera alors redevenue un enjeu politique central intimement lié à la question sociale, économique et écologique. Cela implique aussi qu’une vision inclusive de l’indépendance aura permis de retisser les liens de confiance avec les communautés culturelles qui ont été minés par l’épisode de la Charte des valeurs. Cela signifie aussi que ce n’est plus le PQ qui aura le leadership de la question solidaire, mais la vision solidaire ou encore une coalition large alliant les forces progressistes et émancipatrices.

Enfin, cela implique qu’un changement générationnel important aura été effectué, que la génération de 2012 aura davantage pris sa place dans la société, et qu’une majorité sociale exigera des transformations institutionnelles importantes. Bref, l’élection d’une coalition populaire, démocratique, inclusive et indépendantiste suppose que le Québec soit mûr pour une nouvelle Révolution tranquille. Le fruit n’est peut-être pas mûr pour 2018, mais l’austérité libérale et l’union nationale représentent des projets régressifs qui ne s’imposeront pas éternellement.

Nul ne sait encore si un futur gouvernement de gauche sera capable de mettre en place les transformations structurelles inscrites à son programme, mais il est clair qu’un processus constituant sera déclenché et que la vraie partie sera commencée. En 2022, si le Québec se réveille d’ici là, les gens pourront enfin commencer à s’occuper des vraies affaires, en reprenant en main le contrôle des institutions et leur souveraineté populaire. Une révolution en 2022 n’a rien de nécessaire, car il n’y a pas de processus historique irrésistible ; mais, pour la première fois depuis très longtemps, elle devient réellement possible. Une telle promesse n’est pas une utopie mais une hypothèse effective, dont la réalisation historique dépend avant de la capacité de l’action politique à saisir les exigences qui s’imposent à elle. Comme le souligne un aphorisme saisissant de Gershom Scholem : « Celui qui sait qu’il agit historiquement est un révolutionnaire. C’est là l’extension la plus grande de la notion de révolution. »

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