Édition du 26 mars 2024

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Féminisme

Action travail des femmes (ATF) dénonce les conditions dans lesquelles évoluent les femmes du secteur de la construction

MONTRÉAL, le 22 mars 2021 - Les conclusions du rapport sur les abandons dans l’industrie de la construction au Québec, publié en janvier 2020 par la Commission de la construction du Québec (CCQ), démontrent l’incapacité du secteur de la construction à maintenir en poste les femmes occupant des métiers spécialisés au sein du secteur. Il s’agit encore aujourd’hui d’une véritable hécatombe. Rappelons que la construction est un secteur d’activité important et très lucratif qui est au cœur des investissements de relance, et qui demeure le secteur d’emploi où les femmes sont les plus sous-représentées au Québec.

La CCQ a commandé une étude similaire en 2004. Celle-ci révélait que près de 60% des femmes qui commençaient à travailler au sein du secteur avaient quitté le domaine après 5 ans, contre 36% des hommes. Selon les résultats de l’étude, 50% des femmes invoquaient des motifs de discrimination pour expliquer leur départ.

Dix-sept ans plus tard, rien n’a vraiment changé pour les travailleuses de la construction. En dépit de leur intérêt pour le secteur et de leurs aptitudes pour le travail manuel, constats réaffirmés dans le récent sondage, leur taux d’abandon est systématiquement plus élevé que les hommes. En effet, 54% d’entre elles quittent le secteur moins de cinq après leur arrivée, contre 35% des hommes.

Rappelons que les femmes ne représentent encore que 2,45% de la main-d’œuvre du secteur, un taux toujours inférieur au modeste 3% qui devait être atteint en 2018 selon la cible que s’était fixée la CCQ dans son Programme d’accès à l’égalité de femmes (PAEF), et en deçà de la moyenne canadienne. Rappelons aussi que les employées du secteur ne travaillent en moyenne que 70% des heures travaillées par les hommes, et ce même en période de plein emploi et de rareté de main-d’œuvre.

Le sondage récent met de l’avant des constats connus et dénoncés par ATF depuis longtemps au chapitre des gestes discriminatoires et violents subis par les femmes au sein du secteur : 35% des femmes déclarent avoir vécu des situations de discrimination liées à leur sexe ou à leur ethnie (contre 6% des hommes), et 22% des femmes affirment avoir été victime d’intimidation ou de harcèlement sexuel et psychologique.

La violence envers les femmes passe encore sous le radar

La CCQ souligne que les raisons personnelles principalement évoquées par les femmes pour expliquer leur départ peuvent dissimuler des problématiques vécues sur les chantiers, notamment la discrimination. Ce fait connu de la CCQ est largement documenté dans l’enquête menée sur le terrain par ATF « Typologie des violences à caractère sexiste et sexuel dans l’industrie de la construction et de leurs impacts sur le maintien en emploi des femmes° », publiée en 2018.

En effet, les femmes du secteur n’ont pas le luxe de dénoncer ou d’intenter un recours, car les possibilités qu’elles soient embauchées ailleurs par la suite où qu’elles conservent leur emploi sont pratiquement nulles. De plus, celles qui prennent le risque d’un recours se retrouvent avec un dossier traité, plus souvent qu’autrement, comme un accident du travail. D’ailleurs le sondage de 2020 donne un aperçu des situations difficiles dans lesquelles se retrouvent plusieurs femmes : 12% des femmes qui ont quitté le secteur sont considérées comme malades, accidentées du travail ou incapables de travailler (contre 7% des hommes).

Des rouages discriminatoires connus, mais toujours banalisés et ignorés

Depuis 15 ans, plusieurs travaux (1) ont mis en lumière les obstacles systémiques, ainsi que la spécificité des violences subies par les travailleuses de la construction parce qu’elles sont des femmes : discrimination à l’embauche, équipements de protection inadaptés, accès entravé au retrait-préventif, harcèlement et agressions sexuelles, difficultés d’accès à l’assurance-chômage, non-accès aux recours, etc. Des phénomènes graves et récurrents qui, par leurs effets croisés et cumulatifs, placent les travailleuses en situation précaire, portent atteinte à leurs droits fondamentaux et contribuent à leur exclusion du secteur.

La pleine inclusion des femmes du secteur de la construction et l’atteinte de l’égalité hommes-femmes sont des enjeux qui dépassent largement l’intégration de nouvelles travailleuses, et qui concernent directement leur rétention au sein du secteur. Les campagnes de promotion et programmes de mixité et la mise en place de mesures d’accès au secteur allégées ne suffisent pas pour corriger les biais systémiques qui contribuent à l’exclusion des femmes du secteur. Il faut aller plus loin que la sensibilisation et la promotion.

Nous faisons face à un constat d’échec du secteur quant à sa capacité à retenir en poste les travailleuses spécialisées. Pourtant, il ne s’agit pas d’une fatalité ! Si le secteur s’était doté de mesures de rétention, ses objectifs seraient atteints depuis 15 ans. D’ailleurs, le sondage de la CCQ indique que 72% des femmes ayant quitté le secteur aimeraient revenir y travailler (contre 58% des hommes), signe que le secteur pourrait retenir les travailleuses s’il mettait en place les conditions structurelles pour assurer leur maintien en poste et favoriser leur épanouissement !

Pour une pleine intégration des femmes aux chantiers de la relance

Au printemps dernier, alors que le gouvernement annonçait un plan de relance marqué par des investissements majeurs dans le secteur, ATF réitérait l’importance d’assujettir le secteur de la construction au Programme d’obligation contractuelle pour l’accès à l’égalité en emploi (POC), car il s’agit d’une manière concrète et durable d’agir sur le maintien en poste des femmes, en assurant leur juste représentation sur ces chantiers d’envergure. Or, pour l’heure, aucun cadre coercitif n’a été mis en place pour garantir des conditions de travail égalitaires et respectueuses de la dignité des femmes et de leurs droits fondamentaux.

Des solutions existent et sont revendiquées depuis longtemps : le secteur doit se doter de mesures structurelles et coercitives qui permettraient d’en finir une fois pour toute avec la discrimination systémique et les violences qui entravent le parcours individuel et collectif des femmes. Action travail des femmes demande au gouvernement d’agir !

1- Voir notamment les travaux de Geneviève Dugré (2006), du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (2012), du Conseil du statut de la femme (2013), d’Action travail des femmes (2018) et la recherche d’Éric Charest, Céline Chatigny, Marie Laberge et Jessica Riel réalisée pour la CCQ (2018).

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