Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

White Birch : chantage éhonté et arnaque au sommet

Renaud Gagné est vice-président du Syndicat des Communications, de l’Énergie et du Papier au Québec. Il répondait à nos questions à propos du conflit à la papetière White Birch à Québec. Les salariéEs subissent une fermeture que la compagnie annonce temporaire mais qui tient davantage du chantage à la fermeture pour mettre à bas les conditions de travail et de retraite.

Presse-toi à gauche : Pourriez-vous retracer les origines du conflit actuel à Papiers White Birch (1 000 salariéEs au Québec, 900 millions $ de mauvaises créances)

Renaud Gagné : Les renouvellements des conventions de l’industrie des pâtes et papier à l’échelle de l’est du Canada se terminaient le 30 avril 2009. Le renouvellement devait entrer en vigueur le 1er mai de cette année. Mais considérant les difficultés que connaissait l’industrie, Abitibi-Bowater qui s’est mis sous la Loi des arrangements avec les créanciers le 17 avril 2009 a fait en sorte que ça retardait le processus. Habituellement, nous établissions une compagnie-type avec qui nous établissions la convention référence de façon à ce que toutes les autres compagnies (Kruger, White Birch, etc.) se ralliaient à cette convention. En février 2010, nous n’avions pas terminé cet exercice car à cela s’ajoute les négociations avec le gouvernement Charest à propos du financement des caisses de retraite, notamment le déficit de 1,4 milliards$ dans Abitibi-Bowater.

En février 2010, Papiers White Birch s’est mise sous la protection de la Loi des arrangements avec les créanciers. Aux États-Unis, ce fut la même décision dans le dossier d’Abitibi-Bowater, soit de se placer sous la protection du chapitre 11 qui protège contre les créanciers (Chapter 11 du Bankruptcy Code des États-Unis). Depuis février 2011, il y a un processus qui fait en sorte que la compagnie White Birch n’a pas travaillé sur un plan de restructuration mais a plutôt mis en vente les installations en créant une nouvelle société qui s’appelle Black Diamond/White Birch. Cette nouvelle société a été impliqué dans une vente aux enchères et la compagnie retenue a été Black Diamond. Un total de 67 entreprises ont participé aux processus et 2 seulement ont finalisé l’exercice et ce sont les mêmes personnes.

Ce qu’il faut retenir dans ça c’est que dans le dossier Brokefield Management avec l’usine Fraser (Nouveau-Brunswick) ont fait la même chose. Ils utilisent une loi fédérale pour laver leurs vieilles dettes et créent une nouvelle compagnie même si c’est le même monde qui sont dans les deux compagnies. Dans le dossier Fraser, Brokefield a réussit à repartir son usine à Edmunston en mettant fin au régime de retraite des employéEs. Les salariéEs ont perdu 35% de la valeur de leurs rentes de retraite, autant pour ceux et celles qui sont déjà à la retraite que pour ceux et celles qui y travaillent toujours. Ils et elles ont tous perdu 35% de la valeur de leurs économie.

Dans ce contexte, lorsque nous avons pris le dossier White Birch, nous nous sommes dit : on s’est fait avoir une fois, on ne replongera pas dans une autre affaire comme ça. À Edmunston, la compagnie a affirmé que l’offre était finale et en cas de refus, c’est la fermeture de l’usine. En plus de perdre une partie de ta pension, tu perds ton emploi. Alors les groupes de travailleurs des trois usines québécoises de White Birch (Québec, Rivière-du-Loup et Masson) ont refuse d’embarquer là-dedans (les offres de la compagnie ont été rejetées à presque 100% par les salariéEs de Masson et de Rivière-du-loup au cours des dernières semaines NDLR). Les salariéEs refusent tout accord qui verrait amputer leur fonds de retraite. C’est la raison pour laquelle aucune entente n’est possible actuellement car la compagnie veut couper l’équivalent de 25% à 40% du régime de retraite selon le groupe d’âge.

PTAG : Il y a une loi fédérale qui permet de mettre une compagnie en faillite et repartir l’intégralité des activités sous un autre nom tout en liquidant ses obligations ?

Renaud Gagné : C’est ce qu’on trouve scandaleux. Nous nous sommes présenté devant le juge (Robert) Mongeon de la Cour supérieure pour défendre le point de vue que les gestes posés par White Birch à Québec était un lockout déguisé. Sans sa décision, il souligne que ça viole des droits fondamentaux. La loi est ainsi faîtes que ça permet à des entreprises en difficultés de se restructurer aux dépends de tout le monde : les salariéEs, les petits fournisseurs, etc. et de s’attaquer aux conditions de travail et à leurs obligations vis-à-vis les caisses de retraite.

PTAG : Le principal actionnaire de White Birch Christopher Brant n’a pas peur de la provocation. On parle ici d’un PDG qui met à pied des centaine de travailleurs tout en se voyant verser des primes de 5,8M$ pour ses “performances” des 3 premiers mois de 2011.

Renaud Gagné : Cet individus facture des frais de gestion assez onéreux. Que l’entreprise fasse des pertes ou des profits, il encaisse de toute façon. Le père (Christopher) a empoché près de 30 millions $ dans les 2 dernières années. Le fils, Peter, a été nommé CEO de White Birch par son père. C’est la raison pour laquelle nous nous présentons devant la Cour afin que la compagnie paie les cotisations dites d’équilibre, des sommes à payer mensuellement lorsque le fonds de retraite est déficitaire.

PTAG : Et la compagnie a pris un sérieux retard à ce chapitre…

Renaud Gagné  : C’est 1,2 millions $ que White Birch devait verser à chaque mois. Comme ça fait presque 2 années qu’ils n’ont pas payer, on parle d’un montant de 33 millions $. Pendant ce temps, Brant a empoché à peu près l’équivalent de cette somme durant la même période.

PTAG : Les offres de Black Diamond/White Birch ont été largement rejetées par les salariéEs…

Renaud Gagné : Black Diamond était créanciers de White Birch avant la crise actuelle. White Birch a des créances de l’ordre de 479 millions $ auprès de Black Diamond et autour de 1 milliards $ au total. La valeur aux livres des actifs a été évaluée autour de 500 millions $. Actuellement l’offre de Black Diamond pour acheter White Birch tourne autour de 140 millions $. Alors, l’acheteur pourrait liquider une usine et se rembourser avec ce montant et ainsi faire l’acquisition des autres équipements sans que ça lui ait coûté un sous. Pour Black Diamond, le meilleur “deal” c’est le rachat des actifs. Par exemple, à Québec dans le cas de la fermeture de White Birch, Black Diamond se retrouve avec des terrains en bordure du fleuve où peuvent être construit des condos possédant une grande valeur. Black Diamond achète sans risque et ne peut perdre.

PTAG : Le cas de la White Birch a été davantage discuté dans les journaux. On parle moins des cas des usines de F-F Soucy à Rivière-du-Loup et de Masson dans la région de Gatineau. Comment se développe la mobilisation dans ces deux cas ?

Renaud Gagné : On parle d’usines plus performantes du point de vue de coûts de production parce qu’elles n’utilisent pas de papier recyclé. Celui-ci est de très mauvaise qualité depuis que la Chine achète presque tout dans ce secteur. Ça coûte presque 50$ la tonne de frais supplémentaire pour le nettoyage de la pâte récupérée. Les offres ont été rejetées à 100% à Masson et à 99% à Rivière-du-Loup. Malheureusement, nous perdons notre droit de grève lorsqu’une compagnie se place sous la protection de la Loi des arrangements avec les créanciers. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé au juge de reconnaître que la décision de White Birch était un lockout déguisé. De cette façon, le juge pourrait ordonner la réouverture de l’usine de Québec ou nous redonner notre droit de grève pour équilibrer le rapport de force. Puisque le juge en a décidé autrement, nous ne pouvons exercer de moyens de pression. Mais l’entreprise a tous les droits…

PTAG : Plusieurs intervenantEs de la région de Québec ont pointé le rôle ou plutôt le non-rôle du maire Régis Labeaume dans ce dossier. Le maire semble beaucoup plus empressé à faire des courbettes devant Québecor dans le dossier du nouveau Colisée que de travailler à éviter des fermetures d’entreprises.

Renaud Gagné : White Birch, c’est à peu près 200 millions $ en retombées économiques pour la région et on ne parle pas de Glassine Canada (une entreprise située tout près de la White Birch et qui pourrait supprimer 100 emplois suite à la fermeture de l’usine qui lui fournit de la vapeur basse pression pour la fabrication de papiers transformés). On regarde au Saguenay des maires qui vont sur la place publique pour défendre les emplois dans leur région, je trouve le maire de Québec très frileux dans le dossier White Birch.

PTAG : Est-ce seulement un cas de turpitude ou bien autre chose se cache derrière cette attitude ?

Renaud Gagné : De la façon avec laquelle il a traité les employéEs de la Ville de Québec, je ne suis pas convaincu qu’il soit chaud à l’idée de protéger les régime de retraite (Régis Labeaume a mené la charge en demandant au gouvernement du Québec de légiférer pour changer la configuration des régimes afin de les rendre moins dispendieux en décembre 2011 NDLR).

PTAG : Un projet de coopérative des travailleurs a émergé récemment pour racheter l’usine. Comment les syndiquEs réagissent-ils à cette hypothèse ?

Renaud Gagné : C’est un dernier recours. Il y a tellement d’argent à réinvestir, environ 80 millions $ pour sortir du système de papier recyclé. Il faudrait être plus rentable pour installer un nouveau système de co-génération ou utiliser la biomasse pour produire de l’électricité et la revendre à Hydro-Québec afin de créer des revenus additionnels. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit la meilleure avenue. C’est trop lourd et trop risqué pour une coopérative de travailleurs. Car si tourne mal, les compagnies peuvent laver leurs dettes alors que les travailleurs demeurent responsables des dettes qu’ils ont contracté.

PTAG : Quelles sont les perspectives de mobilisation dans les prochains jours, prochaines semaines ?

Renaud Gagné : La balle est dans le camp du gouvernement Charest. Le ministère du Travail doit convoquer l’entreprise et négocier un règlement plus acceptable. Les rejets des offres à Masson et Rivière-du-Loup les fera sûrement réfléchir.

PTAG : Michel Arsenault, président de la FTQ a mentionné à juste titre récemment que l’année 2012 sera celle du débat sur les fonds de retraites. La FTQ devrait-elle mobiliser sur cette question de façon à changer le rapport de force ?

Renaud Gagné : Depuis l’adoption de la loi 11 par Québec, le gouvernement permet d’allonger le remboursement des fonds de retraite sur 15 ans dans le secteur des pâtes et papiers. Donc, dans les 10 premières années, les compagnies peuvent se permettre de payer le minimum après entente avec la Régie des rentes du Québec. C’est la raison pour laquelle nous dénonçons le comportement de White Birch. Si l’économie ralentit, on sera tous dans la merde alors que si les taux d’intérêt pour évaluer un régime de retraite augmentent de 2,5%, la dette sera effacée. On pourrait alors se retrouver dans la même situation que Résolu ou Abitibi-Bowater. White Birch pourrait se retrouver dans 5 ans sans aucune dette dans le fonds de pension sans y avoir injecté de fonds suplémentaires. Par ailleurs, le fédéral a beaucoup soutenu le secteur automobile lors de la crise de 2008 mais n’a rien accordé au secteur des pâtes et papiers.

Entrevue réalisée par Yves Bergeron le 6 janvier 2012

Renaud Gagné

Vice-président Québec pour le Syndicat de l’énergie, des communications et du papier (FTQ)

Sur le même thème : Politique québécoise

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...