Édition du 3 décembre 2024

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Politique québécoise

Trois-Rivières le 6 janvier 2011

Y a-t-il un pilote sur le « Titanic » Gentilly-2 ?

Le 10 décembre dernier, lors de la première journée d’audience de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) consacrée à la demande d’Hydro-Québec de renouveler son permis d’exploitation de la centrale nucléaire de Gentilly-2, nous avons entendu des commentaires de la part de la CCSN et de ses commissaires qui étaient très critiques envers les manquements à la culture de sûreté chez Hydro-Québec à Bécancour.

M. François Rinfret, qui est à la CCSN responsable pour Gentilly-2, a déclaré (voir p. 39 de la transcription) : « Lors de son évaluation pour l’année 2009 d’Hydro-Québec à Gentilly, le personnel de la CCSN avait détecté et rapporté un problème de culture de la qualité à Gentilly ». À la p. 40, M. Rinfret a ajouté : « Le domaine de sûreté et de réglementation au système de gestion a donc reçu la cote inférieure aux attentes de 2007 à 2009. » Un peu plus loin, M. Rinfret justifie la nouvelle exigence de la CCSN pour un plan de redressement de la qualité à Hydro-Québec : « Il devenait impensable de permettre une quatrième année consécutive d’exploitation avec un programme de gestion de la qualité au rendement insatisfaisant. »
 
Alors qu’il est bien connu dans la communauté nucléaire canadienne que le réacteur CANDU à la centrale Gentilly-2 est affligé par plusieurs questions problématiques de sûreté (safety issues), nous apprenons maintenant qu’il y a des lacunes importantes à Gentilly-2 dans la gestion de la qualité.
 
En préparation pour la journée du 10 décembre, la CCSN avait publié en novembre 2010 le document clé 10-H15.C intitulé « Hydro-Québec, Centrale nucléaire de Gentilly-2 et installation des déchets radioactifs ». Dans ce document, la CCSN révélait que son personnel recommandait qu’on accorde à Hydro-Québec un renouvellement de son permis d’exploitation de Gentilly-2 jusqu’au 30 juin 2016. Ce document mentionne que la réfection de Gentilly-2 pourrait débuter à l’automne 2012. L’extension du permis sur cinq ans s’appliquerait donc à une centrale reconstruite.
 

Cette recommandation du personnel de la CCSN doit être vigoureusement rejetée par un public québécois averti. Une raison pour ce rejet est donnée à la page 26 du document 10-H15.C. Cette page discute le choix entre deux solutions qu’Hydro-Québec doit faire pour solutionner le problème d’emballement possible du réacteur CANDU suite à une perte de caloporteur majeure (PERCA) dans un accident. Une première solution est dite « analytique » et est favorisée par Hydro-Québec ; une deuxième solution implique des changements de conception, notamment au niveau du combustible nucléaire.

Le document 10-H15.C affirme ceci : « Le projet relié à la solution analytique prendra plusieurs années à être complété, et pour l’instant on ne peut exclure la possibilité qu’en bout de ligne, la solution analytique s’avère trop difficile à démontrer et qu’une solution impliquant des changements de conception soit nécessaire. » Le document mentionne 2013 comme étant l’année où les travaux sur la solution analytique pourraient être complétés par l’industrie nucléaire.
 
C’est ici qu’un public québécois averti peut commencer à sentir le vent glacial soufflant entre les icebergs à travers lesquels le Titanic se déplaçait à pleine vitesse en avril 1912. Il est bon de rappeler quelques faits accompagnant le projet de réfection de Gentilly-2 :

1. Le projet a été annoncé à deux milliards de dollars. Tous les projets canadiens de réacteurs nucléaires ont connu des dépassements de coûts : Gentilly-2 par un facteur de quatre, Darlington près de Toronto par un facteur de trois ;

2. En juin 2009, l’agence de cotation Moody’s a prévenu les compagnies d’électricité nord-américaines qu’elles risquent une décote si elles investissent dans de nouvelles centrales nucléaires ;

3. En février 2010, la firme parapublique Ontario Power Generation (anciennement Ontario Hydro) a annoncé sa décision de ne pas reconstruire quatre réacteurs nucléaires CANDU à la centrale Pickering B près de Toronto, jugeant cette opération non-rentable ;

4. La conception de Gentilly-2 remonte au début des années ’70, l’époque où Gentilly-1 débutait des essais. Depuis l’an 2000, la CCSN reconnaît que les modèles physiques et les logiciels utilisés dans les années ’70 ne sont pas acceptables aujourd’hui. La Canadian Nuclear Association a écrit ceci sur Gentilly-1 :
‘’In 1971, the 250 MW Gentilly-1, a prototype reactor, came into operation near Trois-Rivières on the south shore of the St. Lawrence River. Built and owned by AECL and operated by Hydro-Québec staff, the reactor had design and operational problems and was not economical. It was taken out of service in 1979.’’

5. Gentilly-1 avait fonctionné seulement 180 jours et s’était avéré très instable. Gentilly-2 souffre de la même faiblesse de conception que Gentilly-1 en ce qui concerne le coefficient positif de réactivité nucléaire dû au vide (coolant void reactivity).

6. Le réacteur CANDU de Gentilly-2 est la source d’électricité la moins fiable et la moins prévisible au Québec. Des arrêts prévus, et imprévus, la mettent hors opération pendant des semaines, voire des mois. En cas de panne du réseau électrique, une centrale nucléaire doit se déconnecter du réseau et le plus souvent doit être en arrêt pendant des jours.
 
Le Jour 2 de l’audience publique de la CCSN est planifié pour les 14 et 15 avril 2011 à Bécancour. Au terme de ce Jour 2 les commissaires de la CCSN seront appelés à exercer leur autorité finale sur l’avenir de la centrale Gentilly-2. Le public québécois est invité à présenter des mémoires au Jour 2. Comme le public n’a pas été informé par la CCSN des questions problématiques qui affligent Gentilly-2 et des modifications qu’Hydro-Québec veut lui apporter lors de la réfection, nous demandons que le Jour 2 de l’audience soit reportée en 2012, voire même en 2013.

Cela donnera le temps à la CCSN de compléter ses études de l’examen intégré de sûreté d’Hydro-Québec et d’informer objectivement le public québécois sur toutes les questions en jeu, tel qu’exigé par la loi canadienne sur le nucléaire. De plus nous demandons que la CCSN exige immédiatement la sécurisation physique de tout le site, comprenant particulièrement la salle de contrôle, la piscine remplies de déchets hautement radioactifs et les aires d’entreposage à sec afin de faire face à d’éventuels événements terroristes.
 
La prolongation de la dangereuse opération de Gentilly-2 présente une menace pour la base de l’économie québécoise. Si un accident nucléaire majeur se produisait à Gentilly-2 les conséquences catastrophiques évoquées dans un documentaire de la TV de Radio-Canada, le 1er novembre 2009, ne rendraient pas les québécois reconnaissant à l’égard de ceux qui ont influencé les décisions pro-nucléaires. De plus, une menace de décote financière est suspendue au-dessus du Québec à cause de l’état précaire de Gentilly-2.

 
Y a-t-il un pilote responsable sur ce « Titanic » Gentilly-2 ?

 
Il est remarquable de constater que la province la plus avancée en technologie nucléaire, l’Ontario, va porter à 6 le nombre de réacteurs CANDU en état d’arrêt permanent. De son côté, le Nouveau-Brunswick souffre financièrement de la lente et coûteuse réfection de Point Lepreau.

Est-ce que nos dirigeants politiques au Québec sauront changer la direction du « Titanic » nucléaire Gentilly-2 et procéder à son déclassement, comme il avait été prévu du temps de Robert Bourassa et de René Lévesque ?


Michel Duguay 418-656-3557 (bur) ; 418-802-2740 (cel)

et Philippe Giroul, 819-377-3810

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